Chapitre XIX 2/2

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Dix heures, la compétition va démarrer. Les cavaliers mémorisent le parcours à pieds. Julie accompagne Alice et Johanna. Elles s’arrêtent devant chaque obstacle, commentent le niveau de difficulté, la trajectoire optimale, la meilleure façon d’aborder les différents profils. Les trois femmes sont concentrées. Elles sont belles dans leur tenue de compétition. Je vois passer trois paires de fesses devant mes yeux ébahis et elles sont toutes plus magnifiques les unes que les autres. A choisir visuellement, je serais bien embarrassé mais mes mains reconnaîtraient sans hésitation aucune celles d’Alice. Il y a du monde dans la carrière. Je reconnais Clémence qui me jette un regard noir, sans même un bonjour, Richard qui suit est lui tout enjoué.

La sono annonce la fin de la reconnaissance du parcours. La carrière se vide. Alice et Johanna sont parties enfourcher leur monture. Elles se démarquent avec leurs juments blanches qui sortent du lot. De loin, je n’arrive pas à les distinguer l’une de l’autre. Julie est venue me rejoindre.

- Ça va. Pas trop crispé ? Je ne te sens pas très détendu.

- La dernière fois, ce n’était pas ça.

- Oui, c’est vrai. Elle a eu beaucoup de chance. Elle aurait pu se faire bien plus mal. Mais rassure-toi, ça n’arrive pas tous les jours et puis elle est en forme ta chérie. Elle ne se confie pas beaucoup mais elle est métamorphosée depuis qu’elle te connaît. Je l’observais pendant le repas, hier soir. Elle te dévorait du regard. Elle n’avait d’yeux que pour toi. J’ai compris hier que votre amour est si beau, si intense que je n’ai aucune chance de te conquérir un jour. Tu peux compter dorénavant sur mon amitié, rien que sur mon amitié Olivier.

- Tu es une femme exceptionnelle toi aussi Julie. J’admire ton courage et ta franchise. Je suis heureux de te compter dans mon cercle amical et aussi de rentrer dans le tien.

- Ça y est. Ça commence.

Le micro appelle la première cavalière. Elle s’élance sur le parcours juste après la cloche qui donne le départ et c’est un sans-faute avec 56 secondes. C’est au tour de Johanna. Elle s’élance sur le premier obstacle et c’est parti. Elle vole au-dessus des barrières. Je suis un peu stressé. Je voudrais que ça se passe bien. C’est une femme que j’apprécie énormément. Julie s’est transformée. Elle donne des directives lorsqu’elle estime nécessaire. Un bruit de sabot sur une barre. Le temps suspend son vol mais rien ne tombe.

- Un peu juste mais c’est passé. Elle marche bien la petite.

Johanna prend la première place avec 46 secondes. Avec Julie, on applaudit. C’est drôle parce que j’avais presque la respiration coupée durant tout le parcours. C’est au tour d’Alice maintenant. Je stresse comme un malade. Je transpire. J’ai les mains moites.

- Cool Olivier. Ça va bien se passer, tu verras.

Alice s’élance. « Voie-Lactée » est merveilleuse. Le premier saut est facile. C’est presque un amuse-bouche. Après ça se complique mais Alice gère à merveille. Mon cœur s’arrête à chaque mur et une fois passé, c’est un ouf de soulagement. J’ai l’impression d’être en apnée. Mon amazone est magnifique. Les sauts s’enchaînent les uns derrière les autres. Ils sont exécutés dans un exercice de style somptueux ou la grâce vient renforcer l'élégance du mouvement. Je suis tendu. Chaque obstacle franchi déclenche en moi une vague de joie suivit immédiatement d'un nouveau stress. Ça va vite. Pas le temps de souffler. Ça va très vite. Je suis si content que j'en ai presque les larmes aux yeux. Julie me regarde amusée.

- Pour un spectateur, quand tu participes, toi tu ne fais pas semblant me dit-elle avec un large sourire.

