Chapitre 22

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Le centre-commercial est gigantesque. Je suis Lista dans un magasin de musique, où elle fait le tour des vinyles, et des partitions. Elle joue du piano depuis qu’elle est toute petite, mais comme j’ai « interdiction » d’entrer chez elle, je ne l’ai jamais entendu. Ça me dégoûte un peu, je suis sûr qu’elle est très douée.

On fait un peu de lèche-vitrine, et je craque sur un tee-shirt à H&M. Je lui achète une paire de chaussettes avec des petits chats dessus, et j’essaie de ne pas craquer devant son sourire ravi. Quand on passe devant un coiffeur, Lista me met au défi d’aller demander une nouvelle coupe de cheveux. Elle est morte de rire quand je me présente devant la coiffeuse et qu’elle m’annonce qu’elle peut me recevoir tout de suite.

— Voyons voir ça, dit Lista en prenant un livre d’images. Qu’est-ce qui te ferais plaisir ? Je paris que la crête te va super bien !

Quand la coiffeuse s’approche de moi avec ses ciseaux et la tondeuse, je panique. Je me dégonfle et lui demande juste de m’égaliser les côtés et de raser les cheveux qui rebiquent dans ma nuque.

— C’est pas ce qu’on avait convenu, se moque gentiment Lista tandis que je paye la séance.

— Je tiens à mes cheveux. J’aimerais bien t’y voir.

Quand on sort, Lista m’avoue qu’elle aurait bien aimé se faire des mèches roses, ou rouges.

— Mais si je rentre à la maison avec ça, c’est sûr je me fait tuer !

Elle dit ça en rigolant, et je me rends compte qu’elle est vraiment de bonne humeur. La tristesse qu’elle manifestait tantôt a presque disparu de ses pupilles, et je me félicite d’y avoir contribué.

Cependant, il commence à se faire tard. Comme on a fini à 17 heures, l’heure de fermeture des boutiques est presque là. On se dirige alors vers la sortie du centre-commercial, sans trop savoir si on va rentrer, ou si on s’arrête quelque part.

Je me pose la question silencieusement quand Lista arrête subitement de marcher. Je m’interromps quelques pas plus loin, et suis son regard, dirigé droit sur deux filles qui avancent vers nous. C’est Audra et Déborah, qui ne nous ont pas encore remarqué.

— Tu veux aller leur parler ? Je propose.

Lista me jette un regard à la fois terrifié et très triste.

— Je sais que tu t’en veux, et tu te sentiras comme ça chaque fois que tu les verras si vous crevez pas l’abcès.

Elle sait que j’ai raison, mais on sait aussi que Déborah est très remontée, et que ça peut vite déraper. Je suis pas psy, comme ma mère, et je prétends pas avoir toujours la solution à tout, mais si Nicole m’a bien apprit quelque chose, c’est que garder le mal pour soi n’amène jamais rien de bon.

— Et qu’est-ce que je dois lui dire ? Demande Lista alors que les deux filles se rendent compte de notre présence.

— Exactement ce que tu m’as dit l’autre jour.

Lista prend une profonde inspiration, histoire de se donner du courage. Elle me demande de rester à l’écart, ce que je comprends totalement. Je la regarde partir à leur rencontre et engager la conversation.

Tout d’abord, je vois les visages de Audra et Déborah qui n’hésitent pas à l’envoyer voir ailleurs. Mais je crois deviner que Lista insiste, et elle parle longtemps, sans que les deux filles ne l’interrompent. Je n’en suis pas sûr, à cette distance, mais j’ai l’impression qu’elle s’adresse davantage à Déborah.

C’est agaçant de ne pas savoir ce qu’elles se disent. C’est le genre de moment où on aimerait bien savoir lire sur les lèvres. Au bout d’un moment, je vois l’expression des deux filles s’adoucir un peu, ce que je prends pour un encouragement. Lista pose la main sur le bras de Déborah, et cette dernière sourit. Elles reviennent toutes les trois vers moi.

— Merci de m’avoir écouté, dit Lista en revenant à mes côtés.

— Merci d’être venu me parler, répond Déborah.

Ce n’est pas l’amour fou, mais la chaleur dans ces mots ne sont pas feins. Nos deux groupes se séparent, et je sens que Lista est un peu plus sereine maintenant.

— Ça s’est bien passé, commenté-je.

— Oui.

Elle tourne vers moi un regard très chaleureux, et un vrai sourire qui pourrait me faire fondre si je ne me serinais pas qu’on n’est qu’amis.

— Merci de m’avoir poussé à aller lui parler. Tu es toujours de bons conseils.

— Pas toujours, fais-je en rougissant.

Son rire est très doux.

— Le jour où je me planterais, tu me promets de me pardonner ? Fais-je à moitié sérieux.

— Je crois pas que ce jour existe.

Le meilleur, c’est que je sens qu’elle le pense vraiment.

On rejoint ma voiture et on traîne un peu sur les routes. Lista me donne quelques adresses intéressantes, comme une librairie qui accueille régulièrement des auteurs du coin, ou un collègue de son père chez qui je pourrais me fournir en équipement de jardinage, maintenant que j’évite sa boutique.

Parler de son père la tend un petit peu, mais moins que lorsque nous rentrions du lycée. J’ai l’impression que passer du temps ensemble lui a bien égayé la journée, et j’en suis content.

On approche dangereusement du moment de rentrer. Roulant au pas, on longe la plage, et les rochers, sur lesquels la mer méditerranée s’écrase en gerbes d’écumes. Moins calme que la dernière fois, le vent pousse les vagues, de plus en plus violentes. Les fenêtres grandes ouvertes, on respire l’air salin, alors que le vent ébouriffe nos cheveux.

Quand je regarde le visage de Lista, ses cheveux blonds dans tous les sens, j’ai l’impression que le temps ralenti. Son sourire éclatant, et la lumière dans ses yeux, font vibrer quelque chose en moi, et je détourne le regard avec regret, obligeant mes yeux à rester focalisés sur la route.

Il est presque 20 heures quand je gare la voiture dans l’allée de ma maison. Lista me quitte avec un baiser furtif sur la joue, et je suis bien content qu’elle s’en aille sans me voir rougir comme une pivoine. Un moment je me dis que je devrais observer si elle se comporte ainsi avec tous ses amis, mais je me rends compte que je l’observe déjà suffisamment.

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