Chapitre XX 1/4

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Alice est partie tôt ce matin. Elle n’a fait aucun bruit. Juste avant son départ, elle est venue déposer un baiser sur mon épaule et elle s’est esquivée discrètement dans la fraîcheur de la nuit. Sur la table de cuisine, elle a laissé un simple mot : « Je t’envoie un SMS dès que je sais. Je t’aime. A ce soir mon amour. ».

J’étais réveillé lorsqu’elle est passée dans la chambre et pour ne pas la perturber d’avantage, j’ai préféré simuler le sommeil. Alice a eu une nuit agitée. D’habitude elle dort comme un bébé. De mon côté, je n’ai pas beaucoup fermé l’œil. J’ai dû avoir tout au plus une ou deux absences.

Je me lève, direction la cuisine pour le café du matin. Tout est prêt, je n’ai plus qu’à appuyer sur le bouton. Dehors, le ciel est nuageux. Il n’y a ni lune, ni étoile. La météo annonce un temps mitigé et de gros orages en fin de journée. Je pense à ma chérie, seule au volant de son quatre-quatre.

La cafetière est déjà vide. J’essaye de me concentrer sur la journée qui m’attend. Ce matin, je reçois les deux ou trois meilleurs postulants sélectionnés par Marion et Sarah pour remplacer Jean. L’un d’eux intégrera notre équipe, les autres repartiront déçus. Je me mets dans la peau de ces candidats qui, tout comme moi doivent être devant leur tasse de café avec l’espoir d’être embauchés. Le travail est bien rémunéré et il y a eu beaucoup de réponses. La première sélection n’était pas évidente et franchir ce premier barrage peut déjà être considéré comme une victoire. Je repense à mes débuts, à celle qui m'a donné à moi aussi la chance de devenir ce que je suis aujourd'hui. Elle a été l'une des premières personnes à croire en moi, à me faire confiance. Elle s'appelait Elena. Elle n'était pas très jolie avec un visage sympathique mais un peu bizarre, légèrement déformé au niveau de la tempe. Je me rappelle de son regard lorsque je me suis présenté devant le jury de sélection, de son sourire rassurant, de sa détermination aussi. Ce matin, changement de rôle. C'est à moi qu'incombera le choix de notre nouveau collaborateur en toute modestie.

Je passe dans la salle de bain. Sur le miroir, un post-it, « Je t’aime trop ». J’adore mon amoureuse et je l’adore tellement que j’en ai assez de l’appeler mon amoureuse. Je voudrais un qualificatif à la hauteur de notre folie sentimentale. Je sais, c’est dérisoire. On n’a pas besoin de ça pour s’aimer comme des fous, mais quand même. « Ma concubine », j’ai horreur de ce mot. « Ma femme », je trouve que ça irait mieux. « Ma fiancée » ça me plaît bien aussi. Tout cela n’est pas très conforme à mes principes, certes mais des principes c’est fait pour être chamboulés.

Alors, c’est décidé, ce soir, quoi qu’il arrive, je vais lui demander sa main.

- °° -

Le jour s’est enfin levé. Je quitte l’appartement. Une légère bruine s’est installée sur la station. Au bureau Marion et Sarah sont déjà en poste.

- Hello les filles, bien matinales ce matin ?

Elles sont toutes les deux très coquettes, chacune dans le style qui leur est propre.

- Bonjour Olivier. Bien passé ton week-end ?

- Excellent mais éprouvant. Et vous votre soirée ?

- Super ! Il ne manquait que toi. Pour le bain de minuit, on était plus que deux. Vraiment dommage que tu n’aies pas pu venir. Le premier entretien commence à dix heures. Avec Sarah, on a sélectionné trois candidats intéressants ; deux femmes et un homme. Les profils sont variés mais techniquement, ils tiennent tous très bien la route.

- Vous avez déjà une idée ?

- On est partagée. Une des deux jeunes femmes a de bonnes références et elle a déjà encadré une équipe. On pourrait envisager, une fois dans le bain, de lui faire chapeauter l’équipe de Reims mais je pense que l’autre te conviendra mieux. L’avantage que je vois, c’est que ni moi, ni Sarah n’auront besoin d’aller en Champagne. Je t’avoue qu’on préfère rester ici toutes les deux et si possible ensemble.

- J’avais compris Marion. Et elles sont mignonnes ?

- Pff, Tout de suite… Tu jugeras sur place.

- Ok. Prépare la salle de réunion. On recevra les candidats tous les quatre avec Jean. N’oubliez pas vos masques, la Covid-19 reprend de plus belle.

