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Ivan recula, doucement, sans s’affoler, mais tout de même légèrement inquiet face au sourire vicieux affiché par Éléna.

Et plus il reculait, plus Éléna avançait.

C’en fut vite assez pour lui ; appréciant que les facéties ne dégénèrent pas, adepte du « les meilleures choses ont une fin », fervent défenseur d’« on peut rire de tout, mais modérément si c’est à mon détriment », et bien décidé à reprendre le dessus, à s’affirmer, il s’arrêta net.

Dans un premier temps, il se contenta de la fixer ; d’un regard sans appel, qu’il voulait résolu, déterminé, et à travers lequel il souhaitait faire passer le message : « Poulette, face à moi, tu n’auras pas le dernier mot. »

Puis, dans un second temps, d’un geste amplement exagéré, calculé pour accentuer une attitude guerrière, conquérante, il campa ses mains sur ses hanches.

Troisième et dernier temps : protester ! Chose qu’il fit… d’un ton qu’il aurait voulu, pensé, cru, viril… mais qui s’avéra finalement un brin tremblotant :

– Hey, oh, range ce couteau. Tu risques de te blesser.


Éléna, pas le moins du monde impressionnée, bien décidée à montrer qu'elle menait la danse, ignora sa remarque. Il aurait beau se pavaner, cela ne changerait en rien ses intentions.

Pire, il sembla à Ivan qu’elle ne l’entendit même pas… Ou plus épouvantable encore, à voir le sourire vicieux muter en sourire dément, il se demanda, à juste titre, s’il ne venait pas là d’exciter le diable en personne.

Elle avança jusqu’à lui et, le summum se produisit, lorsqu’elle posa la pointe de sa lame sur le bout de son nez ; son côté macho en prit un sacré petit coup.


– Bon, stop ! On arrête tout ! Je te préviens, tu ne me fais pas peur, ton petit jeu ne prend pas avec moi !

– Ah non ?

– Qu’est-ce que tu comptes faire avec ton canif, hein ?!

– Tu le sais bien.

– Je le sais ?

– Tu le sais.

– Je le sais ?

– Tu le sais.

– Ah bon, je le sais ?

– Oui oui, tu le sais.

– Tu en es si sûre que ça ?

– Certaine.

– Certaine ?!

– Sûre.

– Je ne sais rien du tout ! s’énerva-t-il.

– Je vais faire couler ton sang, lui expliqua-t-elle explicitement sans se démonter.

– Oh, bravo ! Bravo ! Toutes mes félicitations.


Éléna le regarda sans broncher, ne sachant pas où il allait en venir mais sachant très bien que, rapidement, lui serait exposé tout un blabla qui, de toute façon, ne changerait toujours en rien ses intentions.

Comme prévu, Ivan enchaîna et lui blablata le fil de son idée, encore persuadé qu’évidemment son sang ne coulerait pas :

– Bravo, tu vas faire couler le sang de ton beau-frère pour un parfait cliché !


Éléna ne le suivit pas complètement :

– Un parfait cliché ?

– Oh, je rappelle que je suis le cerveau du groupe et, qu’en tant que savant cerveau au QI ultra développé, je devine aisément le film qui se projette dans ta petite tête d’écervelée !


Éléna laissa s’échapper un petit gloussement de surprise :

– Tu ne manques pas d’air, j’ai cette lame sur ton nez et tu me traites d’écervelée…

– Et non je ne manque pas d’air, et oui le Ivan est courageux, audacieux, intrépide, madame !

– Je saurai m’en souvenir au besoin.

– Souviens-toi donc que tu n’es qu’un pantin, qu’une marionnette, qui va reproduire, tel un singe savant, un parfait cliché !


Éléna se retint de lui piquer le nez, mais ne retint pas le spasme d’énervement qui contracta ses narines.


– "Se souvenir", ça n’aurait pas dû contenir une notion de déjà dit ?

– Pardon, j’ai cru que tu savais lire entre les lignes, que tu anticipais le fil de ma pensée. Je constate que je t’ai surévaluée.


Tous deux se fixèrent, chacun gardant en tête l’envie de faire virer la ligne de front en sa faveur. Le duel qui s’engageait s’avérait, au final, peut-être incertain.


– Tu veux juste me faire une petite entaille, histoire qu’il y ait une goutte de sang qui tombe sur la pierre. Un cliché pathétique des films de série B : le sang coule et le monstre se réveille. Pathétique, je répète et rerépète : pa-thé-ti-que, et pas éthique, ma grande.

– Tu crois vraiment cela ?

– J’ai gagné, j’ai tout deviné, j’ai compris toutes tes petites intentions puériles de gamine attardée !

– Rien que ça… Ivan le bien téméraire…

– Tu te prétends intelligente, pfff, tu es en fait si prévisible.


Autant dire que les narines d’Éléna ne se décontractèrent pas, mais sans monter dans les tours, elle maintint sa ligne de conduite :

– Ok, tu as gagné, alors donne-moi ta main que nous puissions en finir.

– Ah ! Je le savais ! Les clichés ne s’arrêteront donc jamais : m’entailler la main ! La main… pfff.

