Chapitre 29

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Toute la semaine, je m’efforce de fuir la compagnie des amis de Jérémy. Ce n’est pas facile, car Charlie et Antoine n’ont de cesse de venir me parler. Je me figurais bien qu’il ne leur parlerait pas de Lista, et de notre baiser. Les types comme lui se sentiraient trop déshonoré que quelqu’un sache que sa copine a embrassé un autre mec, avant de venir s’excuser.

Tu parles d’honneur. Il est à peine majeur et c’est déjà un vrai connard machiste.

Et dans tout ça, je me sens encore mal pour ce que j’ai fais. Un peu plus chaque jour qui passe. Bientôt, ce baiser ne sera pour moi plus que regrets.

Heureusement, la bande d’Audra est loin d’être amie avec lui. Je passe les inter-cours à parler avec Emma par textos, et la pause déjeuner à leur table. Plusieurs fois ils m’invitent à venir avec eux à la soirée de Jérémy. Je refuse, sans leur expliquer qu’il hésiterait pas à me tabasser s’il me revoyait chez lui.

Je suis content de voir le week-end arriver. Deux jours sans croiser son regard sombre, sans voir Lista baisser les yeux comme si elle se sentait la personne la plus abominable du monde. Si ce n’est pas facile pour moi, je sais que c’est cent fois pire pour elle, c’est ce qui m’empêche de lui en vouloir. Elle a préféré rester avec son petit-ami, ce qui est tout à fait compréhensible, mais je suis sûr qu’il le lui fait payer.

Mes mères sont occupées par leur travail, ces temps-ci, et on ne se parle pas beaucoup. C’est un peu un soulagement, parce-qu’elles auraient compris depuis longtemps que quelque chose ne va pas, autrement. Je réussis à garder bonne figure quand on dîne, et le reste du temps je me terre dans la dépendance, ou au milieu des fleurs du jardin, qui commencent à avoir de l’allure.

Le samedi après-midi, je suis allongé sur mon lit et je reste à fixer le plafond en réfléchissant. Un texto de Alice me sort de mes ruminations, elle me propose, comme je suis prêts à rester tout seul, de passer la soirée ensemble. J’accepte, histoire de me changer les idées, et elle me dit que sa mère vient me chercher et nous déposera.

Je lui demande où, elle me répond que c’est une surprise.

J’aurais dû me douter qu’elle m’entraînerait chez Jérémy. Je voyais le truc venir de loin, et j’ai été assez con pour la croire quand elle m’a dit qu’elle n’irait pas.

— Je peux pas y aller, dis-je quand on sort de la voiture.

Je murmure, et la musique de la fête recouvre ma voix. C’est stupide, parce que c’est pas parler à voix basse qui va me rendre invisible.

— J’aurais pas dû t’écouter, j’aurais dû rester chez moi…

— Et te morfondre ? Fait Alice en haussant les sourcils. Tu es mon invité, pas celui de Jérémy.

— On est chez lui ! Je lance en montrant sa maison illuminée du doigt. Il va me foutre son poing dans la gueule, si il me voit.

— Il fera rien du tout, rétorque-t-elle. Il veut pas que les autres apprennent que Lista et toi vous êtes embrassé. On va rester avec Audra et Déborah, sans nous approcher de son groupe. Et il dira rien.

Je me mords l’intérieur des joues, et inspire profondément. Ça me plaît pas. J’ai envie de revenir en arrière, et de rentrer chez moi, même si je dois marcher des kilomètres pour ça.

— Aller, Joshua, viens pour moi.

Alice me regarde avec des yeux qui irradient la séduction. C’est à la fois hilarant – un bon moyen de faire fuir mes craintes – et irrésistible. Je prends la main qu’elle me tend, et on entre tous les deux dans la maison.

Comme la dernière fois Audra et son groupe sont au fond du jardin de derrière. On les rejoint en évitant le salon, où Jérémy et ses potes enchaînent les bières. Ce soir, je ne bois pas. Même si je ne conduis pas, j’ai pas envie de me retrouver à tituber sur le trottoir, ou de raconter n’importe quoi. C’est pas le moment de me laisser aller.

— Hey, Josh ! Je croyais que tu venais pas ? Fait remarquer Audra en me voyant suivre Alice.

— Je l’ai convaincu, dit celle-ci.

Elle ne lâche pas ma main, et je ne lâche pas la sienne. Le contact chaud de sa peau est agréable, et rassurant.

Je ne sais pas trop à quoi ça sert de venir à une soirée pour rester au fond du jardin, et comme je ne m’autorise pas d’alcool, je n’ai rien d’autre à faire que d’attendre les problèmes. Je n’arrête pas de jeter des regards vers la maison, attendant le moment où Jérémy va apparaître, me voir, et se jeter sur moi.

