Chapitre 33

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Revenir dans la dépendance me fait l’effet d’une douche froide. Flynn et Alice se hurlent dessus et ne font pas attention à mon entrée discrète. En me mordant l’intérieur des joues, j’essaie d’attirer leur attention, dans l’espoir de leur faire baisser le ton, histoire que mes mères ne débarquent pas, totalement alertes.

— Joshua, dis-lui que c’est stupide ! Me lance Alice.

— Je ne sais même pas de quoi vous parlez.

— Il ne veut pas se faire aider par des professionnels.

— Hors de question que je me fasse interner, rétorque Flynn d’une voix fielleuse.

Il est debout, des cernes immenses sous les yeux, et l’air complètement patraque. Pourtant, il ne manque pas d’énergie pour envoyer chier Alice.

— Tu vas douiller, lui dit-elle.

— Et bien je subirais. J’ai pas vraiment le choix, faut croire.

Pendant qu’ils s’engueulent, je me glisse dans la chambre pour récupérer son téléphone portable. Comme il n’a pas plus de batterie, je le mets à charger et reviens dans la pièce à vivre en lui tendant mon téléphone.

— Quoi ? Demande-t-il d’une voix agressive.

— Mets-toi en mode charmeur et appelle Sabine. Faut la convaincre que tu vas bien.

Il hausse les sourcils, un sourire en coin sur les lèvres. C’est la première fois que son sourire n’est pas ironique depuis qu’il a débarqué à la soirée de Jérémy hier soir.

— En mode charmeur ?

— Ouais, tu sais, avec ta voix sexy et tout, je fais, bougon. Pas la peine de faire tes yeux de chiot et ton sourire Colgate, elle te verra pas.

Il prend mon portable en me suivant des yeux, l’air sur le cul.

— C’est ce que tu penses de moi ? Demande-t-il, apparemment mort de rire. Une voix sexy et un sourire Colgate ?

— Arrête, fais-je en me laissant tomber sur le canapé, drogué ou pas, la moitié des filles du lycée rêvent de sortir avec toi. Il te suffit d’un sourire en coin et même les mecs les plus hétéros du monde fondent.

Autant de beauté est vraiment indécent. J’en suis presque dégoûté.

De toute évidence, j’ai refais sa journée. Il est tellement amusé qu’il arrête de se battre avec Alice et écoute le plan qu’elle a préparé avant d’appeler Sabine. Pendant qu’il va dans la chambre, Alice vient s’asseoir à côté de moi.

— Il a autant de succès au lycée ? Me demande-t-elle.

Je lui lance un coup d’œil suggestif.

— Même moi il pourrait me faire revoir mon hétérosexualité.

Ma blague touche son but, et elle éclate de rire. La tension a bien baissé, ce qui me rassure. Je sais que le pire est à venir, mais autant ne pas monter sur nos grands chevaux dès le début.

On entend la voix de Flynn provenant de la chambre, sans parvenir cependant à discerner ce qu’il dit. En tout cas, il ne hausse pas le ton, ce que je prends pour un bon signe. Au bout d’une dizaine de minutes, il ouvre la porte et me lance mon portable.

— C’est bon, je serais absent toute la semaine.

— Elle a accepté ça ? Je m’étonne.

Les excuses que Alice a inventé devaient être bétons !

— Faut croire. J’ai dis que tes mères étaient d’accord.

Je lève les yeux au ciel et me lève du canapé.

— Où tu vas ? Me demande Alice en me regardant partir.

— Prévenir mes mères, histoire qu’on se fasse pas choper, je râle.

D’un pas un peu chancelant, Flynn s’approche de la table. Il tend la main pour toucher les roses qui s’épanouissent dans le vase, au milieu. Juste avant de sortir, je le mets en garde :

— Si elles perdent un seul pétale, ce sera ton tour de dormir sur la table.

Je traverse le jardin tandis que son ricanement résonne dans ma tête. Avant de rentrer, je prends une profonde inspiration en espérant que je dirais rien qui ne fasse naître des soupçons. Connaissant Nicole, elle va décortiquer tout ce que vais dire, surtout s’il s’agit d’héberger un « pote ».

Surtout s’il s’agit d’héberger l’un de ses patients.

Heureusement, elle n’est pas encore là, s’étant attardée au travail. Je prépare le terrain avec Périne, lui expliquant qu’on a un projet à faire et qu’il risque de rester dormir pour plus de commodité.

