4 minutes de lecture

Francis le cadeau est dans le coffre d’une voiture. C’est une location d’Hirsute payée par Joël et Béa, comme si le présent qu’ils venaient de lui faire ne suffisait pas. On a convenu qu’une voiture trois portes est plus confortable que les bras de Joël ou de Béa. Hirsute a accepté volontiers le geste de ses amis, qui secouent leurs mains dans le reflet du rétroviseur pour dire au revoir.

Le paquet entend les bosselures de la route faire craquer les suspensions. Toute la mécanique de la voiture lui semble maintenant à portée de compréhension. S’il ne sent plus ses membres, c’est maintenant le tout du monde environnant qu’il expérimente. Son âme est piégée, mais étrangement elle semble s’évaporer en dehors de lui, à petit feu…

L’homme empourpré esquisse un sourire en pensant à ses amis. Ils avaient si bien trouvé ce qui lui plaisait. Une fois à la maison, il pourra en profiter pour de bon.

Mais des voix résonnent dans la voiture. Hirsute passe un doigt dans son oreille et elles s’évanouissent soudain. Bizarre. Mais après toutes les émotions de la journée, rien de plus normal, finalement.

Il braque à gauche et se gare dans une allée en béton. La porte d’un garage s’ouvre lentement, la voiture de location pénètre dans la maison. Le moteur s’éteint. Les ampoules chauffent. Hirsute ouvre le coffre et transporte son cadeau dans sa chambre.

Francis ne peut se débattre. De toute façon, il ne tient plus à son corps, alors au diable tout ce qu’on peut faire de lui. Il est allongé sur un matelas très mou et très odorant. Si ce n’est pas son corps qui ressent les mailles de tissu ou l’odeur de renfermé, c’est son âme qui perçoit les choses. Francis croit de plus en plus à son évaporation, à sa liberté tant recherchée…

Mais il ne faut pas qu’elle s’échappe, son âme. Il faut qu’elle meure. Sortir de son corps et errer sur Terre n’est pas le but de Francis, à moins qu’il puisse s’envoler et trouver la porte de l’Ailleurs dans une autre galaxie. Et encore, il n’est pas sûr qu’il existe une porte autre que cette grosse Ford grise qui l’écrasa en début d’après-midi. Il se rend compte que la mort est si proche, si quotidienne.

Hirsute déballe le cadavre et admire l’inerte. Pour lui, il n’y a rien de plus beau que ce qui n’est plus. Il cherche dans une malle un marteau et des clous, saisit le cadeau par ses épaules et l’accroche au mur, juste au-dessus de son lit. C’est bien mieux que tous les Rembrandt. Hirsute se déshabille et enfile une robe de chambre blanche. Il se glisse sous les draps, contemple une dernière fois son cadeau et éteint la lumière.

Quelques minutes après, le sommeil ne toque toujours pas. Hirsute ouvre sa porte, mais dehors il n’y a rien qu’une brume de pensées et de ruminations. Mille questions galopent dans son esprit. Mais il n’est pas certain d’en être le locuteur. Il semblerait que quelqu’un d’autre s’acharne à penser et à envahir l’esprit d’Hirsute. Pourtant, il n’y a que lui dans la pièce, du moins le pense-t-il.

Il rallume la lumière, fait quelques pas dans la maison, saupoudrés d’il y a quelqu’un ? puis retourne se coucher en ne fermant qu’un œil. Quelque chose cloche, il le sent. Pour l’instant, aucun de ses soupçons ne se tournent vers le cadeau de Joël et Béa. Pourquoi le tourmenterait-il, puisqu’il est mort ?

Justement. Hirsute repense à ces histoires de fantômes bonnes à faire pleurer des enfants. Cela ne peut pas être vrai. Il appelle Joël malgré l’heure tardive. Il n’y a pas d’heure pour téléphoner à un ami.

C’est Béa qui décroche, un poil essoufflée. Elle demande si tout va bien. Hirsute répond que non. Il entend des voix. Béa lui conseille de se calmer les nerfs et de boire de la camomille. Bon conseil, approuve Hirsute. Il raccroche en l’embrassant et se glisse hors de son lit vers la cuisine.

Francis, sans en connaître la raison, sait exactement où se trouve la tisane. Il sait aussi ce qui se trouve dans les tiroirs, les placards, les albums, les livres, tout ce qui peuple la demeure d’Hirsute. Il se sent comme tout. Cette fois, il en est sûr. C’est son âme qui abandonne petit à petit son corps. Libération hypocrite. Il restera empêtré sur la caillasse terrestre.

Une sorte d’éternuement lui ouvre les yeux. Il n’est plus prisonnier de ses paupières humaines. Des globes psychiques lui permettent maintenant de toiser son cadavre accroché au-dessus du lit. Il est hors de lui-même. Son âme jouit d’une liberté factice.

Il sort de la chambre.

Hirsute fait bouillir de l’eau. Comme il s’ennuie, il lit les indications aux dos du sachet de camomille. Il essaie de chasser ces voix qui viennent d’ailleurs. Une multitude de bulles éclatent sous le couvercle. Il verse l’eau dans une tasse et met le sachet à infuser. Un léger fumet végétal se promène dans la cuisine. Hirsute place tout son espoir dans sa tisane. C’est elle qui invitera le sommeil, pense-t-il. L’eau est encore brûlante. Il décide d’aller s’asseoir sur le canapé, sauf qu’en chemin, il tombe sur un spectre aux gros yeux.

Sa tasse tombe et se brise sur le carrelage.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 10 versions.

Vous aimez lire Joachim Jund ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0