À 9h00, je reçois un SMS : « Bien arrivée mon chéri. Je t’embrasse ». Ma puce est déjà sur le pied de guerre. Vaillante et volontaire, elle espère, comme toutes les autres dans pareil cas, un sourire de la vie. La trentaine, elle a encore tant de choses à réaliser, tant de projets qui à deux maintenant, pourraient prendre tout leur sens. J'ai compris aussi qu'elle acceptera la fatalité avec résignation, sans combat si elle estime la destinée inéluctable.

A 10h00, le premier candidat se présente. Philippe un jeune homme de vingt-trois ans, un peu intimidé, il répond aux questions de façon laconique. Plutôt « geek », il a beaucoup d’idées intéressantes, plutôt innovantes. Je comprends qu’il faudra le canaliser.

La candidate suivante est déterminée. Elle s’appelle Rose. De par sa présence, elle en impose. C’est un bulldozer. Un visage ouvert mignon, qui se veut jovial, des yeux noirs qui trahissent une certaine autorité. Des seins débordant dans un décolleté un peu serré, des fesses généreuses. Elle s’assoit d’office, croise les jambes. Elle souligne sa disponibilité, son expérience en management d’équipe. Elle donne le sentiment d’être détendue, sûre d’elle. Dès son entrée en salle, elle m’a identifié comme étant le recruteur et elle s’est focalisée sur ma personne. Jean attiré par ses formes généreuses mais frustré de se sentir délaissé en tant que membre du comité de sélection, la déstabilise dans ses convictions. Je le laisse faire. Elle doute. Elle cherche le soutien de Marion ou de Sarah. Sarah reste imperméable. Marion lui délivre un sourire. Elle est en mode panique. Je suis obligé de la rassurer.

La dernière candidate est une jeune femme de vingt-huit ans. Son regard respire la franchise. Elle porte une mini-jupe de bon goût posée sur des jambes résilles, un chemisier blanc. Côté visage, elle est jolie, sans plus. Le masque gomme une partie de l’esthétique. Elle a des petits seins et un fessier accrocheur. Elle se présente rapidement. Elle va droit à l’essentiel. Elle est à l’aise même si je perçois un léger stress. Elle n’a jamais encadré d’équipe au sens strict ; elle préfère collaborer plutôt que diriger. Elle est disponible de suite. Célibataire, elle peut se déplacer occasionnellement. Elle se prénomme Manon. Jean tente de la titiller. Elle lui répond posément. Elle pratique le char à voile en compétition régionale. La nature, c’est son cheval de bataille. L’informatique, c’est son métier mais c’est avant tout une passion qui lui a été transmise par son père.

Manon est invitée à attendre avec les deux autres candidats dans le couloir.

Lors du débriefing, j’estime que Philippe sera trop compliqué à canaliser. Il faudra sans arrêt être derrière lui. Rose présente un profil intéressant mais elle est trop sûre d’elle et je crains qu’en situation de management, elle manque de souplesse. J’ai envie de faire confiance à Manon. Marion et Jean portent leur choix sur Rose. Sarah et moi optons pour Manon. Manon sera donc notre nouvelle collaboratrice. La jeune femme est invitée à rester parmi nous. Philippe et Rose sont congédiés après leur avoir expliqué les raisons qui nous ont poussé à écarter leur candidature.

Il est presque midi.

- Bienvenue Manon. Une nouvelle collaboratrice, ça s’arrose lance Marion joviale.

Je me tourne vers Manon.

- Ici tout le monde se tutoie. Je te présente Marion, Sarah, Jean et moi, c’est Olivier. Tu peux rester déjeuner avec nous ?

- Oui sans problème Olivier. Merci beaucoup. Je suis vraiment contente de rejoindre l’équipe.

- Ok, alors je vous invite au restaurant.

Jean décline l’invitation. Nous partons tous les quatre déjeuner sur le port, moi qui espérait conserver la parité, je me retrouve être le seul homme parmi trois charmantes femmes. Comme supplice, il y a pire.

- °° -

Le temps de l’apéritif, mon esprit vagabonde. Il est auprès d’Alice. A cette heure-ci, elle a terminé tous ses examens. Elle arrive maintenant dans la phase la plus pénible : l’attente des résultats.