Alice sert ma main, et mon regard se pose sur elle. Elle ne me regarde pas, parle avec ses amis, mais la pression de ses doigts me fait comprendre qu’elle sait ce que je fais, ce que je pense, et me ramène au moment présent. Alors j’essaye de m’impliquer le plus possible dans la conversation, et de profiter de la fête tant que ça dure.

Pas très longtemps, à priori.

J’entends mon nom, hurlé à travers le jardin. Quand je me retourne, c’est sans grande surprise que je retrouve Jérémy, à la porte fenêtre, qui me regarde d’un air furieux.

— C’est pas toi qui disait qu’il ferait rien ? Dis-je à Alice en le regardant s’approcher de nous à grands pas.

— Qu’est-ce qui se passe ? Demande Déborah en se levant de la chaise de jardin.

— Y a que ce connard est pas invité ! Dit Jérémy en me poussant brusquement.

Je ne réagis pas vraiment. Je n’ai pas envie de me battre, ça ne vaut pas le coup. Je m’apprête à dire que je vais partir quand Alice dit en première :

— Laisse-le, Jérémy, il est avec moi.

— Rien à foutre !

— Rien à foutre que t’en ais rien à foutre.

Alice parle calmement, c’est sans doute ce qui fait tourner la tête de Jérémy vers elle. Elle s’oppose à lui, le regarde dans les yeux, et j’ai l’impression de voir une guerrière à la place de la jeune fille un peu perdue que j’ai rencontré chez Charlie.

Les yeux de Jérémy se baissent sur nos mains, et nos doigts emmêlés.

— Tu sors avec ce merdeux ? Ricane-t-il.

— Y a pas très longtemps, tu le considérais comme ton ami, fait remarquer Déborah.

— C’était avant qu’il se jette sur ma copine, rétorque-t-il.

Tous les regards se tournent vers moi. J’entends d’ici les rumeurs qui vont circuler sur moi si je n’interviens pas. Aux yeux de beaucoup, je ne vaudrais plus rien. Je serais juste un connard harceleur, et ça, ça me fout en rogne. Je ne réfléchie pas quand je lance du tac au tac :

— Je l’ai juste embrassé… Et c’est elle qui a commencé à…

Il se jette sur moi avant que je finisse ma phrase, et je riposte en le poussant de toutes mes forces. Malheureusement, son gabarie lui donne beaucoup plus de force que j’en ai, et la douleur envahit mon crâne quand son poing s’écrase sur ma tempe.

Je m’écroule par-terre, entraînant Alice dans ma chute. La voir s’étaler dans l’herbe décuple ma colère et avant même de me relever, je me précipite sur lui.

— C’est ma copine, tu piges toquard ?

— C’est une fille, pas un objet ! Je rétorque. Elle ne t’appartient pas.

On se bat sans qu’il y ait vraiment de sens à nos coups. Les filles se mettent à trois pour me retenir, tandis que Charlie et Antoine peinent à éloigner Jérémy. J’ai l’impression de japper comme un chien, et nous n’avons plus en commun que notre colère froide.

— C’est ça, crache-t-il, laisse tes salopes te retenir.

À chaque mot qu’il lâche, c’est un peu plus dur de ne pas lui écraser la tête contre le mur.

— Joshua, ne l’écoute pas, me murmure Alice en me tirant en arrière. Il te provoque… Regarde ton œil…

C’est moi qu’il provoque ? Mais putain, c’est elles qu’il vient de traiter de salopes ! Est-ce qu’il existe une personne ici que ce type respecte ?

Un peu calmé par le soutien de mes amies, je porte les doigts à mon œil droit, dont je ferme la paupière pour empêcher le sang qui coule de mon arcade sourcilière de couler à l’intérieur. Il m’a bien amoché l’enfoiré !

— Dégagez de chez moi ! Cri Jérémy en repartant en arrière. Dégagez où je vous jure que…

— Pas la peine de hurler, rétorque Déborah d’une voix mauvaise. On le soigne et on se barre de ta fête pourrie !

Jérémy nous regarde un instant, grimaçant et me fusillant du regard, avant de retourner à l’intérieur d’un pas furax. Alice me soutient jusqu’à la porte fenêtre, et à l’étage, vers la salle de bains. En chemin, je croise Lista. Elle m’observe d’un air dévastée, l’air le plus triste du monde.

J’ai même pas la force de lui en vouloir.

Alice referme la porte de la salle d’eau sans la fermer à clé. L’odeur de vomi flotte dans l’air, bien que toutes les traces aient été nettoyées. Ça fait même pas trois heures que la soirée à commencé…

— Assis-toi là, ordonne Alice en désignant le bord de la baignoire.