Alice franchit le dernier obstacle sans encombre. J’ai été si émerveillé que j’en oublie d’applaudir et c’est Julie qui me rappelle à l’ordre d’un coup de coude. Vu les applaudissements, je comprends qu'elle a fait un très bon parcours. J’attends maintenant le score. Alice prend la première place devant Johanna à deux secondes d'écart.

- Ça va être compliqué à battre me lance Julie. A mon avis elles font au minimum le podium toutes les deux. Tu peux être fier de ton amoureuse. Si elle reste sur ce classement, elle sera invitée à faire le tour d’honneur. Elle a horreur de ça, une vrai sauvageonne ton Alice. Je compte sur toi pour qu’elle ne s’esquive pas, comme elle sait si bien faire en pareille circonstance.

- Houlà Julie. Tu sais qu’elle a du caractère ma petite chérie. Je ne te promets rien.

Julie sourit.

- Ah tu as remarqué toi aussi ?

Alice est allée rejoindre Johanna dans le manège. A la fin de son parcours, son visage était crispé, rouge d'excitation aussi. Elle était épuisée tant la concentration a dû être intense. Et puis son sourire a repris lentement possession de ses lèvres pour ne plus les quitter. Elle a remercié généreusement sa jument en la caressant, en la tapotant doucement, en se courbant même sur son échine pour être en contact au plus près de son encolure. Je vois ses lèvres bouger. Je suis sûr qu'elle la félicite de sa voix douce. La relation est impressionnante tant elle est pathétique par sa sincérité. Maintenant elle me cherche des yeux. Je quitte la clairière pour rejoindre le manège et féliciter les deux meilleures lauréates au classement provisoire.

- Magnifique les filles, vous avez été merveilleuses. Je suis fier de vous.

Les yeux d’Alice brillent de bonheur.

- Je suis contente. On a fait un bon score. Ça va être difficile pour les autres de faire mieux mais on n’est pas à l’abri d’un retournement de situation. Maintenant, il ne reste plus qu’à attendre que les autres cavaliers passent pour voir ce que ça va donner au classement définitif. Je vais rester un peu avec « Voie-Lactée » et Johanna, tu veux bien ?

- Ok ma puce. Je vous laisse. Je vais aller suivre ce que font les autres.

Je retourne auprès de Julie.

- Te revoilà ?

- Les filles veulent se détendre avec leur monture.

- Tiens c’est au tour de Clémence. C’est la prochaine à passer. Elle m’a posé plein de questions sur toi hier soir. Et comme je ne sais pas grand-chose, je n’ai pas pu lui répondre. Méfie-toi d’elle. Elle sait être sournoise quand elle n’obtient pas ce qu’elle veut.

- Oui, c’est l’impression qu’elle me donne.

- Tu l’as vue cette nuit ? Elle m’a dit qu’elle passerait te voir.

- Elle est venue effectivement.

- Et … tu l’as sautée ?

- Non, je l’ai renvoyée dans ses appartements. Comment sais-tu tout ça ?

- Elle en est pas à son coups d’essai et la discrétion, elle ne connaît pas. A chaque fois qu’un mec pointe le bout de son nez au club, elle se le tape et tout le monde est au courant. J’aurai dû te prévenir mais je n’avais pas les yeux en face des trous lorsque tu es venu me réveiller hier soir et au moment du relai nocturne, je n’y ai plus pensé.

Clémence s’élance. Elle est un peu moins fluide qu’Alice ou Johanna mais elle ne se débrouille pas mal. Julie, d’une voix puissante, anticipe ses écarts.

- Tu vas me rendre sourd !

- Les boules « Quies », Il n’y a rien de mieux mon ami !

Clémence accroche la dixième place au classement provisoire. Elle bougonne quelque chose d'incompréhensible et quelque part, ça m'amuse. Il reste encore deux cavaliers à passer et Alice et Johanna tiennent toujours le meilleur temps. Moi qui suis d’habitude plutôt impartial, je me surprends à vouloir les voir fauter. L’avant dernier se trompe dans le parcours. Il est éliminé d’office, à mon grand soulagement. Il n'en reste plus qu’un, Richard.

