Chapitre XVIII 2/5

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Au centre équestre, c’est l’effervescence. Julie ne sait plus où donner de la tête. Elle est débordée de toute part.

- Hello Julie, tu as vu Johanna ?

- Bonjour Alice. Non pas encore. Elle m’a appelée. Elle sera un peu en retard.

Alice revient vers moi.

- C’est toujours comme ça les jours de grand départ. On va s’occuper de « Voie-Lactée ». Tu viens ?

Main dans la main, je sens le bonheur de mon amoureuse transpirer par tous les pores de ses doigts. Elle est heureuse. Heureuse de m’immerger dans son univers, heureuse aussi que j’y trouve un certain intérêt voire même un amusement. Je vis ce qu’elle vit et je ne me fais nullement violence. Moi aussi, je suis content d’être là et je suis surtout heureux d’être avec elle.

Je remarque qu’il y a essentiellement des femmes. Je n’ai comptabilisé qu’un seul cavalier. L’ambiance est mondaine. Alice ne me présente pas. Elle se contente d’un signe de tête en guise de bonjour et l’écho s’effectue sur le même protocole. En pleine pandémie, il n’y a rien de surprenant. Des regards furtifs au départ et plus insistants par la suite s’attachent rapidement sur ma personne. Je suis dévisagé de haut en bas. J’ai le désagréable sentiment d’être un objet de curiosité, de ne pas être tout à fait à ma place, de faire tache dans ce monde fermé. Ici, tout n’est que paraître. De la dernière voiture flambant neuve au van le plus sophistiqué en passant par les tenues vestimentaires les plus à la mode et le harnachement des chevaux les plus coûteux. On comprend que la grandeur de l’individu se mesure à la taille de son portefeuille. Dans cet océan de bourgeoisie, Alice est un îlot de simplicité.

- Bonjour Alice, tu vas bien ?

- Bonjour Johanna... Je te présente mon ami, Olivier. Je crois que vous vous connaissez.

Johanna se tourne vers moi. Elle marque un temps d’arrêt. Son visage s’est largement empourpré.

- Bonjour Olivier. Ah, c’est vous ? Je … Je m’attendais à vous trouver ici mais je ne savais pas que vous étiez avec Alice. Je suis confuse.

- Bonjour Johanna. Il n’y a pas de quoi. Je vous propose de laisser confusion et vouvoiement aux oubliettes, si tu veux bien. Je suis content que tu sois là. Je connais très peu de monde ici et on a au moins un centre d’intérêts en commun, lui dis-je en souriant.

- D’accord, merci Olivier. Vraiment désolée. Sans le savoir j’ai trahi quelques secrets.

- Vous parlerez friperies plus tard. On a « Voie-Lactée » et « Belle-de-jour » à préparer pour le transport s'exclame Alice.

Les filles disparaissent rejoindre leur jument dans leur box. Celui de Johanna est à deux pas de celui d’Alice, dans le même couloir. Je rejoins ma chérie.

- Et pourquoi elle est confuse, la Johanna ?

- Disons qu’on a peu joué au jeu du chat et de la souris. Dans le magasin, vu le contexte, ça s’y prêtait bien.

- Mouais ! Et toi tu n’es pas confus ?

- Moi je trouve ça rigolo.

- Et tu t’es posé la question de savoir si moi j’allais trouver ça rigolo aussi ?

- Tu ne vas pas me refaire ta crise de jalousie ? C’est toi que j’aime. Ce n’est pas une autre !

- Oui mais moi je suis commune, banale, ordinaire. Elles, elles sont jolies. Elles ont des beaux seins. Moi, je n’ai pas tout ça alors…

- Alors quoi ? Arrête ton numéro ! C’est vrai que Johanna et Julie sont mignonnes mais il n’y a pas que la beauté qui compte. J’ai rencontré une nuit de pleine lune une femme qui se dit ordinaire alors qu’elle est extraordinaire. Elle se dit banale et tu es si peu banale que tu m’as conquise du premier regard. Elle se dit encore commune et quand je vois les femmes que j’ai croisées ici, tirées à quatre épingles, je les ai trouvées tellement insipides, tellement guindées que toi, ma petite amazone, tu es encore plus resplendissante dans toute ta simplicité.

