Chapitre 25

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J’arrive de bonne heure chez les Pacat le lendemain matin. Sabine traîne en vitesse Luke et David dans la voiture, et je me retrouve seul avec la petite Ginny. Celle-ci, dès qu’elle voit l’Intégral de Narnia dans mes mains, me pousse à continuer la lecture.

— Je veux savoir ce qui arrive après qu’Aslan ait créé Narnia, répète-t-elle alors que je reprends place dans le fauteuil.

Son excitation et sa passion pour l’histoire me font sourire.

De nouveau, il me faut un petit temps pour m’habituer à lire à voix haute, mais je reprends vite le rythme. Ginny me regarde avec les mêmes étoiles dans les yeux que Alice quand je lui parlais de Paris, et de la Tour Eiffel.

Je ne sais pas exactement combien de temps je lis avant qu’elle ne commence à piquer du nez – en tout cas, j’ai terminé le premier tome. Quand je vois qu’elle dort pour de bon, je repose le livre sur la table basse et je vais dans le jardin arrière à pas de loup, pour ne pas la réveiller.

L’air matinal est bon, et plutôt frais. D’ici, on ne sent pas l’air salin de la mer. L’absence de l’odeur du tabac me confirme que Flynn n’est pas ici. Quand bien même, je ne crois pas que j’aurais été le voir.

Après avoir respiré un bon moment, je reviens à l’intérieur, au cas où Ginny se serait réveillé. Mais elle dort tranquillement sur le canapé. Alors je vais me servir un verre d’eau dans la cuisine, et je surf sur Instagram et Facebook, regardant les nouvelles des quelques centaines de comptes auxquels je suis abonné. La plupart sont des gens que je côtoyais dans diverses villes du pays, et à qui je ne parlerais plus jamais, alors comme j’ai du temps à tuer, je décide de faire le trie dans ces abonnements.

J’en ai supprimé près d’une cinquantaine quand j’arrête et que je passe à des vidéos YouTube. J’adore les formats historiques de Nota Bene ou les reprises de BO de films de Samuel Kim. Je suis en train d’écouter un remix de Star Wars lorsque j’entends la porte d’entrée s’ouvrir, et des voix graves résonner dans le couloir.

Aussitôt, je retire mes écouteurs et marmonne que la petite est en train de dormir, avant de me rendre compte que ce sont Flynn et Noah.

— T’es encore là, grogne le premier en me voyant apparaître.

Je remarque qu’il a au moins diminué le volume de sa voix.

— Oui, je suis encore là, réponds-je sèchement.

— Sabine ne m’a rien dit.

— Peut-être parce-qu’elle savait que tu serais pas là.

Je vois ses narines se dilater, et ses points se serrer. Je suis sûr qu’il meurt d’envie de m’en coller une, mais j’ai pas le temps de m’en assurer avant que Noah ne l’entraîne dans les escaliers.

Alors que j’entends la porte de sa chambre se refermer, je vais vérifier que Ginny dort toujours. Quand j’apparais dans le salon, elle a les yeux grands ouverts.

— Il avait pas l’air content, dit-elle.

— Il avait peut-être envie de rester avec toi, dis-je d’une voix douce en m’approchant.

Je ne sais pas vraiment comment me comporter avec les enfants. Jusqu’à présent, tout s’est montré assez facile, mais si je dois commencer à la réconforter je vais me sentir perdu.

— Flynn est presque jamais là, ces temps-ci, marmonne-t-elle.

Elle a l’air terriblement déçue, et je me creuse le crâne pour trouver un truc à dire quand elle lâche d’une voix un peu plus joyeuse :

— Mais c’est pas grave si tu viens me lire Narnia.

Ça me fait rire et, forcément, je me retrouve une nouvelle fois en train de lire.

Bah, ça pourrait être pire !

Je viens à peine de formuler cette pensée que j’entends une porte s’ouvrir à l’étage et des pas précipités dans l’escalier. Puis la voix de Flynn, qui résonne :

— Mec, attend, je…

— Tu crois sérieusement que je vais continuer comme ça ?

Flynn rattrape Noah dans l’entrée. De là, on peut juste voir le dealer devant la porte ouverte.

— Trouve du fric pour payer la came, ou passe-t-en, mais je peux plus rien t’avancer.

Il s’en va, plantant Flynn devant la porte. Ce dernier la referme doucement, l’air furieux, quand il nous aperçoit, Ginny et moi, les yeux rivés sur lui.

— C’est quoi de la came ? Demande la petite fille.

Je suis bien en peine de lui répondre, je suis pas là pour lui expliquer ce qu’est la drogue. Flynn a l’air encore plus dévasté en entendant cette question qu’en se faisant rembarrer par Noah. Il ouvre la bouche, sans qu’aucun son n’en sorte.

— Sabine va encore être en colère ? Insiste-t-elle.

Flynn a l’air de se reprendre. Il vient vers nous – ou plutôt vers elle – en s’obligeant à sourire, ce qui a l’air de lui être vraiment difficile.

— Non, t’inquiète pas, chipie, Sabine va rien dire.

