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Éléna s’agenouilla à hauteur de sa sœur, enlaça d’une main réconfortante ses épaules et lui murmura à l’oreille :

– Ça va aller. C’est ta main, c’est ça ?


Ivan, pas si mauvais mari, pas si naïf, prit pleinement conscience que quelque chose de grave se passait, qu’Ivana souffrait pour de vrai. Fini de rire, terminées les plaisanteries, les pitreries, les niaiseries, il respira un bon coup et, à son tour, s’abaissa à hauteur de sa femme :

– Chérie… prononça-t-il tendrement. Où as-tu mal ? Laisse-nous t’aider.

– C’est sa main, Ivan. Elle doit être cassée. Fais-nous voir, Ivana.


Au bout de quelques secondes, Ivana, toujours assise et en train de se balancer, se calma un peu. Les pleurs se muèrent en lents sanglots. Pour toute réponse, elle secoua négativement la tête et grimaça.


– Si, chérie, fais-nous voir.

– Ivana, nous allons devoir regarder, tôt ou tard, se fit plus autoritaire Éléna.


Encore une fois Ivana secoua la tête. À l’idée de penser bouger sa main, elle stressa à nouveau, le balancement nerveux devint plus rapide et, machine arrière, les sanglots se muèrent en pleurs sonores.


– Allez chérie, tenta Ivan en approchant sa main de celle d’Ivana.


Mais à peine l’effleura-t-il, ou plutôt à peine effleura-t-il la main droite comprimant celle meurtrie, qu’Ivana sursauta, se tourna, pesta, comme si une décharge venait de la foudroyer.


– Dégage ! fut la seule réponse adéquate qu’elle réussit à vociférer.


Sous le choc de cette réplique si directe, Ivan eut un léger soubresaut et, de lui-même, se mit en léger retrait, laissant tout loisir, carte blanche à Éléna, pour s’exprimer, rassurer, soigner.

Il abandonna donc, à supposer qu’il y en ait, ses droits maritaux au profit des liens du sang.


– Ivana, laisse-moi regarder ! Je ne vais pour l'instant pas te toucher, Ivan va s'éloigner, loin ! Ivan, laisse-nous respirer – si tu vois ce que je veux dire ! – que je puisse regarder et m’assurer que tout va bien… ou non. Nous allons constater les dégâts et nous allons soigner tout ça. D’accord, Ivana ?


Ivana s’accorda encore quelques secondes de réflexion, plutôt de pause, puisqu’au fond d’elle, réaliste, elle savait qu’en effet, irrémédiablement, à un moment ou un autre, que tôt ou tard comme lui avait dit sa sœur, elle allait, de toute façon, qu’elle le veuille ou non, devoir exposer ses blessures et se les faire soigner.

Alors, tout doucement, elle pivota vers sa sœur, et, précautionneusement, rabaissa sa main droite.

Choquée par la première vision, Éléna frissonna. Moment de faiblesse vite corrigé par sa position de soignante. Car surtout, malgré tant de sang, ne rien montrer, ne pas apeurer, plus que de nécessaire, la blessée.

Ivana détourna la tête et enfin réussit à tendre la main ensanglantée. Elle pensait l’ouvrir en grand, mais en réalité ne parvint qu’à la garder en un poing serré.

Éléna blêmit, mais n’eut pas à se cacher, Ivana ayant son regard porté au loin à l’opposé d'elle.

C’est alors qu’Ivan en profita pour revenir discrètement en scène :

– C’est ça, regarde-moi chérie. C’est bien, détourne ton attention de ta main et concentre-toi sur moi.


Pour toute réponse, un regard haineux suivi d'éclairs rageurs projetés des yeux. Pour peu qu’Ivana eusse été dans un dessin-animé de la fumée lui serait sortie du nez et des flammes auraient jailli de sa bouche.

Bien malgré lui, jolie tactique d’Ivan, car pendant qu’Ivana reportait sur lui toute sa fureur, Éléna en profita pour, en finesse, avec délicatesse, lui desserrer les doigts.

« Aouch », ne manqua pas d’entendre Ivana :

– C’est si moche que ça ? Dis, c’est… c’est…

– Ce n’est pas jojo. Je ne vais pas te mentir, ce n'est pas beau du tout. C’est assez vilain, mais ça va aller. Rien de cassé, ça va aller, ça va aller, répéta Éléna tout autant pour rassurer sa sœur que pour tenter de s’en convaincre elle-même.


« Parle pour toi, pétasse !

Toi, colère ?

Trois litres de sang se sont déversés, peut-être même dix !

En vrai, moins...

Et… et pas une goutte, pas la moindre putain de petite éclaboussure, pas un seul centilitre… rien… rien… rien sur la pierre…

Oui… navrant.

Alors non, non, non ça ne va pas aller ! Putain non, non, non ça ne va pas aller !

Pétasse ?

Mon destin est-il de rester à jamais, jusqu’à l’oubli, coincée de cette pierre ?

Destin…

Je suis maudite, maudit destin je te maudis ! »


Éléna souffla, inspira et commenta à haute et intelligible voix son diagnostic :

– Bon, l’ongle a… s’est accroché. L’index est salement entaillé sur toute la longueur et… attention, je tourne la main, voilà, attention, doucement doucement, voilà, elle est tournée. Oulala, pfff...

– Oulala, pfff quoi ?! gémit Ivana.

– Oulala et pfff ? s’inquiéta Ivan.

– Et bah tu ne t’es pas loupée ! Toute la paume est bien… entaillée, il n’y a pas d’autres mots. Putain de cran d’arrêt, hein ? essaya-t-elle de détendre l’atmosphère.

– Putain de mari... grommela Ivana.

– Putain de couteau de voyou, plutôt ! Je l’avais bien dit… Ok chérie, je me tais, les torts sont parta... nous reparlerons des torts plus tard, sut-il se contenir en sentant déjà les flammes cuisantes qui sortaient de la bouche d’Ivana le rôtir tout entier.

– Bon… comment opère-t-on ?


« Et si par hasard la bonne question était : Où allez-vous opérer ?

Pierre ?

Sur la pierre, la stable pierre, la plate pierre…

Idée excellente. »


– Ivan, va me chercher la trousse de secours. Ivana, viens, je vais aller t’allonger par là-bas.


« Par là-bas ?! Pourquoi ?! Mais pourquoi ?! Pourquoi par là-bas et pas là ?! Là, sur la pierre !

Navré… Destin...

Mais le destin de qui ?! De la pétasse, c'est ça ?! C'est la pétasse qui commande au destin maintenant ?!

Destin Éléna ? »

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