Chapitre IV

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Trois jours ont passé. Plus aucune nouvelle d’Alice. Le dimanche qui a suivi notre apéritif dînatoire, je suis allé me balader dans l’arrière-pays. La prédominance est plutôt campagnarde. Dans les villages traversés, l’architecture n’a rien de spécifique. Il faut dire aussi que la région a été entièrement rasée lors du débarquement, enterrant à jamais les vestiges du passé, pour peu qu’ils aient existé. Il ne subsiste que quelques blockhaus immergés dans les dunes, souvent dévastés par la mer, parfois même perdus dans les champs.

Au début de la semaine, j’ai fait connaissance avec ma nouvelle équipe et j’avoue que je suis plutôt satisfait. Les collaborateurs que j’ai recrutés sur dossier, vidéoconférence à l’appui, me conviennent bien. Ce n’était pas gagné d’avance surtout en pleine période de confinement.

Ils sont pour l’instant trois. Marion, une femme d’âge mûr expérimentée, Sarah, une jeune femme un peu moins mature mais très volontaire et Jean, un féru d’informatique. Tous sont du cru local. L’ambiance de travail est sympa. Personne ne se prend la tête.

Le week-end prochain, j’ai lancé l’idée d’une sortie cohésion afin de mieux se connaître. J’avais proposé un repas au restaurant mais Marion a de suite renchéri sur une soirée merguez, saucisses et autres chez elle samedi soir. Elle habite un petit pavillon reculé dans la campagne à quelques encablures d’ici avec piscine. Sans difficulté aucune vu les arguments, sa proposition a été adoptée à l’unanimité. Chacun amènera un petit quelque chose.

- °° -

Il est dix-huit heures. Si je veux réapprovisionner le frigidaire, il est temps de quitter le bureau.

Sur la route, à l’entrée de la station, il y a un petit centre commercial sans envergure mais bien suffisant pour le ravitaillement de la semaine. Muni d’un caddy, je parcours les étalages méthodiquement pour repérer ceux qui correspondent à mes centres d’intérêt. Je m’arrête au rayon journaux en cherchant le programme télé de la semaine prochaine. Au fond de l’allée, j’aperçois une jeune femme qui négocie son virage en se frayant un passage dans l’allée étroite. Même de loin, la silhouette m’est familière. Je ne discerne pas son visage. Elle porte un masque comme tous les clients.

Ni d’une ni de deux, j’abandonne le programme télé à ses congénères et je me dirige avec fougue et détermination dans l’allée parallèle où elle pourrait s’être engouffrée. Personne ! Demi-tour, direction la suivante.

Elle est là, elle ne m’a pas remarqué. Elle est concentrée sur le rayon café où il est vrai, le choix est tellement vaste qu’on s’y perd un peu. Je m’arrête à l’extrémité de l’allée pour prendre le temps de la regarder dans son quotidien. Elle n’est pas différente et de cela, je n’en doutais pas une seule seconde.

Son jean lui donne une silhouette élancée. Elle me semble avoir grandi mais je m’aperçois qu’elle a troqué ses escarpins taille basse contre des chaussures à talon. Elle porte un tee short blanc qui lui va à ravir. Ses cheveux sont libres sur ses épaules, ce qui lui donne un aspect légèrement négligé.

J’étais un peu morose et d’un seul coup, me voilà tout ragaillardi. J’attends Alice, planté au milieu de l’allée. Son caddy vient buter sur le mien. Elle lève les yeux. Ses grands yeux couleur café qui s’illuminent.

- Olivier ? Ça fait longtemps que vous êtes là ?

- Bonjour Alice. Je viens d’arriver. Je vous ai aperçue au détour d’une allée. Je vous ai cherchée et je vous ai trouvée. On continue ensemble ?

Elle sourit. Je ne vois que ses yeux mais je devine ses lèvres. Je remarque que ses seins sont libres. Ils sont petits, j’aimerais tant... Sous le tee short, rien ne bouge, juste un point de véhémence qui s'exprime derrière le tissu.

- Oui avec plaisir me dit-elle.

A deux de front dans les allées, c’est compliqué. Les autres clients exigent aussi le passage, pas moyen d’être tranquilles. On adopte le concept de la file indienne. J’emboîte le pas à ma petite amazone, ce qui me permet de profiter de la vue sublime sur son fessier. Je distingue sous la toile du jean les contours d’une culotte traditionnelle, probablement sans fioriture. Un string là-dessus, il y aurait de quoi rendre fou plus d’un regard.

Lorsqu’elle s’arrête, je m’arrête aussi. On échange deux ou trois mots. Elle me dit ce qu’elle aime, ce qu’elle déteste. Et j’adore. J’ai le sentiment de rentrer un peu plus dans l’intimité de son quotidien. Je l’écoute. Je la regarde ou plutôt je la dévore. On rit de bon cœur. Je suis bien. J’ai le sentiment qu’elle est bien elle aussi.

Passée la caisse, Alice m’attend. La caissière n’est pas dupe de notre complicité et elle nous gratifie d’un large sourire.