— La dernière fois elle a dit…

— Je sais ce qu’elle a dit, la coupe-t-il. Mais je te promets que ça va pas arriver. Je… Je vais vous laisser lire ce livre, il a l’air vraiment génial, euh… Narnia, c’est ça ?

— Oui ! s’exclame Ginny. Avec le lion Aslan. Tu restes écouter, toi aussi ? S’il-te-plaît ?

Je suis mortifié. Intérieurement, j’ai envie de prier à genoux Flynn de refuser, de remonter dans sa chambre et de nous laisser. Mais en même temps je vois la douceur de ses yeux quand il regarde la petite fille de huit ans, je vois à quel point il prend sur lui pour la protéger, et je me rends qu’il ferait vraiment n’importe quoi pour elle.

Même rester m’écouter lire les Chroniques de Narnia.

— Euh… OK, je… je vais rester.

Il me lance un bref regard, le premier qui ne soit pas désagréable, et qui me fait comprendre qu’il est au moins aussi gêné que moi.

Je rouvre le livre et déglutis avec la sensation d’avoir un caillou dans la gorge. Flynn s’assoit à côté de Ginny, et reste fixer la table basse tandis que je commence à lire. J’arrête pas de buter sur les mots, de relire la même phrase et de m’excuser, comme lorsque je dois lire un extrait en cours, devant le reste de la classe.

Là, maintenant, j’ai vraiment envie de disparaître dans un trou de souris.

La torture dure bien une bonne heure, quand la porte s’ouvre et que Sabine entre toute seule. Elle nous aperçoit, Flynn et moi, tourner d’un même mouvement la tête vers elle et en quelques secondes je vois dans son regard amusé qu’elle a compris dans quelle situation on se trouve.

— Alors, Ginny, tu t’es amusée ?

— Ouais ! s’exclame-t-elle en se levant. C’était génial, on peut inviter Joshua plus souvent ?

Sabine me jette un regard amusé, bien loin de celui dépassé qu’elle avait avant de partir. Une seconde, j’oublie ma gêne et je me sens content de pouvoir l’aider. Puis je vois Flynn se lever en même temps que moi, et me suivre jusqu’au couloir en se frottant la nuque d’un air gêné.

— Tu es rentré depuis longtemps ? Demande Sabine.

Je n’arrive pas à savoir ce que signifie la lumière dans ses yeux. L’attente, l’appréhension, comme si elle avait peur que quelque chose se passe mal une nouvelle fois, mais qu’elle espérait quand même qu’il la contre-dirait.

— Oui, il s’est disputé avec son ami, dit Ginny.

— Vraiment ?

Clairement, Sabine s’attend au pire.

— Il a parlé de…

— D’argent ! j’interviens. Flynn avait pas les moyens d’aller à la fête foraine.

J’improvise en me demandant si c’est même crédible, mais je n’arrive pas à empêcher les mots de franchir mes lèvres. Ginny me jette un regard, l’air de ne pas comprendre, avant de hausser imperceptiblement les épaules. Les conversations de grands n’ont pas l’air de beaucoup l’intéresser.

— Tu pouvais me demander de l’argent pour ça, dit Sabine à Flynn d’un air rassuré.

Flynn me regarde, l’air paumé.

— Je… ne voulais pas te déranger.

— Ils ne viennent qu’une fois par an. Je peux…

— Non, insiste-t-il. Vraiment, je n’en ai pas besoin.

— Tu es sûr ? Ça me dérange…

— Non. Vraiment.

Sabine laisse tomber, et en souriant à Ginny elle va dans la cuisine. La petite fille la suit, nous laissant seuls, Flynn et moi.

— C’était quoi, ça ?

Je hausse les épaules.

— J’ai voulu aider.

— J’ai pas besoin de…

Il ne termine pas. Au lieu de ça, il lève les yeux vers moi comme si ça lui était douloureux.

— Merci.

Je ne réponds pas. J’ai l’impression qu’il va avoir des problèmes autrement plus sérieux. Les paroles de Alice me reviennent en tête, et ce qu’il m’a dit dans les escaliers du lycée aussi. Il trempe dans des trucs clairement pas clean, et je suis certain que si Noah ne lui donne pas ce qu’il veut il ne va pas aller bien très longtemps.

— Tu es toujours comme ça ? Me demande-t-il soudain ?

— Comment ?

— Gentil.

Je ricane.

— Tu me reproches d’être gentil ?

— D’être trop gentil. Tu as l’air vraiment naïf.

La remarque gratuite me met en colère. Je sens ma mâchoire se contracter.

— Pas suffisamment pour croire que tu vas arrêter de causer des problèmes.

Je le laisse là et vais prévenir Sabine que je m’en vais. Elle me remercie chaleureusement pour être venu, et me donne un nouveau billet, mais cette fois je parviens à refuser en le confiant à Ginny, qui demande au même moment si elle peut aller à la fête foraine elle aussi.

Quand je sors de la maison, Flynn a disparu, et quand je reviens dans ma voiture, je m’en veux de ce que je lui ai balancé à la figure.

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