Chapitre 20

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Il est décidé d’un commun accord d’enchaîner avec un film un peu plus léger. Charlie a un regard terrifié qui fait rire presque tout le monde. Seules Lista et Alice restent silencieuses, même si elles n’ont pas l’air plus touchées que ça par le film d’horreur.

Tandis que les garçons refont le plein de nourriture et de boisson avant de lancer Peter Pan, Alice se lève et s’excuse pour son départ précipité. Je remarque le coup d’œil condescendant de Jérémy et celui, un peu perdu, de sa petite-amie. Je songe que Lista n’a peut-être pas autant que ça oublié l’attitude du garçon à sa dernière soirée.

Comme personne ne fait attention au fait que Alice s’en va, je décide de la raccompagner. Quand on sort dans l’air frais du début de nuit, je ne peux pas m’empêcher de ressentir un léger frisson.

— Tu veux que je te ramène en voiture ? Je propose en descendant l’allée avec elle.

— Non, ça va, je vais marcher.

Devant mon regard, elle ajoute :

— J’habite à deux rues.

Je suis pas certain que ça me rassure, mais je veux pas paraître lourd en insistant. Quand on arrive au portail, je remarque qu’elle hésite. Elle coule un regard vers moi.

— Tu crois qu’on pourrait se voir, maintenant qu’on se connaît ?

Un sourire fend mon visage sans que j’arrive à l’empêcher.

— Genre, un rencard ?

Elle rigole avec moi.

— Tu veux pas être plus ringard ?

— Outch, t’es dure.

— Désolée, dit-elle en rigolant encore. Mais on se connaît depuis deux heures à peine, je pensais plutôt à une sortie entre amis.

— Ce serait super.

Elle sourit de nouveau – un vrai sourire, éclatant dans l’obscurité – et elle commence à s’éloigner. Au bout de trois mètres, alors que je la regarde partir, elle se retourne :

— Demande mon numéro à Charlie et… tu pourras me proposer un rencard la prochaine fois qu’on se verra.

Sans attendre de réponse, elle reprend sa route. Je continue de la regarder avec un sourire idiot avant de retourner à l’intérieur.

Lorsque je referme la porte d’entrée, Jérémy est juste devant moi.

— Elle te plaît ? Demande-t-il avec un haussement de sourcils suggestif.

Comment briser un charme… Je sens mon sourire qui s’évanouit.

— Le film va commencer, dis-je pour éluder la question.

De manière beaucoup trop brutale pour qu’il ne se rende pas compte de son indiscrétion. Pourtant il insiste :

— Tu devrais sortir avec elle, vous iriez bien ensemble.

— On n’en a pas parlé, mens-je.

— Bah tu devrais lui proposer.

— Pourquoi tu me parles de ça ?

J’ai parlé trop sèchement, et il l’a senti lui aussi. Son sourire goguenard s’efface, et il hausse les épaules. Pour la première fois, il ne manifeste pas envers moi une amitié feinte.

— Je disais ça comme ça…

Il me plante au milieu du couloir, et quand j’arrive Charlie n’attend plus que moi. J’attrape une nouvelle bouteille de bière sur la table basse et le décapsuleur, en évitant de regarder Jérémy et Lista. Le générique si reconnaissable du film retentit dans la pièce sombre.

Je ne peux pas m’empêcher de ressasser des pensées sombres tout au long du film. Je m’efforce de ne pas jeter des coups d’œil sombres au type qui entoure Lista de son bras, mais il commence sérieusement à me taper sur les nerfs. Depuis que je le connais, j’ai l’impression qu’il n’y a que ses amis proches et sa petite-copine pour dire du bien de lui. Audra et Déborah m’ont directement conseillé de me méfier de lui, et Alice avait les mots sur les lèvres depuis son entrée dans la maison.

Et puis, je n’arrive pas à m’enlever de la tête la détresse de Lista quand il l’a chassé de sa fête parce-qu’elle avait refusé de coucher avec lui. Plus on passe du temps ensemble, et plus je trouve ce mec méprisable, et j’ai du mal à comprendre pourquoi elle a une telle confiance aveugle en lui.

Parce-que, toi, tu n’as pas confiance en elle ?

La question me trotte dans la tête trop longtemps à mon goût. Pourtant, elle est pertinente. J’aime beaucoup Lista, elle m’a plu la première fois qu’on s’est rencontré, et pas seulement physiquement. Sa gentillesse et sa douceur se sont chargés de m’envoûter totalement. J’ai du mal à me l’enlever de la tête, et même mes mères s’en sont rendues compte. Je me demande combien de temps il va falloir pour que tout le monde au lycée en fasse de même.

Je sais bien que j’ai aucune chance avec elle. Jamais elle quittera Jérémy, qu’elle connaît depuis des années, pour moi, qu’elle a rencontré il y a moins de trois semaines.