Je l’imagine croquer un sandwich sans faim à la cafétéria de l’institut, perchée sur un tabouret haut, seule devant ses incertitudes. Je sais qu’elle pense à moi, probablement même bien avant de penser à elle. Je sais aussi qu’elle s’est interdite d’évoquer le futur même très proche par crainte de devoir atterrir en mode précipité. Je la vois en rétrospective sur la compétition de la veille où elle a magistralement survolé le concours hippique. Ce soir en quittant le travail, je passerai voir « Voie-Lactée ». Alice n’en aura pas le temps et elle se réjouira que j’y sois passé. Elle rentrera probablement tard dans la soirée et elle sera fatiguée physiquement et mentalement. Je lui préparerai un petit repas en amoureux qu’on prendra sur la terrasse. Il fait encore bon pour un mois de septembre même si la fraîcheur de la nuit nous enveloppera rapidement. J’ai prévu une couverture dans laquelle on pourra s’enrouler tous les deux au besoin. J’ai mis au frais ce matin avant de partir, une bouteille de champagne pour le cas où.

- Ça va Olivier ? Je te sens préoccupé.

- Des soucis personnels Sarah, rien de bien méchant me concernant.

Je n’ai pas envie de m’étaler plus que ça. Les entretiens du matin m’ont évité de gamberger, c’est déjà une bonne chose. Durant le repas, j’écoute mais là aussi, je suis ailleurs.

Manon, sans masque est plus mignonne que je pensais. Les femmes s’amusent, rient, parlent de tout et de rien. Les frusques, la mode, la bouffe, la plage. Tout y passe sauf...les mecs, et pour cause. La petite nouvelle n’a pas sa langue sans sa poche. J’aime sa voix posée au timbre chaud et légèrement grave. Elle est rigolote. Sous la table, je devine la main de Marion dans celle de Sarah. Je me demande si Manon s’est aperçue de quelque chose. Arrive le dessert où les femmes se goinfrent de chantilly et glace en tout genre.

- Il n’y en a pas une pour rattraper l’autre. L’été prochain les filles, vous allez regretter ;

- On va regretter quoi ?

- La descente de la chantilly sur le tour de hanche pardi. Je vois d’ici le mur des lamentations.

- Tu es vraiment rabat-joie s’écrie Marion. C'est trop bon et nous on a des secrets de filles pour garder la ligne dit-elle avec un énorme sourire envers Sarah.

Si Manon n’a pas compris...

On regagne le bureau après un café bien tassé, tous un peu guilleret avec l’apéritif et le vin blanc.

Je prends Manon à part dans mon bureau. Je lui explique le fonctionnement de notre équipe, les points où je suis plutôt cool, ceux pour lesquels j’ai tendance à être un peu plus strict comme la tenue vestimentaire, les délais de réalisation. Manon prendra son service dès demain matin. Elle sera en tutorat avec Jean pendant deux jours avant d’occuper pleinement son poste. Je lui explique aussi que Jean se voit confier momentanément la tête du site de Reims jusqu’à la rupture de son contrat, que parfois il sait être un peu rustre. C’est un homme de principe, droit mais un peu vieux jeu sur le regard qu’il veut porter aux évolutions sociétales.

- Et Sarah et Marion ?

- Elles sont très sympathiques toutes les deux. Marion, me seconde aussi sur les opérations importantes. Tu travailleras essentiellement avec Sarah.

- Et elles … euh comment dire …

- Oui, elles sont assez fusionnelles toutes les deux, tu as dû remarquer ?

- Effectivement. Elles sont ... ensemble ?

- Oui. J’espère que ça ne te dérange pas ?

- Non, pas de soucis Olivier. Pour ma part, je suis hétérosexuelle mais je reste ouverte sur les autres orientations.

- Tu restes ouverte ?

- Désolée, je me suis mal exprimée.

Elle sourit et elle reprend.

- Je ne suis qu’hétéro et d’ailleurs j’ai un copain avec qui je ne vais pas tarder à partager ma vie. On habitera ensemble dès le mois prochain.

- Ah ! Ok, tu me rassures.

- C’est toujours bon à savoir. Il faudra juste que je sois vigilante pour ne pas créer de malentendu entre-elles.

- Tu as tout compris. Jeudi prochain, tu nous accompagneras à Reims. Je voudrais aussi que tu gardes un œil sur ce qui sera mis en place par Jean. Évidemment, on t’épaulera si tu as besoin.

- Ça marche pour moi. C’est super. Merci pour m’avoir sélectionnée, merci encore pour le repas de ce midi. Vous m’avez l’air d’une équipe bien sympathique. Je suis vraiment très contente et aussi très impatiente de commencer. A demain Olivier.

- Passe un bon après-midi et à demain Manon.

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