Chapitre 14

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Les cours reprennent, et j’essaie de me concentrer sur ce que racontent les profs pour me sortir ces histoires de la tête. Je pense que je devrais éviter de m’impliquer. Bien sûr, si Lista demandait encore mon aide, je lui donnerais sans broncher, parce que ça me fait plaisir. Mais je vais pas m’incruster dans son couple alors que je connais rien de sa relation avec Jérémy.

Une partie de moi est jalouse qu’elle lui ait redonné sa confiance en une mâtinée. Mais je me fais pas d’illusions pour autant – même s’ils avaient définitivement rompu, nous ne serions pas sortis ensemble tous les deux.

Alors je pousse cette jalousie tout au fond de ma tête, espérant l’oublier.

Quand arrive le cours de sport, je suis aux anges. Me donner à fond dans une activité sportive me videra la tête, ça c’est sûr. Je me change en quatrième vitesse dans les vestiaires et je suis le premier à entrer dans le gymnase. Le prof écrit des trucs sur le tableau au crayon effaçable.

On gâche une première demi-heure à parler du programme de l’année. Avec les épreuves du bac, je pourrais pas faire toutes les activités que j’ai envie, mais avec de la course, du basket et du badminton, je pense que je m’en sors bien.

Les deux heures filent beaucoup trop rapidement – je suis à peine en sueur lorsque le prof nous renvoie dans les vestiaires. Je me change rapidement, décidant de prendre une douche après avoir fait un peu de basket chez moi. Le car de 17 heures n’est pas encore arrivé quand j’atteins le parking réservé aux bus.

J’allume mon téléphone et lance le prochain épisode de Desperate Housewives.

— Joshua ?

J’ai à peine eu le temps de m’immerger dans la série quand j’entends la voix. Je retire un écouteur et me tourne. Jérémy m’a rejoint. Un peu plus loin, le reste de sa bande s’est regroupé au bout du parking.

— Je peux te parler ?

Je hoche la tête en restant silencieux, et je retire le deuxième écouteur de mon oreille.

— Je voulais te dire merci pour avoir aidé Lista. J’ai été super con et toi tu as été là pour la rassurer.

Je ne dis toujours pas un mot. Il prend ça pour une invitation à poursuivre.

— Je suis allé m’excuser, ce matin, et on s’est remis ensemble. Enfin, on n’a jamais vraiment cassé, mais c’est l’impression que ça donnait. En tout cas, elle m’a expliqué tout ce que tu as fait pour elle, et je te remercie.

Tout ce que j’ai fais pour elle ? Je l’ai juste ramené chez elle et j’ai été là pour l’écouter. C’est ce que lui il aurait dû faire.

— Merci, je me contente de répondre.

Il me donne un coup amical à l’épaule, le sourire aux lèvres.

— T’es un vrai pote. Tu veux venir avec nous ?

Tout le monde me propose toujours de rejoindre leur groupe. Mais cette fois, je ne veux plus me mêler de rien – j’ai l’impression que rejoindre son groupe ne serait pas cool vis-à-vis de Audra et Déborah. En plus, je trouve toujours que c’est un connard.

— Ça va, merci. J’ai mon truc.

Je montre mon téléphone.

Jérémy sourit et me laisse. Quand je relance mon épisode, je n’arrive définitivement pas à entrer dedans.

Quand je monte dans le car, Lista a rejoint le reste du groupe. Nos regards se croisent tandis qu’elle se dirige tout au fond, avec Jérémy. Je laisse tomber ma tête contre le dossier quand je reçois un message. C’est elle : On pourra parler ?

Évidemment, qu’on peut.

Elle vient s’asseoir à côté de moi une fois que tout le monde est parti. Notre arrêt est le prochain.

— Je sais ce que tu vas dire, commence-t-elle.

— Je suis content pour toi.

— Tu crois que je devrais le… attends, tu as dis quoi ?

Je lui souris, même si au fond j’en ai pas envie.

— Il est venu s’excuser, et tu as trouvé que c’était suffisant. Moi je vous connais depuis dix jours max, je suis pas le mieux placé pour donner un avis. Il a merdé, mais si tu veux lui pardonner, je te fais confiance.

Elle m’écoute sans prononcer un mot. Quand je finis, son visage est serein, et son sourire vaut tous les sacrifices du monde.

— Merci. Je t’en aurais pas voulu si tu n’étais pas d’accord avec mon choix.

