Quand on arrive devant la maison de Charlie, je m’attends à voir une foule enivrée comme à la soirée de rentrée de Jérémy. Mais la rue est très calme, et mis à part la lumière allumée au rez-de-chaussée, on pourrait croire que tout le monde est allé se coucher.

J’entre en dernier, et referme la porte en jetant un coup d’œil curieux. La porte d’entrée donne directement sur le salon, mais du bruit provient d’une pièce voisine, où Jérémy se dirige directement, sans nous attendre, Lista et moi.

— Tu as l’air surpris, fait cette dernière en me souriant.

Son sourire est magnifique, et je me retiens de le lui dire. J’ai envie de me mettre une gifle, histoire de me remettre à ma place.

— Je m’attendais à…

— À une soirée avec DJ et fûts de bière ?

— À peu de chose près.

Elle rigole, ce qui me fait aussitôt sourire. C’est dingue l’énergie que peut provoquer le son de sa voix.

— Ses parents sont en haut, c’est pour ça ? Je demande d’une voix pleine d’ironie.

— Non, mais Charlie n’organise jamais de grands trucs. On va juste regarder des films en mangeant des chips.

— Cool.

Je ne suis pas foncièrement contre les soirées en grandes pompes comme celle de Jérémy. Quand je sais avec qui traîner, je peux passer une nuit géniale. Mais les premiers jours, j’ai toujours l’impression d’être de trop. Regarder un film en mangeant des cochonneries, c’est dans mes cordes.

Quand on rejoint les autres, la télévision gigantesque est allumée, et une discussion agitée à lieue tandis que Charlie fait défiler les films qu’il a téléchargé sur internet. Il y a une dizaine de personnes, tout au plus, et j’arrive maintenant à mettre un nom sur tout le monde. Je m’étonne cependant de ne pas trouver Flynn.

— Il est avec Noah, dit Antoine.

— Je sais pas ce qu’il lui trouve, fait remarquer Lista.

Elle s’est assise sur le canapé, les jambes ramenés contre sa poitrine. Je surprends un regard entendu entre Jérémy et Antoine, mais il est si bref que je n’en suis pas sûr.

Finalement, après dix minutes à se prendre le bec, tout le monde est d’accord pour mettre un film d’horreur que je n’ai jamais vu. Tous les paquets de gâteaux et de bonbons sont éparpillés sur une table basse, et trois paquets de pop-cornes glissent de mains en mains quand Charlie éteint la lumière pour nous mettre dans l’ambiance. Je me suis calé dans un canapé assez grand pour deux, mais je suis tout seul.

Antoine me glisse rapidement avant que le film soit lancé qu’il manque encore quelqu’un, aussi je ne suis pas surpris quand la porte de l’entrée s’ouvre, même si certains sursautent.

Une fille apparaît bientôt. Dans l’obscurité, je ne vois que sa silhouette aux jolies courbes, la couleur sombre de ses cheveux et un sourire quand tout le monde lui fait un signe pour la saluer. Elle jette un rapide coup d’œil avant de trouver la dernière place de libre, juste à côté de moi.

— Salut, me chuchote-t-elle en s’asseyant.

Je suis persuadé que je ne l’ai jamais vu avant. Je lui réponds poliment et essaye de me concentrer sur le film, même si c’est assez dur car Lucie, qui l’a déjà vu, n’arrête pas de commenter juste avant les passages censés être flippants.

Pendant la plus grande partie du film, je sirote ma bière en me répétant à chaque gorgée que j’aurais dû prendre un verre de soda. C’est un peu bizarre qu’on réussisse chaque fois à me mettre une bouteille de bière dans la main alors que je n’aime pas particulièrement ça.

Quand Lucie fait remarquer que les prochaines scènes ne sont pas très intéressantes, je décide d’en profiter pour m’éclipser aux toilettes. Heureusement, la maison de Charlie n’est pas bien grande, et je ne me trompe pas longtemps de porte avant de trouver.

Quelques instants plus tard, je sors et vais me laver les mains dans la cuisine. Je suis surpris d’y trouver la fille qui est arrivé en dernier.

— Le film t’intéresse pas ?

Elle lève le regard vers moi, l’air un peu surprise que je lui parle.

— Je l’ai déjà vu.

Je me lave les mains rapidement, mais hésite à retourner devant le film. La fille a l’air ailleurs, et malgré-moi ça m’inquiète un peu.

— Tout va bien ?

Elle répond que oui, et je lui demande avec le plus de tact possible pourquoi je ne l’ai jamais vu.

— Je m’appelle Alice, dit-elle. Charlie m’a invité, mais j’ai hésité à venir. Je traîne pas avec le groupe de Jérémy, en général.

— Pourquoi ? Il y a un problème entre vous ?

Je me souviens de Audra et Déborah, et ce qu’il a dit l’autre soir à Lista. Ce ne serait pas la seule à avoir quelque chose à reprocher à ce type.

— Je suis amie avec Déborah.

Quand on parle du loup, me dis-je.

— J’ai entendu parler de ce qui s’est passé.

— Ouais, c’est minable, commente-t-elle. J’ai jamais vraiment pris part au conflit qui a eu lieu. J’étudie à domicile, donc on m’a pas trop impliqué dans cette merde.

Voilà qui explique donc pourquoi je ne l’ai jamais vu.

— Toi, tu es Joshua ? Le nouveau.

— Ouais, pas top le surnom.

— Tu vas le garder jusqu’à ce qu’un autre arrive. Ça peut prendre du temps.

On rigole tous les deux, pourtant ça n’est pas vraiment drôle. Il y a quelque chose chez elle, qui m’inspire de la sympathie. Et puis, maintenant que je la vois en pleine lumière, je me rends compte qu’elle est très jolie. Malgré-moi, je la compare tout de suite à Lista, bien que leurs beautés n’aient rien en commun. Elles sont toutes les deux très différentes, et très belles à leur façon.

— Tu viens voir la fin du film ?

Je lui tends la main, avant de me dire que c’est un peu bizarre. Je fais mine de la récupérer quand je vois qu’elle tend la sienne aussi. Nos doigts se touchent, avant de se mêler, et j’ai des picotements aux bouts.

— Je pense que je vais rentrer chez moi quand il sera fini.

J’ai envie de lui demander de rester, mais le sourire et la voix de Lista me reviennent en tête, et ça brise tout le charme. On arrive dans la salle-télé quand on se lâche la main, et j’évite de la regarder pendant tout le reste du film.