— Ce garçon va rester dormir pour faire des devoirs ? Plusieurs fois ?

Même moi j’y crois pas. De toute évidence, j’ai pas la même capacité que Flynn pour le mensonge. J’essaie de rattraper en disant des trucs bidons dont Alice et moi avons parlé un peu plus tôt, et malgré l’inquiétude qui se lit dans son regard, maman accepte avec réserve.

Je suis sûr que ça ne se passera pas comme ça avec Nicole.

Je reviens dans la dépendance, prêts à ordonner à Flynn d’aller se présenter et de m’aider à ramener un lit dépliable. Je le retrouve étendu dans le canapé, plié, les mains sur le ventre. Je crois d’abord qu’il s’est endormi, avant que je n’aperçoive son expression douloureuse.

— Qu’est-ce qui se passe ? Je m’affole.

Alice me retient. Apparemment c’est normal.

Sauf qu’il souffre ! Je ne peux pas…

— Laisse, dit Alice. C’est pénible mais il va devoir y passer.

Je pince les lèvres. Sérieux, j’ai pas envie de devoir vivre ça. Je veux l’aider, mais pas en ayant tout le temps peur qu’il meurt sans que je m’en rende compte. Pour la première fois me semble-t-il, les mots de mon amie prennent tout leur sens.

Quand elle me disait qu’il en viendrait à préférer mourir que continuer à vivre ça, je n’avais pas voulu la croire. Mais regarder la douleur sur ses traits me fait prendre conscience qu’on est tous les trois vraiment dans la merde.

— Qu’est-ce que tes mères ont dit ? Me demande Alice, sans doute pour me faire penser à autre chose.

— J’ai vu que Périne. Nicole sera pas aussi facile à convaincre. Je pense même que…

De nouveau, le sort s’acharne, et la voix de ma psychologue de mère résonne de l’autre côté de la porte d’entrée :

— Joshua Pace ouvre cette porte !

Je prends une profonde inspiration. Et merde !

— Salut, dis-je en ouvrant la porte. Quelque chose ne va pas ?

Je manque clairement d’énergie. Et je devrais prendre des cours de théâtre.

— Je peux voir Flynn ?

— Il est sous la douche, mens-je.

— Putain, éteignez la lumière !

Je ferme les paupières au moment où Flynn grogne. Il manquait plus que ça.

Ma mère force le passage, suivie de Périne, qui me regarde avec un air déçu. Je me force pour ne pas laisser les larmes me monter aux yeux.

— Bonsoir, madame Pace, dit Alice d’une voix timide.

Nicole mettrait n’importe qui mal à l’aise quand elle a cet air sévère.

— Flynn ?

Le garçon se lève avec l’air de celui qui est sur le point de rendre son déjeuner. Dans son état minable, il a quand même la force d’écarquiller les yeux.

— Bonsoir, docteur Pace.

— Qu’est-ce que tu as ? Lui demande-t-elle. (Puis, comme il ne répond pas, elle se tourne vers Alice et moi :) Qu’est-ce qu’il a ?

— Il est en manque, dit Alice avec un semblant d’assurance. Il faut qu’il se sèvre…

— J’appelle l’hôpital, répond Nicole en se dirigeant vers la sortie.

Devant la peur panique de Flynn, je la retiens.

— S’il-vous-plaît, dit-il d’une petite voix faiblarde. Je veux pas aller en centre.

— Flynn, soupire maman.

Elle échange un regard avec Périne, qui reste silencieuse. Je vois leur propre peur – la peur de l’impuissance, que ressentent tous les parents un jour ou l’autre.

— Je lui ai promis de l’aider, dis-je. S’il-te-plaît, il a besoin de nous.

— Je ne peux pas, soupire-t-elle. On n’est pas en mesure de t’aider, Flynn. C’est trop…

— Je vous en pris…

C’est sans doute l’attitude brisée de Flynn qui produit ce déclic dans ma tête. Ce mec avec qui je ne me suis jamais entendu depuis qu’on se connaît, que j’ai toujours évité, voir même jugé. Cette peur dans ses grands yeux, qui brise quelque chose dans la poitrine de tous ceux qui sont présents.

— Maman, insisté-je d’une voix suppliante. Je t’ai jamais rien demandé de dangereux. J’ai jamais fais de bêtises, j’ai toujours suivis les règles à la lettre et je vous avais jamais mentis avant aujourd’hui. Je t’en pris, j’ai besoin que tu comprennes.