Elle sort le nécessaire d’une armoire à pharmacie et entreprend de nettoyer la plaie. Pour qui est-ce que je me suis pris ? Je suis pas le genre de type qui se bat. Je suis pas le mec bâti comme une armoire à glace qui renvoie les coups. Je n’ai même jamais fais de sport de combat.

— La cicatrice va être moche, fait remarquer Alice en essuyant le sang.

— Ça me rappellera de pas me frotter à plus fort que moi.

Alice glousse.

— Tu avais l’air plutôt sexy.

Je lève les yeux au plafond, ce qui s’avère plus douloureux que prévu.

— C’était pas vraiment le but recherché.

— Je sais. Lista ne mérite pas que tu te mettes dans cet état pour elle.

Je ne réponds pas. On reste silencieux un moment, et j’ai de plus en plus hâte de m’en aller. Après un nouveau tressaillement de mon visage, Alice met un pansement, même si ça va pas vraiment arranger les choses.

— J’aurais pas dû t’amener ici, dit-elle. Mais je voulais pas venir sans toi.

— C’était si important pour toi de venir ?

— Je n’ai pas de nouvelle de Flynn depuis un moment. J’espérais le croiser.

Quelle est la teneur de la relation entre Flynn et Alice ? Parfois, comme elle en parle j’ai l’impression qu’elle est amoureuse de lui. D’autres fois, ça a plus l’air d’une inquiétude fraternelle.

— Tu ne risquais pas de le trouver en restant au fond du jardin.

— Il est toujours dans le jardin, dit-elle en poussant un soupir. Il n’est pas venu.

— Ça fait plusieurs jours qu’il est pas venu à l’école non-plus.

Ça ne la rassure pas. Je m’en veux. Elle décide qu’on est bon pour partir, et on sort pour rejoindre les filles. C’est le genre de moments où je regrette de ne pas avoir ma voiture.

Juste au moment où on descend les escaliers, la porte d’entrée s’ouvre, et Flynn apparaît. On se fige et on le regarde partir dans le salon. Alice se précipite derrière lui et je la suis, sans bien savoir pourquoi. Flynn se tord le cou à la recherche de quelqu’un, et je sais bien qu’il finira le nez dehors, là où se terre Noah.

Quand on le rattrape, les deux mecs sont déjà en train de s’échauffer. J’ai juste le temps de voir Jérémy entraîner Lista dans un coin de la maison, hors de ma vue, avant que toute une bande se précipite pour écarter Flynn et Noah.

— Mais putain, c’est pas compliqué ! s’écrie Flynn en se relevant après être tombé.

Wow, ai-je le temps de me dire, il a bu combien de verres avant de débarquer ?

— Dégage, pauvre type, renâcle Noah. J’en ai finis avec toi.

Flynn nous aperçoit, Alice et moi. Sa mâchoire se contracte, et j’ai la sensation que c’est à cause de notre proximité physique. Bizarrement, je crois qu’Alice se dit la même chose car elle me lance un regard entendu.

En silence, on se met d’accord et elle sort pour essayer de le raisonner tandis que je rejoins Audra et Déborah qui, elles, ont une voiture et un conducteur. Attendre avec elles dans l’air frais est la chose la plus plaisante de ma soirée.

L’intérieur est étouffant.

On commence à se poser des questions sur le temps que met Alice a revenir quand on la voit apparaître à la porte laissée ouverte.

Elle tire Flynn, le portant à moitié. Toute la maison se précipite derrière eux, alerte. Le regard que me lance la jeune fille est terrifié, alors que le garçon s’écroule sur elle.

Je me lance vers eux, sans faire attention au regard venimeux de Jérémy. S’il trouve encore le moyen de m’en vouloir alors que l’un de ses meilleurs potes tombe dans les pommes, c’est qu’il a vraiment un grain.

— Qu’est-ce qu’il a ? je demande à Alice en l’aidant à le soutenir.

Je glisse un bras autour de sa taille, et m’efforce de le porter. Il est plus lourd qu’il en à l’air.

— Je t’expliquerai dans la voiture. Il faut l’emmener à l’hôpital !

— Non… marmonne-t-il. Pas l’hôpital.

Alice souffre pour lui.

— Il sait pas ce qu’il dit…

— Pas l’hôpital, répète-t-il.

Alors qu’on arrive à la voiture, Audra et Déborah nous aident à le hisser sur la banquette arrière. Il n’a plus tous ses esprits, et est sur le point de s’endormir. Je me tourne vers Tim, qui se glisse derrière le volant.

— On va l’emmener chez moi, décidé-je. Je vais te montrer le chemin.

Alors que je m’assois à côté de Flynn, Alice demande à ses deux amies de revenir avec elle à l’intérieur. Elle me promet de me rejoindre ensuite, et je referme la porte au moment où Tim appuie sur l’embrayage.

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