- Tu dis ça pour me faire plaisir ?

- Non. C’est ce que je ressens et tu le sais bien mon cœur. Je voudrais juste que tu arrêtes de te dévaloriser et de tout rapporter au physique. Un bisou pour te faire pardonner !

- Je t’aime. J’ai peur de tout cet amour que je ne maîtrise plus.

- Tu n’as pas à avoir peur ma chérie. Juste confiance en nous, en notre amour. Allez, on s’active. On va finir par être en retard. Dis-moi ce que je peux faire ? Tiens, passes moi le licol, je vais la lui mettre.

- Tu ne sauras pas faire.

- Comment ça je ne saurais pas faire ? Regarde.

- Ben t’as appris ça où ?

- Secret de polichinelle !

« Voie-Lactée » est enfin prête. La jument est recouverte d’une chemise. Elle est parée d’un protège queue, de guêtres, de genouillères et d’un protège-nuque. Affublée comme ça on dirait une mémère. Alice fait monter sa jument dans le « van » puis elle donne un coup de main à Johanna. Je regarde les deux femmes, amusé. « Belle-de-jour » se montre plus récalcitrante que « Voie-Lactée » mais au final, tout va bien. Le convoi s’ébranle et c’est Alice qui prend la tête, suivi à distance par Johanna.

-°°-

La Normandie, ce n’est pas la porte à côté. Il faut compter deux cent quarante kilomètres et un bon trois heures de route avec le « van ». L’arrivée est prévue vers 19h00. On a essentiellement de l’autoroute tout le long du trajet.

En tant que passager, j’ai tout loisir d’observer mon amoureuse. Elle est très prudente, concentrée sur sa conduite. Parfois elle me jette un coup d’œil furtif. Elle sait que je l’observe, que je suis fier d’elle, de ce qu’elle est capable de faire. Elle est rassurée dans sa condition de femme.

- Tu ne dis plus rien ?

- Je te regarde et ça suffit à me rendre heureux.

- Je suis désolée pour tout à l’heure. J’ai confiance en toi, tu sais. C’est en moi que je doute.

- Je sais ma chérie.

- Mais je me demande quand même.

- Tu te demandes quoi ?

- Je me demande ce que tu penserais si je me mettais à jouer au jeu du chat et de la souris avec mon gynéco tout comme tu l’as fait avec Johanna ?

- Pff ! Évidemment que ça ne me plairait pas mais ce n’est pas la même chose.

- Ah oui ?

- Bon, je serais fou de jalousie, mademoiselle est contente ? dis-je sur un ton agacé.

- J’aime bien ta réponse mon cœur, je clos le débat. Et tu la trouves comment Johanna ?

- Sympathique. Pas aussi guindée que les autres avec quand même une certaine classe. Elle est à l’aise. On voit qu’elle est habituée à côtoyer le beau monde.

- Et les autres ?

- Bof !

- C’est drôle parfois, parce que quand je les vois à l’hôpital, c’est Alice par ci, Alice par là et au centre équestre, lorsqu’elles sont entre-elles, elles ne me connaissent plus. J’en ai pris mon parti.

- C’est avec eux qu’on dîne ce soir ?

- Oui, mais après l’apéro, et quelques verres de vin elles sauront se dérider. Bon ça va pas être la grande effusion. Mais on devrait arriver à ne pas s’ennuyer. A table, je suis souvent avec Julie et Johanna. On partage la même analyse alors on s’arrange souvent pour être ensemble.

- Mon chéri ?

- Oui ma puce.

- Personne ne sait pour moi. Ni Julie, ni Johanna et encore moins les autres. Je préfère éviter. Julie, je lui ai dit que je partais voir mes parents, puisque c’est elle qui va s’occuper de « Voie-Lactée » pendant mon absence et tant que je ne perds pas mes cheveux, personne n’y verra rien. Quand ça commencera, j’emmènerai « Voie-Lactée » chez mes parents et je mettrai en pause l’équitation. C’est ce que j’avais fait la première fois.

