Chapitre 24

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Quand je rentre de cours ce soir-là, j’hésite à parler à Nicole de ce que j’ai pu comprendre sur Flynn. Ma mère est la nouvelle psy de Luke, et peut-être même de tous les autres enfants gardés par les Pacat. Ça pourrait peut-être être important, et aider Flynn. Malgré son inimitié complète à mon égard, j’ai pas envie qu’il lui arrive des merdes.

Pas plus que ce qu’il a déjà vécu, en tout cas.

Pourtant je garde le silence et passe la plupart de mon temps dans la dépendance. Je n’en sors que pour aller courir avec Lista avant d’aller me coucher, et sans m’en rendre compte le reste de la semaine s’est passé, et j’arrête de penser à Flynn.

Je me réveille tôt le samedi matin, content de savoir que je vais revoir Alice et passer l’après-midi avec elle.

Je passe plus de temps que d’habitude à me préparer, et je me rends compte que tous mes vêtements se ressemblent à peu près. Comme il fait encore assez chaud, et que le ciel est clair au début de l’après-midi, je décide de ne prendre qu’un tee-shirt et un jean achetés à H&M avec Lista lundi dernier. Je mets un sweat à capuche dans le coffre de ma voiture, juste au cas où, avant de partir chercher Alice devant chez elle.

Quand elle entre dans ma la voiture, sa première réflexion me rend incrédule :

— J’adore l’odeur des voitures neuves.

Je rigole, et elle me jette un regard faussement offensé.

— Te moque pas de moi, chacun ses goûts.

Je la laisse me guider, parce que la fête foraine se trouve à Villeray, une ville à quarante minutes de Larmore-baie. En route, je me dis que j’espère que les choses vont bien se passer parce que rien ne serait pire que le retour dans un silence gênant. Heureusement, pour le moment tout se passe parfaitement. Je suis très à l’aise avec Alice. Je parle et je me comporte comme si les choses allaient de soit, sans me poser mille questions, et ça fait un bien fou !

Elle remarque même le changement minime dans ma coupe de cheveux, malgré qu’elle m’ait vu la plupart du temps dans l’obscurité, chez Charlie.

J’apprends beaucoup sur elle pendant les quarante minutes de route. Elle est née à l’hôpital de Larmore-baie, et elle n’a jamais quitté le département. Comme elle fait ses études à domicile, elle n’a jamais pu compter sur les voyages scolaires. Pourtant, elle aimerait parcourir le monde, voir les monuments d’Italie, visiter les jardins de Kensington à Londres ou tout simplement la Tour Eiffel à Paris. Pour avoir eut l’occasion de monter dans cette dernière à plusieurs reprises l’année dernière, je sais que c’est une expérience magnifique, et quand je lui décris toutes les sensations qu’on peut ressentir, des étoiles débordent de ses yeux.

On arrive à Villeray vers 15 heures 30, et je dois garer la voiture à deux kilomètres de la fête parce qu’il y a déjà un nombre impressionnant de voitures. Ça ne nous dérange pas de marcher, mais cette fois c’est Alice qui me bombarde de questions, et j’ai l’impression qu’elle veut compenser en quelques heures tout ce que j’ai pu raconter à nos autres amis en plusieurs jours.

— Viens, c’est par-là, dit-elle en m’entraînant dans une petite ruelle qui forme un raccourci jusqu’à la place de la fête.

On sort derrière de grandes structures en métal, dont on fait le tour pour arriver au milieu de la fête foraine. Le bruit, l’odeur de sucreries mêlé au parfum forain, et l’explosion de couleurs tout autour de nous éclatent dans ma tête.

— Par quoi est-ce que tu veux commencer ? Je demande alors qu’on fait le tour des manèges.

Je ne pense pas qu’on croisera des gens qu’on connaît, et savoir qu’on est juste tous les deux à profiter de cette journée me rend extatique.

— Un truc qui bouge, répond-elle du tac au tac. Genre, ce truc…

Elle désigne une structure qui s’élève sur plusieurs dizaines de mètres avant de retomber tout d’un coup, de remonter, puis de retomber… Le genre de truc qui va me faire recracher mon repas de midi à coup sûr !

Alice me lance un regard, genre « Cap ou pas cap ? », et piqué par son défi je vais payer nos billets avant qu’on aille mettre notre harnachement.

— Tu as déjà fais un truc comme ça ? Me demande-t-elle alors que j’attends, le ventre noué, que la torture commence.

— Euh, non… jamais.

Véridique. J’ai jamais été plus loin que la chenille.

— Tu t’attendais pas à ce qu’on se contente du bateau pirate ? se moque-t-elle.

— Même ça c’est un peu trop pour moi.

J’entends son éclat de rire, qui me redonne un peu de courage alors que le forain annonce que le manège va bientôt commencer. Alors qu’on s’éloigne doucement du sol, je ferme les yeux pour éviter d’avoir le vertige, avant de me rendre compte que c’est encore pire.

Pourtant, je ne suis pas du genre trouillard. Je sais que après ça, ou peut-être une structure à sensation de plus, je me serais habitué et j’adorerais ça. Mais pour le moment, je suis encore dans la phase d’appréhension.