Elle me regarde toujours d’un air sévère, mais je crois déceler dans ses yeux une lueur qui est à mon avantage.

— Je n’ai pas le droit, proteste-t-elle.

— Fais-moi confiance, demandé-je.

Nicole prend une profonde inspiration, échange un regard avec Périne – ce genre de regard qu’ont les parents et qui leur permet de se passer des messages sans avoir à parler devant nous. Quand elle soupire, elle presse le pas pour aller dehors.

— Toi, dit-elle en pointant le doigt sur le visage de Flynn, je veux que tu viennes me voir tous les soirs, quand je rentre du boulot, je suis claire ?

Flynn hoche la tête, pétrifié. Nicole se tourne vers moi et me fusille du regard.

— Quand tu dors, je veux que toutes les portes et les fenêtres soient fermées à clé, et tu la gardes sur toi. Si Flynn met la main sur de la drogue, on arrête tout. (Elle traverse la salle de séjour et désigne le coin cuisine :) Je ne veux pas une seule goutte d’alcool dans cette dépendance. J’appelle tout de suite Sabine et on va discuter de tout ça. Quand je reviens, je veux que cet endroit soit totalement clean !

— Madame Pace, intervient Flynn.

Ma mère tourne son regard flamboyant vers lui. Pour la première fois depuis que je le connais, il se fait tout petit. Je suis quasiment sûr que c’est pas une bonne chose d’avoir peur de son psychologue, mais je ne crois pas que ce soit le bon moment pour le faire remarquer.

— Oui ?

— S’il-vous-plaît, ne dites rien à Sabine.

Il a de nouveau son air charmeur, mais cette fois une émotion déteint : la peur. Flynn est terrifié.

— Je ne veux pas la décevoir encore.

Son ton doux calme un peu la colère de maman. Elle insiste cependant :

— Je ne peux pas la laisser dans l’ignorance.

— S’il-vous-plaît. Je ferais tout ce que vous voudrez, j’obéirais à chacune de vos consignes. Je ferais n’importe quoi. Mais je ne veux décevoir encore Sabine. Je ne…

Sa voix se casse. C’est bien une chose que je n’aurais jamais cru voir un jour : Flynn Richards sur le point de pleurer d’émotion.

— Je vais voir ce que je peux faire, lâche Nicole sans rien promettre.

D’un geste du doigt, elle nous ordonne, à Alice et moi, de la suivre dehors. Périne reste à l’intérieur, peut-être pour surveiller Flynn. J’espère qu’elle va lui parler, elle sait toujours trouver les mots pour atténuer la tristesse.

— Êtes-vous bien conscients, nous dit Nicole, de ce que vous vous engagez à faire ? C’est pas rien d’être impliqué dans un état de manque. Héroïne et alcool combinés, ça n’a jamais rien donné de bon. Ça va être très dur pour lui, mais aussi pour vous. À un point que tu n’imagines pas, Joshua. J’espère que…

— Je sais dans quoi je m’engage, madame Pace, dit Alice. Mon oncle est déjà passé par là.

Je masque ma surprise et, oui, ma curiosité. C’est donc de là que viens ses… connaissances, sur le sujet.

— Et toi, Joshua ?

Le regard de Nicole est encore plus intense que quand elle interrogeait Alice. Je suis son fils, et je m’engage dans quelque chose de plus grand que moi. Beaucoup, beaucoup plus grand, et plus dangereux.

— J’ai promis de l’aider.

Je ne dis rien d’autre. Maman sait que je ne suis pas du genre à revenir sur une promesse. Encore moins sur une promesse de cette ampleur.

— D’accord, soupire-t-elle. Restez avec lui, Périne et moi on va s’occuper des détails.

À l’instant, maman sort avec Flynn et elles s’éloignent en nous laissant tous les trois. Au bout de trois mètres, Nicole se retourne.

— Maintenant, je ne veux plus aucun secret, d’accord ? Au moindre soupçon, je serais intransigeante.

On hoche tous les trois la tête, à la fois soulagés que les choses prennent une tournure un peu plus sécuritaire, et angoissés par ce qui nous attend.

Comme pour répondre à mes pensées, Flynn se plie en deux et vomi ses tripes dans les orchidées que j’ai planté le week-end de notre emménagement.

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