– Ça ou une autre partie du corps, c’est selon ton bon vouloir, moi en réalité je m’en contrefiche.

– Je ne te donnerai rien du tout !

– Espèce de savant fou, guerrier inconscient, ne vois-tu donc pas que c’est moi qui tiens le couteau ? Je possède la suprématie technologique, toi tu es… tu es… tu es comme Néandertal face à Wonder Woman !

– Erectus face à Cruella ?

– Tu préfères Erectus ?

– Un inculte pourrait confondre avec Spartacus, Brutus ou bien encore Romulus ! Cette image me siérait assurément mieux.

– Ou confondre avec Minus… érection. Mais ne serait-ce pas plus appropriée ?

– Wonder Woman est devenue bien grossière, frustre, balourde… pa-thé-ti-que.

– Pas faux, mais moi, je te coupe où je veux, quand je veux, si je veux ! conclut-elle en beauté.


Ivan encaissa la triste réalité ; comprit qu’elle voulait vraiment le couper et qu’elle n’en démordrait pas. Plus d’autre choix pour lui, vaincu, que d’opter pour une autre tactique, plus raisonnable : essayer de lui faire retrouver la raison.


– Non mais vraiment ! Vraiment, tu crois que ça va faire venir la "chose" ?!

– Est-ce une "chose" maintenant ?


« Je suis quoi ?! Une chose ?!

Une chose.

Il a bien dit chose ?

Chose.

Bâtard !

Plus pénis à lui ? »


– Une pseudo déesse, une divinité, un monstre, appelle-la comme tu l’entends.


« Une… Un…

Cicici.

Glousse encore et je vais te plumer, Corbeau !

... »


– Peu importe ce qu’elle est. L’important, Ivan, est ce qu’elle veut.

– Car pour toi elle veut forcément du sang ?!

– "Ton" sang.

– "Mon" sang, bien entendu. Oui, évidemment.

– Même si je vais apprécier te saigner, console-toi en te disant que c’est purement scientifique.

– Purement aléatoire, oui !

– Non, non, je t’assure, je fais ça au nom de la science.

– Je suis un cobaye maintenant ?!

– Soit !

– C’est aléatoire car c’est injustifié !

– "Sur" la pierre, il y a marqué "sur" la pierre !

– Mais… mais…

– Oh, je comprends déjà ce que tu vas vouloir faire sous-entendre à ce "mais".

Bien sûr que ce mais doit sous-entendre…

– … qu’il n’y a pas mention de sang ?

– Exactement ! Il n’y a jamais eu une quelconque mention de sang dans notre foutue traduction !

– Que veux-tu que ce soit d’autre ?


« Que veut-il que ce soit d’autre ?

Idiot. »


– Mais…

– Arrête avec tes "mais" ! Cela en devient ridicule à force.

– Mais "sur" la pierre, ça peut être tout un tas de choses !

– Ah ! Tu viens toi-même de le dire !

– Quoi ?! Qu’est-ce que je viens de dire ?

– « Ça peut être tout un tas de choses », donc cela peut être du sang. De fait, puisqu’il faut bien commencer par quelque chose, essayons donc cette hypothèse scientifique.

– Mais… mais c’est… c’est… insensé ce que j’entends ! Insensé ! Tiens, par exemple, ça peut tout aussi bien être une poignée de terre !

– D’accord, je m’incline, essayons d’abord avec de la terre si tu le souhaites. Ensuite, tu en conviendras, si ta terre n’a pas fonctionné, nous serons bien obligés d’essayer avec ton sang.


Ivan en resta interloqué, n’en crut tellement pas ses oreilles que ses épaules s’affaissèrent et que les bras lui en tombèrent. Il découvrait là une Éléna totalement déraisonnable, elle qui d’habitude s’avérait la plus réfléchie et la plus cartésienne des trois.


– Je rêve ou ton seul et unique but est de me faire mal ? subodora-t-il avec horreur.


Éléna sembla ne pas l’entendre. Plus épouvantable encore, son sourire diabolique rayonna jusque dans ses yeux. Il se demanda alors, à juste titre, s’il ne venait pas là de se faire piéger par le diable en personne…

Éléna se pencha, gratta un peu la terre, en prit dans sa main et se dirigea vers la pierre :

– Par le pouvoir… par le pouvoir…


Elle laissa sa phrase en suspend et prit le temps pour réfléchir deux secondes à une formule magique adéquate. Elle dut vite admettre qu’elle n’était pas d’une nature très imaginative et se contenta donc de reprendre, simplement, à sa façon, la traduction effectuée :

– Alors en ce jour prochain, sur cette pierre, que la terre délivre l’âme illuminée contenue en son sein... jusqu’à la délivrance.

– Folle dingue, ça ne veut rien dire, pesta Ivan.

– De toute façon, pour l’instant, pour, l'in-stant, ce n’est que de la terre toute ridicule…. répliqua-t-elle toute heureuse, pour le coup, de sa répartie.


Éléna ouvrit la main. La terre noire, humide, tomba sur la pierre.

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