Lorsque la pression lâche et qu’on est expédies vers le sol à une vitesse folle, mon cri accompagne celui d’Alice, dont les cheveux partent dans tous les sens. Il ne s’agit que de quelques secondes, une ou deux minutes, tout au plus, pendant lequel le processus se répète, et quand on vient nous enlever la sécurité, on avance tous les deux à pas incertains.

— J’adore ces trucs, s’exclame Alice en se rattrapant à une rambarde pour ne pas tomber, morte de rire. Pas besoin d’alcool quand on peut monter là-dedans.

Au bout de quinze minutes à faire des manèges similaires, je me retrouve dans le même état d’euphorie, et on ne peux pas s’empêcher de rigoler pour un rien. On décide cependant d’arrêter et de nous contenter d’activités plus soft quand on s’arrête à un stand de sucrerie, histoire de ne pas rendre aussitôt ce qu’on vient d’avaler.

— Cap ou pas cap de me gagner le dinosaure, je fais en montrant la peluche au dessus d’un stand de tir.

Alice hausse les sourcils, mais prend le pari. Elle manie la carabine comme si elle avait l’habitude de tirer avec des armes tous les jours. Elle ne rate aucun tir, et quelques minutes plus tard, je me retrouve avec une peluche verte de la taille de ma tête dans les mains.

— Comment… ?

— Je viens ici tous les ans. Crois-moi, je sais gagner les paris.

On avance jusqu’au simulateur 3D, puis on enchaîne avec les machines où on doit attraper des peluches avec des pinces, et j’en gagne une de Krokmou pour Alice.

On a bien avancé dans la journée, et on a fait presque tout le tour quand mon téléphone se met à sonner dans ma poche. M’attendant à un appel de mes mères, ou bien de Charlie pour me proposer une autre de ses soirées film (qui ont l’air d’être une vraie institution le samedi soir), je suis surpris de lire le nom de Sabine. J’accepte l’appel tout de suite.

— Oui, allô ?

— Joshua, je ne te dérange pas ?

Je jette un coup d’œil à Alice, qui s’est éloigné pour nous prendre une barbe à papa à partager.

— Non, tu ne me dérange pas du tout.

— D’accord. Je me demandais si tu étais libre demain matin, pour garder Ginny. Je sais que je te demande à la dernière minute, je suis consciente que…

— Ne t’inquiète pas, la coupé-je en riant un peu. Demain matin, je suis libre. Tu veux que je passe à quelle heure ?

— Neuf heures, ça te convient ?

— C’est super.

— Merci, Joshua, tu nous sauves la vie.

On se salut chaleureusement – cette femme est adorable – et je raccroche juste au moment où Alice me rejoint. Elle me jette juste un coup d’œil interrogateur. L’honnêteté d’Alice est l’une des choses que j’aime le plus chez elle. Elle ne fait pas semblant de ne pas être intéressé par l’appel, mais elle a suffisamment de bienséance pour ne pas me bombarder de questions.

Alors, c’est assez naturellement que je lui explique que je vais garder Ginny de temps en temps, quand les Pacat en auront besoin.

— C’est vraiment gentil de ta part, commente-t-elle en arrachant un bout de sucrerie rose.

Juste avant de s’arrêter.

— Attend… Les Pacat, c’est pas la famille d’accueil de Flynn ?

Je hausse la tête, un peu maussadement parce que j’ai encore notre altercation en tête.

— Je peux te demander quelque chose ?

Je hoche la tête.

— Ne juges pas Flynn trop sévèrement.

Pour le coup, je sais plus quoi dire. Elle s’humecte les lèvres, qui sont pleines de sucre, et je songe que je les aurais trouvées très attirantes si elle ne venait pas de me lancer une bombe pareille.

— Pourquoi tu me demandes ça ?

— Parce-que tout le monde donne son avis sur la façon dont Flynn réagit à la mort de ses parents, mais j’ai l’impression que personne n’essaye vraiment de l’aider. Il est un peu perdu et… Toi, je sens que tu es quelqu’un de bien, et j’ai pas envie que tu te bases sur ta première impression.

— Il a l’air important pour toi.

— On était très amis, avant. Mais depuis trois ans – depuis l’accident, il s’est éloigné de tout le monde. Il est juste assez près de nous pour qu’on le voie sombrer, et il refuse toute l’aide qu’on essaye de lui apporter. C’est pas un mec méchant. Il souffre juste.

J’essaie de repenser à la discussion que nous avons eu dans les escaliers, au lycée. Flynn avait l’air terrifié à l’idée que ses amis découvrent son mystérieux secret, la véritable chose que Noah lui vend. Il s’est éloigné de tout le monde, mais ça ne veut pas dire qu’ils ne sont plus importants pour lui, ça j’en suis convaincu.

— Flynn est le mec le plus désagréable que j’ai rencontré ici, fais-je remarquer à Alice. Et pourtant je vois Jérémy presque tous les jours. Mais ça veut pas dire que c’est quelqu’un de mauvais. J’avais compris ça avant que tu me parles de lui.

Alice sourit, et elle a l’air plus sereine.

— D’accord. T’es vraiment pas banal, toi.

Je hausse les épaules avec un sourire goguenard, et je lui tire la langue, comme un enfant. Son rire efface toute l’importance de cette discussion, et on retrouve notre attitude légère et agréable. Le reste de la journée se passe aussi bien qu’elle a commencé, et c’est sans vraiment en avoir envie que je reprends le volant pour rentrer à Larmore-baie.

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