Chapitre 16

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En soirée, Lista et moi faisons notre footing. Quand je rentre, je m’écroule sur mon lit et m’endors aussitôt, sans prendre la peine de me déshabiller. J’ai le sommeil lourd, et je rêve que je percute un homme avec ma voiture. Je me réveille en sursaut quand je découvre les yeux éteins du malheureux.

Y a que moi pour faire des cauchemars pareils, je me dis en éteignant l’alarme de mon portable.

Le dernier jour de cours avant le week-end se passe trop lentement à mon goût. À la pause déjeuner, je mange en vitesse pour faire un détour par le CDI avant la reprise des cours. Le chemin le plus rapide est de couper par le gymnase.

Je fais le tour du bâtiment lorsque j’entends des voix. En m’approchant un peu plus, j’aperçois Flynn et des types d’une autre classe. Ils versent le contenu de flasques dans des gobelets, les vident avant de les jeter sur la pelouse. Ils enchaînent avec des clopes roulées qui ne contiennent sans doute pas que du tabac.

Pas la meilleure cachette du monde.

— Hé, Joshua, tu veux nous rejoindre ? Lance un type quand je passe devant.

Faut pas rêver, je pense.

Mais je me contente de refuser en expliquant que j’ai un travail à faire.

— Laisse tomber, il est trop clean pour ça, marmonne un autre mec.

Je les connais pas suffisamment, et depuis pas assez longtemps pour me souvenir de leurs noms. Le seul à ne pas faire de commentaire, c’est Flynn. Il se contente de fumer son joint sans m’accorder un regard, comme si je n’en valais pas la peine.

Grand bien lui fasse.

Au CDI, j’imprime en vitesse les documents dont j’ai besoin pour l’après-midi, et je retourne en cours à la sonnerie. À la fin de la journée, j’attends une heure juste pour pouvoir ramener Lista après son cours de piano.

Même si je ne devrais pas, je n’arrive pas à m’enlever de la tête que Jérémy aurait pu faire pareille. Ce qui est stupide, parce-qu’il a le droit d’avoir une vie en dehors de sa petite-copine.

Bref, je gare la voiture dans l’allée de ma maison, et on se quitte avec un signe de la main. Elle doit toujours faire attention à ce que ses parents ne la voient pas traverser la haie. Je trouve ça assez dingue qu’ils veuillent nous empêcher d’être amis parce que mes parents sont lesbiennes. On a des noms pour ce genre de gens, mais il est hors de question que je les prononce devant leur fille.

Je passe la majeure partie de ma soirée à traîner devant la télé, dans la dépendance. Je sens que je vais avoir besoin de nouvelles activités, car je n’aime être inactif. J’alterne donc avec du basket devant la maison, avec du jardinage dans le jardin arrière, tout en échangeant des textos avec Emma. Même depuis Paris, ma meilleure amie devine que je n’arrive pas à user mon trop plein d’énergie. J’ai l’impression d’avoir avalé un paquet de sucre et d’avoir les muscles parcourus par l’adrénaline.

Quand il est l’heure pour Lista et moi d’aller courir, je lui propose d’allonger notre itinéraire. Elle accepte avec un sourire.

On va jusqu’à la plage, puis on ralentit et on commence à longer la mer en marchant sur le sable blanc. Un peu plus loin, on peut voir des rochers s’élever sur plusieurs mètres de hauteur. Lista me propose de me faire visiter cette partie-ci, parce que la mer est calme.

— En marrée haute, il faut éviter de monter sur les rochers, et de s’approcher de l’eau, tu peux facilement te faire emporter. Il y a eut pas mal de morts il y a quelques années. Maintenant, il y a des panneaux et des barrières, mais tu trouves toujours un mec bourré ou un touriste trop confiant pour n’en faire qu’à sa tête.

Malgré ce mauvais point, c’est un endroit magnifique. L’eau explose sur la roche en gerbes d’écume. On crapahute parmi les crevasses, et mes baskets glissent à plusieurs reprises, mais j’arrive à me maintenir en équilibre. Lista, elle, avance avec l’aisance de l’habitude.

— Tu vois ce grand rocher, là-bas ?

Elle pointe du doigt un grand bloc de pierre séparé en deux par un mince couloir dans lequel passe l’eau. En ce moment, la partie inférieure est immergée.

— L’eau est un peu trop haute, dit Lista. On l’appelle le « trou de l’enfer ». Quand tu passes par le tunnel, tu arrives sur une plage minuscule, et tu as l’impression d’être dans un endroit magique, comme taillé par des fées. Mais il suffit que l’eau remonte juste un peu pour t’engloutir. C’est un vrai piège.

— D’où le nom…

Lista hoche tristement la tête. Quand on quitte les rochers pour arriver sur le parking d’un restaurant, j’aperçois un panneau qui annonce qu’il n’y a pas eut d’accident mortel depuis sept ans. Intérieurement, j’espère que ça continuera.

On revient sur nos pas, et quand on arrive dans le quartier, le soleil est sur le point de disparaître, et le ciel a une couleur rose-orangée, comme s’il était enflammé. On se souhaite bonne nuit avant de nous séparer.

Cette nuit, je rêve d’une petite plage encastrée dans une minuscule caverne, qui prend l’eau. Je ne suis pas en danger, je vois la scène de l’extérieur. Quand je me réveille, j’ai l’impression d’avoir assisté à un documentaire sur l’érosion.

Je retrouve mes parents tôt dans la mâtinée. Nicole ne travaille pas, aujourd’hui, mais elle va m’accompagner chez la famille d’accueil où je suis censé garder une petite fille. Je suis assez stressé. Ce n’est pas la première fois que je fais du baby-sitting, j’en avais déjà fais à Paris. Seulement, Emma avait toujours été avec moi.