Je garde en tête tout au long de la soirée de ne pas oublier de demander à Charlie le numéro de téléphone de Alice. Je compte bien la rappeler, et la revoir. Quand je parle avec elle, je me sens bien, et je ne suis pas obligé de faire attention à ce que je dis pour pas faire une bourde. Je suis le premier à dire qu’il ne faut pas voir une fille pour en oublier une autre, mais jusqu’à présent je n’ai jamais été amoureux.

C’est un bien grand mot. Il me fait rire au pire moment du film, ce qui m’attire des regards surpris. Je camoufle mon sourire en terminant ma deuxième bouteille de bière, que j’ai descendu tout au long de mes interrogations.

Il est minuit passé quand le film se termine. Lucie rallume la lumière et on peut voir que tout le monde à les yeux fatigués. Moi, l’alcool commence sérieusement à me monter à la tête. Pour quelqu’un qui n’a du tout l’habitude de boire, trois bouteilles en moins de trois heures ça commence à faire beaucoup.

Finalement, tout le monde décide de ne pas mettre un nouveau film, et on commence à discuter de tout et de rien, juste histoire de prolonger la soirée. Je finis par m’allonger à moité sur le canapé, dont j’ai toute la place.

Je suis en train de me mordre l’intérieur des joues, plongé dans mes pensées, quand Lucie m’interroge sur mon baby-sitting de l’après-midi. Je trouve ça bizarre que ça les intéresse à ce point, mais c’est peut-être à cause du fameux charme des petites-villes.

— Je rendais juste un service à ma mère, dis-je, évasif.

— Ta mère garde des enfants ?

— Non, elle est psy.

— C’est elle, la nouvelle psy de Flynn ? Demande Charlie.

— Aucune idée.

Je fais la moue en haussant les épaules. Pourtant ça m’intéresse.

— Flynn voit un psy ?

En temps normal, j’aurais pas posé la question, juste par tact. Mais les bières délient ma langue. De toute façon, je suis sûr que demain matin tout le monde aura oublié de quoi on a parlé, et ils s’étonneront encore que j’ai gardé Ginny.

— Ouais, depuis la mort de ses parents. Il en veut pas, mais sa famille d’accueil l’oblige un peu.

— Quand est-ce qu’ils sont morts ?

— Y a deux ans ? Suppose Charlie.

— Trois, rectifie Jérémy.

— Ouais, trois. C’est à partir de là qu’il a commencé à fréquenter Noah.

— Il devrait s’en passer, marmonne Lista. Noah l’aide pas.

— Ça le regarde, répond sèchement Jérémy en retirant son bras de ses épaules.

Je me demande si je suis le seul à remarquer le regard étonné qu’elle lui lance. La conversation finit par dévier sur autre chose, ce qui a l’air de soulager tout le monde. Pourtant, à partir de là, Jérémy se montre fermé. Quand la pendule affiche 2 heures, presque tout le monde est rentré, à part Antoine qui reste dormir, et Lista, qui rentre avec moi.

Jérémy l’a abandonné depuis une demi-heure, et elle se montre beaucoup trop soulagée quand je lui propose de rentrer, une fois que je me sens capable de conduire sans danger.

— Il fait froid, marmonne-t-elle en se frottant les bras.

Je résiste à l’envie de lui passer ma veste et allume le chauffage. On roule depuis quelques minutes quand je laisse la curiosité me ronger et demande :

— C’est qui Noah ?

Elle me jette un regard surpris.

— Tu as pas arrêté de le dénigrer de la soirée.

— Oh…

Elle semble se rendre compte de la façon dont elle parlait de lui, comme si c’était une habitude à laquelle elle ne pensait jamais.

— Je sais pas trop. Il est vraiment bizarre.

— Il traîne jamais avec vous ?

Elle secoue la tête.

— À des soirées des fois. Mais sinon il reste toujours tout seul, sauf quand il est avec Flynn. Ils fument derrière le gymnase pendant les pauses.

Le fameux type qui m’avait proposé un joint. Je suis quasiment sûr que c’était pas du tabac ordinaire.

— Y a pas que des gens bien à Larmore-baie, finit-elle par murmurer.

On approche de notre quartier. Les lampadaires sont éteints depuis un moment, mais mes phares neufs éclairent très bien la route devant nous. Je me rends compte que c’était un peu trop audacieux de prendre le volant aussi tôt. Je suis soulagé qu’on arrive sans problème. Je referais pas cette erreur.

— J’ai cru comprendre, réponds-je en garant la voiture.

Je ne suis pas certain qu’elle m’ait entendu. On sort tous les deux, et on se salut rapidement. On a tous les deux aussi hâtes l’un que l’autre de retrouver notre lit.

Je ferme la porte de la dépendance et laisse les clés sur la table avant de m’écrouler sur le matelas. Le silence est si profond que j’entends mon sang battre dans mes tempes. Mes yeux me piquent et j’ai la tête qui tourne. C’était vraiment une soirée de merde.

Je me fais la réflexion au moment où je me rends compte que j’ai oublié de demander à Charlie le numéro d’Alice.

Putain de soirée…

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