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Maîtresse tend l'oreille et entend Éléna :

– Putain, d'où est-il sorti celui-là ?! Avez-vous vu ça ?

– Vu quoi ? demanda naïvement Ivan en détournant la tête, jusqu’alors braquée sur Ivana. Oh, un petit corbeau. D’où est-ce qu’il sort ?


Éléna n’en crut pas ses oreilles et s’agaça :

– Bah justement ! C’est ce que je viens de dire ! D’où sort-il ?!

– Euh… excuse-moi mais si tu écoutais, c’est exactement ce que je viens de demander, Éléna, se fit-il réprobateur.


Éléna se crispa, lança un « argh » rageur tout droit sorti du tréfonds de l’estomac et tenta de s’expliquer :

– Le corbeau, je sais ! C’est moi qui…

– Je m’en contrefiche de ton corbac pourri ! s’écria alors Ivana, toujours en peine, les dents serrées, les yeux tout juste rouverts mais encore emplis des larmes provoquées par la souffrance endurée.

– Mais je... mais… je… Ok, laissez tomber, de toute façon je renonce.

– Désolé petit corbeau, mais tu arrives au pire moment. Éléna est perturbée et…

– Non je… ne suis pas… pfff…

– Et, petit oiseau, ma chère et douce, normalement si douce et toujours prête à chérir le moindre petit animal, Ivana pour te la nommer, vient de se faire trucider un petit ongle par sa méchante tyrannique grande sœur, Cruella pour te la nommer, et on ne peut pas dire qu’elle soit d’humeur d’humeur.


C’en fut trop pour Éléna, fini le renoncement, l’abattement, place à la rébellion :

– Chérir ?! Toujours ?! Douce ?! Est-ce nécessaire que je te rappelle, poisson rouge que tu sembles être, Dory pour te comparer, qu’elle a trucidé, ta chère et douce – tu parles donc d’une chère et douce ! –, le dernier petit corbeau qui s’est approché de nous ? Et sans au-cu-ne hésitation ! Sauvagement. Atrocement. Un gribouillis de sang plumeux, voilà ce qu’il en est resté, si tu veux que je te remémore la forme abstraite finale terminale aboutie reflet de son absolu mignonitude !


Autant dire qu’à entendre ces deux-là parler d’elle, Ivana, en plus sur les nerfs – sur les nerfs moins un, pour plus de précision –, ne se fit pas prier pour leur lancer un regard… bien noir, noir noir noir, pour ne pas changer. Et sa répartie, bien que sommaire, ne se fit pas attendre :

– Vos gueules. Sérieux, cette fois-ci, vos gueules.


Devant cette franche expressive brièveté toute en menaces suggérées, tous d’eux s’accordèrent :

– Motus…

– Et bouche cousue.


Autant continuer à dire qu’à entendre cette réplique enfantine, Ivana ne put que la considérer comme un foutage de gueule repris en chœur. Elle aurait pu mal le prendre et ne pas réussir à se détendre. Elle aurait pu en venir aux injures. Elle aurait pu être violente. Elle aurait pu être les deux, injurieuse et violente ! Mais elle prit sur elle, ferma les yeux, inspira, expira, classique, rien d’extravagant, et répéta l’opération. Encore une fois. Une petite troisième ? Une petite troisième fois. Une quatrième n’aurait pas été du luxe, elle opta pour se mordre les joues, se contint ainsi de vociférer, ouvrit les yeux, les ramena sur sa blessure, examina sa main bandée, son ongle, rectificatif sa phalange dénudée, mise à nue contre son gré et honteusement exhibée, essaya de bouger le tout, bien entendu grimaça, parvint à contenir d’autres larmes et souffla tel le petit chien conseillé lors des accouchements. Puis, quelque peu calmée par tous ces parfaits exercices de maîtrise de soi, elle sut se faire synthétique :

– Sérieux, je vous demande un brin de compassion. Je crois aussi que j’en ai fini de rire ; ça y est j’en ai ma dose de vos chamailleries. Et tu sais, tu sais Éléna, tu m’as vraiment fait mal.


Éléna écarquilla les yeux. Grand, mais alors en grand grand. Elle eut un petit hoquet surpris, direct venu du ventricule gauche du cœur, et, quelque peu, pour ne pas dire pas mal, beaucoup, très ou encore très très, vexée, mais finalement prête à faire la paix, à ne pas envenimer les choses, décidée à pardonner ce lapsus, cette maladresse linguistique, se permit de corriger la mauvaise interprétation de sa sœur :

– Ivan.

– Oui, qu’y a-t-il ?

– Quoi, pourquoi Ivan ?

– C’est Ivan, pas moi. C’est Ivan qui t’a vraiment fait mal, Ivana.


Par contre, dommage, sa sœur, peu disposée à débattre, à voir la réalité en face, toujours obnubilée par l’ultime dernière terrible douleur et celle, la seule, qui à ses yeux, dans toutes les moindres cellules de son corps – pour ne pas dire jusqu’au bout des ongles… –, paraissait l’unique responsable, s’emporta :

– Tu n’avais pas à m’arracher mon ongle de la sorte ! À me l’arracher ! Sadiquement !

– Ah ouais ?! Et comment aurais-tu voulu que je fasse ?! Que je te l’arrache à coups de poutous pioutous poutouis ! bafouilla-t-elle dans l'ébullition.

– Pour dire vrai, un peu de douceur n’a jamais tué personne, Éléna… Pour ma part, je ne suis pas certain que l’ablation radicale était nécessaire. J'aurais certainement fait autrement. Enfin, je dis ça…

– Ouais, ouais, vas-y, ne dis rien ! Sérieux, surtout ne dis rien, Ivan, fulmina Éléna.

– Ou sinon, tu ressors ton canif-suisse ? se fit-il provocateur.

– Ivan ! Arrête, vraiment, de la ramener.


Ivan ne la ramena pas, quand sa chérie associait son prénom avec ce petit ton sec, mieux valait en rester là et faire profil bas. Alors, il fit profil bas.

Un silence s’en suivit. Un silence bénéfique, tous trois avaient besoin de reprendre un peu leurs esprits. De se calmer, de s'apaiser, de souffler. Entre l’euphorie de la découverte, l’excitation de la traduction, l’amusement d’un rituel païen, l’ambiance présente paranormale à la limite de l’anxiogène, l’accident, la blessure, la panique, la souffrance, ce peu de quiétude fut la bienvenue.

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