J’ai l’impression que je vais mal gérer, surtout en entendant tous les conseils de mes mères. Au bout d’un moment, j’ai besoin de m’assurer que la petite à bien huit ans, et pas huit mois. Je crois que c’est le signe qui leur fait comprendre que je panique.

Avant de partir, Nicole me conseille de fouiller dans mes affaires pour trouver un livre adapté à la gamine, car elle aime qu’on lui fasse la lecture. Tout ce que je trouve, c’est mon intégrale du Monde de Narnia. Nicole a l’air satisfaite quand je lui montre dans la voiture, et elle démarre.

La famille Pacat habite dans une immense maison dans la bordure de la ville, à l’exact opposé de la plage, et de chez nous. Je croyais que notre nouvelle maison était grande – une impression déjà mise à rude épreuve lorsque j’ai découvert l’endroit où habitait Jérémy, et totalement mise en terre lorsque maman se gare dans l’allée gravillonnée.

Le jardin de devant est large, mais complètement nu. Dans un coin, mon œil de passionné me fait reconnaître des tentatives infructueuses de faire pousser des fleurs. Une barrière en bois a été installée à la place d’une haie – il y a encore des traces de sel dispersé pour empêcher les racines de reprendre. Je ne vois pas de décorations. La seule spécificité de ce terrain est d’avoir la pelouse rasée de près.

Nicole aperçoit mon regard qui pivote d’un côté et de l’autre. Elle semble deviner ce que je pense :

— Les enfants sont invités à tondre la pelouse le plus souvent possible. Ça à l’air d’être une habitude, si tu as besoin d’un peu d’argent tu sors la tondeuse.

Elle parle à moitié par connaissances, et à moitié par suppositions. Ça ne fait que quelques jours qu’elle a commencé à travailler, mais elle à l’air de bien connaître le dossier des Pacat.

On monte jusqu’au perron, et ma mère appuie sur la sonnette, mais elle ne semble pas marcher, alors je m’occupe de frapper. Un instant plus tard, un garçon d’une dizaine d’années vient nous ouvrir, jetant d’abord un coup d’œil inquiet avant de reconnaître maman.

— Bonjour, Luke, je peux entrer ? Demande-t-elle d’une voix très douce.

S’il y a une chose que je dois accorder à Nicole, c’est qu’elle peut se montrer la personne la plus gentille du monde. Pourtant, je sais que dans sa tête elle analyse tout. Le garçon nous laisse entrer.

— Luke, c’est qui ?

— C’est Nicole Pace, madame Pacat, répond maman. Je ne vous interrompt pas ?

Au bout du couloir, une silhouette apparaît. Une femme à l’air épuisé s’approche de nous en s’essuyant les mains avec un torchon, un sourire fatigué sur les lèvres.

— Non, nous nous préparions à partir pour le rendez-vous de Luke. Je ne savais pas que vous accompagneriez…

Son regard se pose sur moi. Elle me détaille un instant et j’ai tout de suite l’impression qu’elle analyse le pourcentage de dangerosité chez moi. Je me contente de sourire. On ne se méfie jamais de moi – je n’ai pas l’air du mec populaire qui passe son temps devant un match de foot, ou de l’accro à la fonte toujours fourré dans sa chambre. Je suis juste le type sympa que tu croises en skate et qui inspire confiance.

Je ne me vante pas. Des fois j’aimerais être ce mec accro à la fonte, et oublier ma silhouette de danseur. D’autres fois je suis juste content d’être moi.

— C’est mon fils, Joshua, me présente maman. J’ai pensé que ce serait une meilleure idée que je vous le présente. Je peux vous assurer que vous pouvez avoir confiance en lui.

La femme hoche la tête. Elle porte un jean sale, des baskets usées et un top déchiré sur une manche. J’ai l’impression qu’elle est vraiment débordée.

Elle pose les yeux sur le gros livre que je tiens dans mes mains. Je lui montre la couverture.

— Je crois que j’aurais sans doute l’occasion de faire la lecture. J’espère que ça suffira.

Pour le coup, elle a un sourire rassuré.

— Oui, Ginny adore les bouquins, ce sera génial.

Elle nous regarde, ma mère et moi, un instant, comme si elle avait perdu le fil de ses pensées. Puis une lumière se rallume dans ses yeux, et elle se transforme en véritable torrent : en quelques minutes, elle envoie Luke finir de se préparer, elle enfile un manteau, et me brosse un tableau de la maison :

Il y a quatre enfants en tout, tous sont sensés être de passage, mais cela fait déjà six mois que le dernier – Luke – est arrivé. L’autre garçon, qu’elle n’appelle toujours le « grand » est parti dans la mâtinée, et elle ne sait pas où il est, ce qui a l’air de l’inquiéter. Le deuxième est chez un ami. Comme M. Pacat travaille jusqu’à dix-neuf heures et qu’elle doit accompagner Luke au judo, puis passer à différents endroits pour régler les problèmes du « grand », la petite Ginny aurait dû passer son après-midi dans la voiture.

— Heureusement que vous avez appelé, madame Pace, je déteste devoir traîner un des enfants avec moi. Je serais plus sereine de savoir qu’elle peut se distraire ici.

Ma mère sourit aimablement.

— Joshua voulait trouver une activité. Je pense que tout le monde y gagne.

Madame Pacat a l’air trop affairée pour saisir la bonne nouvelle.

— Viens, me dit-elle, je vais te présenter Ginny.

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