Chapitre 1

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Je me réveille environ une heure avant que la voiture ne dépasse le panneau de bienvenue de Larmore-baie. Sur le siège passager, maman se tourne vers moi avec un sourire indulgent, et je peux voir les traits tirés de son visage et la fatigue du voyage.

Mes deux mères ont échangé leur place pendant tout le trajet depuis Paris. De temps en temps j’ai pris le volant, mais ça fait tout juste un mois que j’ai légalement le droit de conduire et je ne suis pas du tout à l’aise sur l’autoroute. De nuit, c’est encore pire. On est partis en début d’après-midi mais à force de pauses obligatoires et de détours inutiles on est sur la route depuis une dizaine d’heures maintenant.

C’est notre troisième déménagement au cours de ces cinq dernières années. Je n’ai pas compté ceux qui ont précédé. Avec l’habitude, j’arrive plutôt bien à rejeter l’appréhension dans un coin de ma tête. La routine est ancrée en moi comme si c’était un tatouage. Je vais déballer toutes mes affaires, faire un tour des quartiers environnant pour trouver mes marques, et dans deux jours j’irais au lycée pour commencer ma dernière année.

On arrive donc de nuit. Larmore-baie est une ville plutôt modeste dans le sud du pays. Très petite comparée à la capitale, mais loin du village paumé au fond de la campagne. Un port historique, une plage de carte postale et un centre commercial qui compte plus de boutiques de luxe que d’indépendants. Le lieu de vie parfait selon tous les sites internets que j’ai pu visiter.

Ça, je m’en ferais rapidement mon propre avis.

La voiture s’engage dans un quartier large. La lumière du clair de lune donne une allure glaciale aux grandes maisons devant lesquelles on passe. Je compte les numéros jusqu’au 77, le notre. Nicole gare alors la voiture dans la grande allée en face de notre nouvelle maison.

Elle est immense. Un peu trop grande pour l’utilisation qu’on en aura. Une façade crème et un toit en tuiles rouges. Il y a de nombreuses fenêtres, et un balcon juste au dessus du perron. Le bruit du moteur s’évanouit quelques secondes plus tard, et j’entends Nicole pousser un long soupir.

— On est arrivés, déclare-t-elle en nous jetant un regard.

De mes deux mères, Nicole est celle qui aime le plus déménager. Elle a la bougeotte. Normalement, c’est la dernière fois que j’aurais à les suivre dans leurs périples avant d’aller à la fac. Si on n’est pas tous les deux liés par le sang, au moins nous avons en commun notre enfance sur les routes. Périne lui rend un sourire qui fait naître des rides adorables au coin des yeux.

— On sort les bagages du coffre et on va au lit.

Aussitôt, elle ouvre sa portière. Après ma sieste, je ne sais pas si je vais avoir envie de dormir tout de suite.

Le camion de déménagement est déjà passé. Lorsqu’on traverse la maison, elle est remplie de nos anciens meubles. Dans le coffre, on n’a que l’essentiel, et en quelques allers-retours on a réussi à le vider.

— C’est plus grand que je ne l’avais imaginé ! s’extasie Périne en entrant dans le salon.

— Il y a combien de pièces exactement ? Demandé-je en la rejoignant depuis la cuisine.

Elle hausse les épaules. On parle à voix basse, parce-qu’il fait nuit. Pour autant, je suis persuadé qu’on pourrait crier que les voisins ne nous entendraient pas.

— Je sais pas si la dépendance est meublée, dit Nicole en me voyant regarder par la porte-fenêtre le jardin arrière.

Le jour où mes mamans m’ont annoncé qu’on quittait Paris, je n’ai pas été surpris. Quand elles ont précisé que c’était pour venir ici, j’ai été un peu moins emballé. De manière générale, je préfère les grandes agglomérations.

C’est à ce moment qu’elles ont joué leur meilleure carte : mon indépendance. Cette nouvelle maison est pourvue d’un habitation annexe, au fond du jardin, reliée à la route par un petit chemin de gravier. Je ne sais pas encore à quoi elle ressemble exactement, mais dans les faits, je suis censé pouvoir y vivre sans avoir à transiter par le domicile d’origine. Ce qui laisse ce grand bâtiment à elles toutes seules. Je ne sais pas trop qui y gagne le plus, au final.

— Pas grave, fais-je en désignant le canapé, je peux dormir là pour cette nuit.

C’est un peu le bordel dans le salon. Maman me laisse une bouteille de soda et le reste du dernier paquet de sucreries qu’on a acheté sur la route, et je déniche dans un sac mon vieil ordinateur portable que je branche en même temps que mon téléphone.

Mes mères m’embrassent en me souhaitant bonne nuit avant de monter à l’étage, et je lance une chanson au hasard sur mon téléphone après avoir enfilé mon casque.

Je fais un tour sur Instagram, mais il n’y a pas grand-chose de plus que plus tôt dans la nuit. Emma, ma meilleure-amie et la seule personne qui risque de réellement me manquer à Paris, est allé se coucher avant ma sieste. Finalement, je referme mon ordinateur et m’étale sur le canapé pour écouter ma musique.

Pour faire passer le temps, j’essaie d’imaginer un emploi du temps précis pour le lendemain. Déballer mes affaires, m’installer dans la dépendance, faire un tour du jardin et des fleurs que les anciens proprios ont laissés derrière eux. J’adore le jardinage, un passe-temps que j’ai trop délaissé dans notre ancien appartement du quatrième étage.

Je suis sûr que mes mères iront se présenter aux voisins. Je trouve cette habitude un peu archaïque, mais elles n’y ont jamais dérogé.

Si j’ai le temps j’irais regarder à quoi ressemble le centre-ville. Ou peut-être la plage. J’ai cru comprendre qu’il y avait aussi un musée sur l’époque Napoléonienne, ça peut être intéressant. Je sais que j’ai tout le temps pour voir ça, mais alors que je m’imagine incrusté sur les photos dont je me souviens, je sens le sommeil me gagner de nouveau, petit à petit ; je me laisse sombrer même si je sais que je serais de nouveau réveillé d’ici trois heures maximum.

Je m’endors en souriant, parce que j’ai grandis en apprenant à toujours voir le bon côté des choses. Cet endroit à l’air trop idéal pour que je ne m’y sente pas le bienvenu.

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