Chapitre 4

5 minutes de lecture

Je me suis levé avant que le réveil de mon téléphone ne sonne. Déjà sous la douche, je me précipite hors de la cabine pour aller l’éteindre, éclaboussant tout le sol de la salle de bain. Je retourne me rincer puis coupe l’arrivée d’eau – aussitôt la chaleur de l’été vient se frotter contre ma peau, et le temps d’enfiler des vêtements frais, je me sens déjà dégoulinant de sueur. C’est la première fois qu’on vient dans le sud, j’espère que l’hiver ne sera pas trop torride.

Comme je me suis réveillé tôt, j’ai une heure d’avance sur mon planning. Mon sac est prêt depuis la veille, et je suis bon pour partir à l’arrêt de bus. Je me connecte sur mon portable à Prime Video et lance un épisode de Desperate Housewives. Sans surprise, mes mères sont déjà levées.

— Tu veux manger quelque chose ? Me demande maman en plantant un baiser rapide sur mon front quand je passe à côté d’elle.

— Crêpes ?

— Et chocolat dans le placard, sers-toi, c’est aussi ta maison.

— Je vais pas me faire prier.

Je lui tire la langue en sortant un pot de confiture, et je prends une crêpe encore chaude. Elles me posent quelques questions, histoire de prendre la température. Je les ai évité toute la soirée d’hier, prétendant être fatigué. Je n’avais pas le cœur de leur dire que nos voisins jugeaient leurs sentiments.

— Tout va bien, je prétends. J’ai l’habitude, maintenant.

Périne grimace. Un jour, elle m’a dit qu’elle aurait aimé que je puisse me poser quelque part, et garder mes amis plus d’une année. J’ai jamais pu, mais je ne me suis jamais plains non-plus. Déménager régulièrement, ça a ses avantages, probablement.

L’heure passe plus rapidement que je le voudrais. Je pars un peu en avance, au cas où je ne trouve pas l’arrêt tout de suite, et résultat, j’arrive avec vingt minutes plus tôt que le car. Je reprends mon épisode sur mon téléphone.

— Bonjour, Joshua.

Je lève les yeux, pour voir Lista devant moi. Elle est jolie en chemisier blanc et jean.

— Salut.

Ma voix est sèche, je baisse les yeux sur mon portable, histoire de lui montrer clairement que je n’ai pas envie de lui parler. Elle attend à côté de moi, l’air embarrassé, jusqu’à ce que le car arrive. On est que tous les deux à monter.

Lista s’assoit à côté de moi sans me laisser le temps de mettre mon sac sur le siège voisin. Je mets la vidéo sur pause et enlève un écouteur.

— Je peux te parler ?

— C’est ce que tu fais, observé-je encore froidement.

C’est dommage, parce que j’avais vraiment l’impression qu’on pouvait s’entendre. Mais j’ai pas envie de défendre mes mères – je ne devrais pas avoir à le faire. On devrait tous être au-dessus de ça. Lista se mord la lèvre avant de se lancer sans me laisser en placer une :

— Écoute, je suis désolée pour hier, je ne voulais pas te vexer. Quand j’ai vu mon père dans cet état, je t’ai appelé pour savoir s’il disait la vérité, c’est vrai mais… Je t’assure que je juge pas tes parents. Ça m’est égale que tu aies deux mères. Je ne suis pas comme mon père et ma mère, ils prennent un peu trop à cœur leurs valeurs religieuses et…

— Tu essaies de les défendre ? Réussis-je à articuler au milieu de son discours.

Elle grimace.

— C’est mes parents, je suis un peu obligée…

Je ne réponds pas. J’ai envie de lui répondre que non, elle n’est en rien obligée. Mais ne défends-je pas moi-même mes mères en critiquant les opinions de M. et Mme Estella ? Ils sont sans doute aussi fermés à nos mœurs que je le suis aux leurs.

— Tu sais d’où vient mon prénom ?

Évangelista. Aux lueurs de mes récentes découvertes, je doute que ses parents aient juste trouvé le nom joli. Je hoche la tête, silencieux.

— Ils m’ont quasiment donné le nom de leur religion. Je t’ai dis l’autre jour que tout le monde m’appelle Lista, c’est pas uniquement un surnom. C’est ma façon de montrer que je ne partage pas toutes les valeurs que mon père peut défendre. Je suis croyante, mais j’ai une vision différente de ma foi.

— Tu n’as rien contre le fait…

— Que tes mères soient homos ? Je t’assure que j’ai aucun problème avec ça, et je m’excuse si la réaction de mon père a pu te blesser.

J’ai beau être hétéro, je me suis souvent retrouvé à parler de sexualité. De mon expérience, une personne qui hésite ou se sent mal à l’aise en prononçant le terme « homo » est souvent une personne dont les opinions sur le sujet sont susceptibles de changer. Lista parle sans buter sur le mot, et elle réussit à me convaincre.

— Ou blesser tes parents, ajoute-t-elle.

— Je ne leur ai encore rien dit.

Lista baisse les yeux. Je sais que je vais devoir y passer. Il vaut mieux qu’elles apprennent la vérité par moi, plutôt qu’en se retrouvant face à nos voisins au pire moment.

— Merci de… d’avoir insisté pour me parler.

Lista sourit pour la première fois aujourd’hui.

— Amis ?

Elle me tend une main d’un air faussement guindé. Je la serre en rigolant. Amis.

Elle se détourne de moi au moment où le car s’arrête et que plusieurs personnes montent. Elle me fait signe qu’elle va changer de siège.

— On se voit au lycée, dit-elle.

Je m’apprête à confirmer quand je vois le type qui lui prend la main. Elle l’embrasse rapidement et il l’entraîne vers le fond du bus, sans même me regarder. Ça ne dure qu’une seconde, mais je reste à les regarder, stupéfait. Ils s’assoient sur la dernière rangée, et j’entends d’ici leurs éclats de rire.

Lista a un petit copain. Intérieurement, j’ai envie de rire aussi. Je me suis fais des idées beaucoup trop vite, et j’ai l’impression d’avoir reçu une gifle. Je la revois alors me tendant une main. Amis.

Je relance l’épisode sur mon téléphone, mais je ne suis plus attentif. Je me sens jaloux, et très stupide de l’être, parce que je ne la connais que depuis deux jours et que j’ai passé toute la nuit à me dire qu’elle m’avait déçu.

Je suis même pas entré au lycée et j’ai déjà l’impression d’avoir vécu une vie ici.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Sullian Loussouarn ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0