- Pas de souci Alice.

- Euh, dis-moi un peu Olivier. Comment tu as su pour le licol ? On aurait dit que tu avais fait ça toute ta vie. Tu n’as même pas hésité une seule seconde. Et le plus surprenant c’est que tu as su accrocher la longe sur l’attache avec le mousqueton de sécurité. Ça ne se devine pas ces gestes-là. Tu ne me cacherais pas quelque chose ?

Vendu par ma velléité à vouloir trop bien faire, je me retrouve au pied du mur sans échappatoire. Décidément, mon amoureuse est redoutable aujourd’hui.

- Si je te le dis, tu n’en prendras pas ombrage ?

- Houlà, j’en étais sûre. Il y a un truc pas catholique là-dessous. Dis toujours et je verrai après.

- Bon, voilà. J’ai pris des cours en cachette.

- Des cours pour monter ?

- Ben oui, évidemment. Quelle question !

- Avec Julie ?

- Oui. C’est elle qui m’a appris. Je le lui ai demandé. Le dernier cours c’était vendredi. A priori, je ne me débrouille pas trop mal. Je voulais te faire la surprise pour quand tu rentreras. Je voulais être capable de me balader avec toi sur la plage, tous les deux, rien que nous deux. J’arrive à galoper mais pas trop longtemps. Si tu veux bien, on pourra essayer mardi prochain. Ça te dit ?

- Évidemment que ça me dit mon chéri. Me promener à cheval avec toi dans les dunes, sur la plage, dans la mer. Et tu me proposes de réaliser ce rêve que j'ai dû faire mille fois au moins ? Je n’ose même pas y croire. Je suis folle de joie rien qu’à l’idée.

- Eh attention !!! tu vas nous envoyer dans le décor.

- T’inquiète mon amour, je maîtrise. Tu auras quand même droit à une punition parce que je te rappelle que ton coach, ça devait être moi.

- C’est vrai mon cœur mais je pense que tu avais d’autres préoccupations plus importantes. Alors je me suis pris en main.

- Je comprends mieux pourquoi tu sentais l’écurie l’autre fois et hier soir aussi en rentrant. Je te rassure mon chéri, tu as bien fait. Je n’aurais pas pu tout gérer. Je note pour mardi, et j’ai hâte d’y être. J’espère qu’il fera beau et qu’on pourra en profiter. Je te montrerai des coins magnifiques. Je suis trop contente. Il s’appelle comment le cheval qu’elle t’a passé ?

- « Pépère », il porte merveilleusement bien son nom.

- Ah oui ! Je crois que c’est le plus vieux cheval de l’écurie. En son temps, c’était une bombe. Là, il a plein de rhumatismes mais pour sortir, il est toujours là.

On fait une petite pause sur une aire de repos loin de la foule. Alice et Johanna en profitent pour désaltérer leur monture respective. On fait de même. Alice boit goulûment à la bouteille. Se faisant, elle me regarde et j’ai un grand sourire devant les images qui me repassent dans la tête. Je vois ses yeux plein de malice et elle manque de s’étrangler. Alice me tend la bouteille avec un énorme sourire.

- A toi mon amour et essaye de ne pas en mettre trop à côté cette fois-ci.

Je ris. J’ai du mal à boire. Johanna nous observe éberluée.

- Vous avez l’air bien complice tous les deux ?

On éclate de rire.

Avant de remonter en voiture, Alice me prend par le bras.

- Viens ici mon amour. J’ai un compte à régler.

Et elle pose ses lèvres sur les miennes.

- Ben t’attends quoi ma puce ?

- Que tu m’embrasses pardi !

- Pff ! Faut tout faire ici.

Derrière, un petit coup de klaxon nous invite à abréger.

- Johanna s’impatiente mon cœur.

- Si on n’était que tous les deux, j’irai bien faire un tour derrière les fourrés...

- Coquine !

Alice plaque son corps contre le mien.

- A priori, tu n’as pas l’air contre.

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