- Julie ? Richard, il vaut quoi ?

- Sur quel plan ? me répondit-elle avec des yeux malicieux.

- Ah parce que toi et lui ...

- C'est de l'histoire ancienne... Il n’est pas mal. Il pourrait venir jouer les troubles fêtes mais les gamines ont mis la barre très haute. A mon avis, il sera trop court pour passer devant.

- Cool Olivier. Ce n’est qu’une compétition.

- Oui je sais mais je voudrais tellement la voir gagner.

Richard termine lui aussi par un sans-faute. Il accroche la cinquième place. Je suis aux anges. Mon amoureuse est première. Je sais qu’elle est super contente au fond d’elle-même. Je sais aussi qu’elle n’est pas de nature à écraser les autres par son succès. Elle est plutôt réservée dans ce cadre-là. Sa victoire, c’est pour elle et sa monture. Il est probable qu'elle m’ait réservé une petite place aussi. Enfin, c’est comme cela que je le perçois.

Alice, Johanna et une autre femme sont attendues pour le tour d’honneur. Je retourne au manège où Alice a déjà posé le pied par terre.

- Tu es attendue. Tu n’y va pas ma puce ?

- Non, je n’aime pas m’exposer. Ça fait animal de cirque. J’ai gagné. Ça me suffit amplement. Pas besoin d'aller pavaner devant les autres.

- Ah ! moi j’aurai été fier de voir mon amoureuse savourer sa victoire. Cette victoire, tu es allée la chercher. Tu la mérites. Il n’y a pas de honte à ça. En plus tu vas accompagner Johanna. En y allant, tu renforces aussi l’esprit d’équipe plutôt que de l’abandonner.

- Bon ! Tu veux que j’y aille ?

- Mon cœur, tu fais comme tu le sens. Moi je te dis simplement ce qui me ferait plaisir. C’est en quelque sorte le sacrement de votre effort à « Voie-lactée » et à toi aussi.

- Tu as probablement raison. Bon allez, je me sacrifie pour la bonne cause et surtout pour toi mon chéri.

- Bisou. Dépêche-toi. Va vite rejoindre Johanna avant que les organisateurs perdent patience.

Et voilà mon amoureuse sur le dos de sa jument. Elle rejoint les deux autres vainqueurs pour se présenter au tour d’honneur. Elles sont chaleureusement applaudies.

- °° -

Au bar, c’est l’effervescence. Alice et Johanna sont ovationnées. L’ambiance est festive. Alice qui est plutôt une femme de l’ombre, n’apprécie guère de se retrouver en pleine lumière. Et, dès la première occasion, elle s’éclipse des projecteurs pour venir chercher refuge dans mes bras protecteurs.

Johanna qui excelle dans l’art de la communication, captive l’attention. Elle vient elle aussi, au secours de mon amoureuse en focalisant toutes les regards sur sa charmante personne. La jeune cavalière n’a pas froid aux yeux. La timidité, elle ne connaît pas. C’est une très belle femme avec un visage mi ange, mi démon, un corps de déesse à rendre Vénus jalouse pour l’éternité et une répartie qui amuse avant d’assassiner tout aventurier un peu trop lourd. Richard en a fait l’expérience. Depuis masque ou pas, entre lui et Johanna la distanciation sociale, c’est dix mètres minimum.

Alice s’est assise sur mes genoux. Elle regarde son amie gesticuler, admirative mais aussi soulagée.

- Tu ferais comment si je n’étais pas là ma puce ?

- Vu que tu es là, je ne me pose même pas la question.

