Chapitre 17

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Ginny est une petite fille de huit ans aux épais cheveux blonds, très silencieuse. Elle ne réagit pas quand je me baisse à sa hauteur pour me présenter. Juste un regard, l’air de me montrer qu’elle m’a entendu, puis elle se détourne pour jouer avec ses poupées.

Je me sens un peu mal à l’aise, parce que j’ai peur de faire une connerie. Beaucoup de questions se bousculent dans ma tête, et j’ai l’impression qu’elle est très fragile, ce qui m’inquiète un peu plus. J’essaie cependant de me montrer le plus confiant possible devant Mme Pacat, histoire qu’au moins un de nous deux soit serein aujourd’hui.

— Bon, on va pouvoir te laisser, dit-elle en regagnant les escaliers et en prenant son manteau. Passez une bonne journée !

Je lui retourne son vœu et regarde ma mère se précipiter devant elle pour bouger la voiture qui lui bloque la sortie de l’allée. Quand la porte d’entrée se ferme, je me retrouve à l’étage, dans le silence, en me demandant si je dois descendre en conseillant à Ginny de venir me voir si elle veut quelque chose, ou bien si je dois rester avec elle, histoire de ne pas la laisser sans surveillance.

Heureusement, elle se charge elle-même de me délester de ces questions. Elle sort de sa chambre avec ses poupées et me demande si elle peut aller dans le jardin. Je souris, content de voir qu’elle me parle, et je m’efface pour la laisser passer.

Dehors, à l’arrière de la maison, il y a un canapé de jardin à l’ombre d’une galerie, et de là j’ai un point de vue sur tout le terrain.

Je regarde avec un petit sourire amusé Ginny, qui s’amuse ici à lancer des sorts à ses poupées avec une brindille, là à batailler dans le vide avec une épée faite de deux bous de bois attachés par une ficelle. Elle finit même par sortir de vieux plats en verre sale du garage pour faire des gâteaux de boue et des potions.

Pendant plus de deux heures, elle continue de jouer comme ça, presque sans jamais venir me parler, ou me demander de l’accompagner. Elle a l’air totalement autonome, comme si elle avait l’habitude de jouer toute seule depuis longtemps.

D’un côté, je trouve ça un peu triste. Mais de l’autre, pour ne pas avoir eut l’occasion de me faire beaucoup d’amis à force de déménager, je sais qu’un enfant de huit ans est tout à fait capable de déployer des trésors d’imagination pour compenser la solitude.

À l’heure du goûter, comme si elle avait une horloge interne, Ginny abandonne tout au fond du jardin pour me demander si elle peut avoir des cookies et un chocolat chaud. Je la laisse passer devant et me guider jusqu’à la cuisine.

Pendant que je prépare son goûter, je fais la conversation. Ça me vient plus naturellement que je l’avais présagé. Le plus souvent, elle répond par des oui, des non ou des peut-être, mais elle n’a pas l’air dérangée par ma curiosité. J’évite simplement de lui poser des questions sur son histoire – pourquoi elle est dans une famille d’accueil – pour me concentrer sur sa vie. Quelles sont ses rêves, ses passions, ce qu’elle aime.

Après avoir longtemps soufflé sur les volutes de fumée de son chocolat, sa langue finit par se délier et elle formule des phrases complètes pour me parler. On finit même par inverser les rôles, et elle me pose des questions avec un réel intérêt. Je me rends compte que j’aime beaucoup m’occuper de cette petite fille.

De temps en temps, je reçois des textos de Mme Pacat, à qui j’ai donné mon numéro avant qu’elle ne parte. Je la rassure, et peu après 17 heures, quand elle a une pause dans sa folle course de la journée, elle appelle pour parler un peu avec Ginny. C’est la première fois qu’elle la laisse sous la surveillance de quelqu’un, et je sens, quand elle raccroche, qu’elle est contente d’entendre la petite aussi joyeuse.

Elle passe encore un peu de temps dehors, mais au bout d’un moment, elle rentre, l’air à court d’énergie. Je lui montre alors mon livre, et elle me demande d’elle-même si je peux lui faire la lecture.

— Viens ici, dis-je en lui montrant le canapé.

Je m’assoie dans un fauteuil juste à côté, et ouvre à la première page. Je prends une profonde inspiration, et je me lance :

« C’est une histoire qui s’est passée il y a très longtemps, à l’époque où votre grand-père était un petit garçon. Une histoire très importante… »

C’est pas évident, au début. En cours, je déteste lire à voix haute. Mais là, dans le silence de cette grande maison, et sous le regard de Ginny, je finis par arriver à prendre une voix de conteur. Mon rythme et mon souffle sont constants, et j’arrive même à faire des voix amusantes, qui la font rigoler. Concentré, je ne tourne mon regard que rarement vers elle, mais je remarque ses yeux qui sont posés sur moi, et son sourire rêveur.

Au bout d’un moment, elle baisse les paupières et se laisse aller contre le cuir du canapé. Je sais qu’elle ne dort pas. Elle est dans son monde.

Tout se passe bien jusqu’à ce que la porte d’entrée s’ouvre et se referme avec un claquement puissant. La petite rouvre les yeux en sursautant, et se lève en même temps que moi. Je m’approche du couloir de l’entrée en faisant signe à Ginny de ne pas s’inquiéter.

— Salut, fais-je en voyant la personne qui retire son manteau en me tournant le dos.

Le type fait un boucan impossible. Il se tourne vers moi. Je reste bouche bée.

— Qu’est-ce que tu fous là ? Me demande Flynn comme s’il s’adressait à une bête répugnante.

— Baby-sitting. Je garde Ginny.

Ses yeux se plissent, et il fronce le nez.

— C’est moi qui la garde, d’habitude.

— Tu n’avais pas l’air d’être là. Et madame Pacat avait…

— Elle aurait dû me prévenir, bougonne-t-il.

Il rejoint le salon en me bousculant. Quand Ginny le voit, elle descend du canapé pour venir le voir, l’air toute contente. J’imagine que c’est lui, le « grand ».

Flynn s’accroupit pour être à sa hauteur. De là où je suis, je ne peux pas le voir, mais je l’entends lui murmurer avec légèreté. C’est bizarre, j’imaginais pas Flynn aussi mâture.

— Je monte. Je te laisse lire, dit-il en s’éloignant.

Ginny le regarde partir avec une mine désappointée, et le garçon fuit mon regard. Il a l’air furax de me voir là, et je sens qu’il a juste envie de me foutre à la porte, mais pour une raison ou une autre, il ne le fait pas. Il disparaît à l’étage et j’entends sa porte claquer.

Je me tourne vers la petite, un peu paumé. Je tente un sourire pas très convaincant.

— On continue ? Demandé-je en désignant le livre.

— J’ai hâte de savoir la suite, dit-elle en se jetant sur le canapé.

Au moins, elle n’a pas l’air de ressentir la même perplexité que moi. J’essaie de chasser Flynn de mon esprit mais, tandis que je reprends ma lecture à voix haute, je ne peux pas m’empêcher de penser au fait que ce mec que je peux pas encadrer est juste au dessus de nous.

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