Il n’est pas question d’être d’accord ou non. La vie personnelle de Lista ne me regarde pas, manifestement. Cependant, alors que le car s’arrête devant l’abri de bus et que nous descendons, j’ai de nouvelles questions qui me viennent en tête.

Je roule sur mon skate en m’arrêtant de temps en temps pour qu’on ne s’éloigne pas trop.

— J’ai entendu les rumeurs, concernant Déborah.

Je n’y vais pas par quatre chemins. Je la sens tendue, tout à coup.

— C’est elle qui t’en a parlé ?

— Et Audra. Elles m’ont expliqué dans les grandes lignes.

Lista reste silencieuse un petit moment. On s’approche bientôt de nos maisons, et au bout du quartier, je m’arrête et attrape mon skate. Quand elle m’a rejoint, Lista a l’air peinée.

— Je suis une amie en carton, dit-elle.

Ce n’est pas vraiment ce à quoi je m’attendais.

— J’ai été vraiment nulle avec les filles. Jérémy me plaisait depuis un moment. Quand il a rompu avec Déborah, et qu’il y a eu toutes ces rumeurs, je l’ai d’abord défendu, mais quand Jérémy est venu me voir pour me dire qu’il m’aimait bien… J’ai abandonné les filles alors que tout le monde leur tournait le dos.

— Tu t’en veux ?

Elle lève la tête, les yeux brillants de larmes. J’ai envie de la prendre dans mes bras pour la réconforter, mais j’ai la sensation que ce n’est pas mon rôle.

— Je m’en suis toujours voulu. Maintenant elles me détestent, mais moi je pourrais jamais leur en vouloir. J’ai préféré sortir avec Jérémy plutôt que combattre les rumeurs avec elles.

Elle s’interrompt. Ses joues sont rouges, et sa frange tombe un peu devant ses yeux.

— Parfois, je me demande si c’est vrai. Tout le monde dit que Déborah est une fille facile, et quand je vois à quel point Jérémy est adorable avec moi, j’arrive pas à croire qu’elle se soit faite manipulée. Mais après ce week-end…

Elle n’a pas besoin de terminer sa phrase. Après ce week-end, après son comportement abominable, les doutes ressurgissent. C’est normal. Cependant, quand je l’entends parler ainsi, je me demande vraiment pourquoi elle est retourné avec lui aussi facilement. Pourquoi elle n’a pas pris du temps pour réfléchir.

J’ai peur de lui poser la question.

Comme elle n’a plus trop l’air de savoir quoi dire, je décide de clôturer le sujet :

— En tout cas, quoi que tu décides, tu peux toujours compter sur moi.

Elle retrouve le sourire.

— Merci. Tu es un ami en or.

Jamais le terme « ami » ne m’avait fait aussi mal au cœur jusqu’à présent.

On se met d’accord pour se retrouver ce soir pour notre footing, puis on rentre chez nous chacun de notre côté. Dans la cuisine, Périne est en train de faire un gâteau. Elle ajoute le glaçage avec une minutie de chirurgienne.

— Il a l’air super bon !

Je résiste à l’envie de goûter ce tas de sucre à l’apparence délicieuse. Maman sourit.

— Qu’est-ce qu’on fête ? Je demande.

— Qu’est-ce qui te fait dire qu’on fête quelque chose ?

Son ton est narquois, et ses yeux rieurs.

— Tu mélange jamais le glaçage rose avec un gâteau au chocolat, sauf si tu as une bonne nouvelle.

Parfois, je me dis que mes parents et moi sommes bourrés de tics. Quand on les connaît, c’est pas bien difficile de deviner ce qu’on a dans la tête.

— J’ai trouvé un boulot, déclare-t-elle en ajoutant une nouvelle noisette rose sur le bord du gâteau. On est enfin totalement chez nous.

Elle a l’air aux anges. Je me précipite pour la serrer dans mes bras, quitte à me mettre du glaçage plein le tee-shirt. C’est vraiment une bonne nouvelle.

Avant, Périne travaillait dans une affaire de traiteur très réputée. Ces dernières années, elle a décidé de quitter l’entreprise pour se lancer dans l’indépendant. À Paris, ses capacités culinaires étaient très demandées. Je suis sûr qu’ici, ce sera pareille.

Je la laisse à son travail pour rejoindre la dépendance, et faire mes devoirs. Au passage, je choppe un peu de glaçage sucré du bout du doigt, que je lèche en souriant alors qu’elle secoue ses instruments de cuisine en l’air.

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