Ma petite amoureuse est blottie dans mes bras, son visage tourné vers moi avec un sourire merveilleux. J’adore. Dans cette simplicité, il y a tant de choses qui circulent en toute innocence que le contact corporel n’en est que sublime. Ses lèvres interrogent les miennes avec une telle sensualité qu’il est impossible de résister. Nos corps se livrent l’un à l’autre. Nos lèvres s’unissent ensemble. J’ai les yeux amoureux, j’ai les mains téméraires même si devant la foule je tente une modération de circonstance. Mon cœur vient chercher le sien pour s’accorder sur la partition. Je fonds d’amour. Je fonds de bonheur.

- A ben quand même !

- Quoi quand même ?

- J’étais en manque et tu ne t’en rends même pas compte.

- Viens, on va y remédier tout de suite ma puce.

On s’écarte de la foule main dans la main. Il y a là derrière un petit coin d’intimité où on ne viendra pas nous embêter. Ici, c’est sans volet. D’ailleurs, c’est inutile puisqu’il n’y a, ni porte ni fenêtre, juste un toit végétal un peu rudimentaire pour témoigner de notre amour.

- J’ai envie de toi.

- Moi aussi.

- Et on fait comment ?

- On attend d’être rentré, gros coquin.

- Ah ! … Je voyais ça différemment.

J’adore ma petite amoureuse. J’aime son humour décalé, ses yeux provocants, son sourire déconcertant. Et bien au-delà du désir sexuel, ce que j’aime par-dessus tout, c’est simplement être avec elle.

Je suis fier de sa victoire. Immensément fier. Non pas par rapport aux autres mais juste par rapport à elle. C’est important pour le combat qu’elle doit affronter dans les jours qui suivent et qui risque d’être hautement plus compliqué.

On avale un petit en-cas avant de prendre la route. Je récupère la culotte de ma chérie au-dessus de l’armoire. On restitue la clé de la chambre. « Voie-Lactée » et « Belle-de-jour » réintègrent leur van respectif et on prend le chemin du retour. Comme à l’aller, Johanna nous suivra.

Alice est fatiguée. Elle m’a confié le volant. Elle me donne quelques conseils sur la façon d’aborder au mieux les spécificités de la route. Rassurée par la souplesse de ma conduite, elle finit par s’assoupir, confiante.

Quand je la regarde, endormie, rien ne laisse présager les tourments de son corps. Elle est paisible, la tête posée sur le montant de la vitre, la ceinture de sécurité qui passe entre ses seins, les cheveux tirés en arrière. A l’exception des bottes qu’elle a troquées contre une paire de baskets, elle a conservé sa tenue de cavalière.

Je me retrouve face à face avec ma conscience. Tôt demain matin, Alice prendra seule la direction de la capitale pour le centre anti-cancer de Villejuif. A son arrivée, elle se verra prélever sous anesthésie locale un échantillon des cellules malignes, une ponction dans chaque sein. Les prélèvements seront ensuite analysés et les conclusions de l’analyse lui seront communiqués dans le courant de l’après-midi. C’est le moment où elle sera fixée sur l’évolution de ses tumeurs et la façon d’organiser au mieux le traitement en fonction des chances de guérison.

Je crains l'instant où les résultats tomberont. Alice est restée silencieuse sur la façon dont elle appréhendera le pronostic. C’est une professionnelle de santé. Elle sait réagir pour les autres. Mais pour elle…

J’ai peur aussi de l’appel téléphonique qui suivra, entre soulagement, inquiétude ou désespoir. Je me dois pourtant d’être fort, pour elle avant tout. Pour nous aussi. Je ne sais pas si j’en serais capable. J’ai peur de m’effondrer.

Je la regarde si sereine, si ordinaire dans sa beauté juvénile que les larmes s’épuisent sur mes joues.

Ma chérie, l’amour de ma vie, parce que je sais que c’est l’amour de ma vie, c’est une battante sous ses airs de gamine. Moi qui croyais la protéger, je m’aperçois que c’est elle qui me prend sous son aile, qui me rassure, qui me donne la force d’essayer de l’épauler dans son combat.

- °°° -

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