On se sépare sur le parking.

- Je suis garée au fond à gauche et vous Olivier ?

- Moi c’est juste là ! en indiquant l’emplacement en face de nous.

- Rendez-vous chez moi, ça vous dit ?

- OK Alice, le temps de ranger mes courses et j’arrive.

- °° -

Je suis tout chose devant celle qui captive mon cœur et le met en déroute. Je me suis maintenant habitué à cette idée. J’ai décidé de ne plus résister et d’ailleurs pourquoi diable résisterai-je ?

L’appartement d’Alice est coquet, simple, sans décoration outrancière, taillé à son image. Elle me reçoit dans un grand canapé trois places en tissus. Devant, il y a une table basse rectangulaire en pin recouverte d’une plaque vitrée sur laquelle elle a déposé deux verres, quelques bouteilles et quelques biscuits apéritifs. Alice s’est assise à côté de moi en respectant la distanciation sociale. J'étais prêt de mon côté à faire l'impasse sur cette distance de ridicule mais c'est comme ça... Je respecte.

Sur les murs quelques cadres représentant ici des chevaux sauvages en liberté sur la plage, là une peinture moderne qui se fond dans le décor de la pièce. Mon regard s’arrête sur une photo encadrée.

- Mon cheval, me dit-elle.

Sa robe est blanche. Il est beau, puissant, majestueux. J’imagine Alice montée sur sa croupe, les cheveux au vent et dans cette vision, j’arrive même à ressentir la force de son bonheur.

- J’ai une compétition ce week-end.

- Une compétition ?

- Oui. C’est une épreuve de sauts d’obstacles. Elle devait compter pour le championnat de France mais il a été annulé avec la Covid-19. Dommage, j’étais bien classée pour une fois. Vous viendrez ?

- Avec plaisir Alice. C’est dimanche, c’est bien cela ? On se tutoie ?

- Samedi, c’est l’entraînement et je passe en compétition dimanche vers dix heures. C’est juste derrière la Canche. Vous … euh tu ne pourras pas le rater Olivier.

Je me lève pour détailler la photo de son cheval.

- Il est superbe. Tu lui as donné quel nom ?

- Elle s’appelle « Voie-Lactée ».

Elle m’a rejoint et elle est juste à côté de moi. Je sens son épaule frôler la mienne, un pur délice.

- Eh bien, tu as de la suite dans les idées dis-je en lui prenant la main.

Elle tressaille. Je sens que quelque chose cloche. Elle ne dit rien. Elle ne bouge pas, comme si elle était tétanisée. Je me tourne vers elle et je vois ses grands yeux. Ils sont craintifs. Elle a changé. Elle est pâle. Elle est perdue.

- Ça va ? Lui dis-je doucement.

Elle me lâche la main, fait semblant de rien mais elle ne sait pas faire semblant. Elle est nerveuse, elle tremble un peu et je ne sais pas pourquoi.

- Désolé, Alice, je ne voulais pas.

- Ce n’est rien Olivier. Ça va passer.

Je la sens gênée, préoccupée. Je cherche ce que j’ai pu dire qui puisse la mettre dans un état pareil. Je comprends que c’est probablement le contact de ma main sur sa main qui a déclenché ce changement d’attitude un peu comme un électrochoc qui a trop duré et je ne saisis toujours pas pourquoi. Ai-je été trop entreprenant, trop rapide ? Je m'interroge.

Alice disparaît dans la cuisine. Lorsqu’elle revient quelques minutes plus tard, ses yeux sont humides, légèrement rosés. Elle donne le sentiment d’avoir repris le dessus mais je sais qu’elle a pleuré même si elle a cherché à masquer les traces de ses larmes.

Perplexe Je suis retourné à ma place dans le canapé, ne sachant plus qu’elle attitude adopter. Je m’en veux d’avoir provoqué ce mal-être. Je suis sur le point d’écourter l’apéritif quand Alice se confie à nouveau.

- Je ne sais pas ce qui m’a prise. Des souvenirs pénibles se sont réveillés en moi. Je suis vraiment désolée. Mais rassure-toi Olivier, tu n’y es pour rien. Peut-être un jour, je t’expliquerais mais pour le moment j’en suis bien incapable.

Je l’écoute. Je ne pose pas de question. Je la regarde avec douceur et affection, pour ne pas dire avec amour.

- Prends le temps qu’il faudra Alice.

- Merci Olivier. J’apprécie énormément l’homme que tu es.

- °° -

Quand je vous disais que j’étais poursuivi par la guigne, vous vous êtes dit que ça vous arrive à vous aussi et qu’il n’y a rien d’extraordinaire. Mais là, avouez franchement que la poisse est avec moi.

Je rencontre une femme que tous les autres qualifieraient d’ordinaire.

Je tombe amoureux. Amoureux de son physique et même s’il n’est pas toujours à son avantage, je m’en fous. Amoureux de son mental - j’adore ses mimiques, ses expressions d’un naturel désarmant, sa façon à elle d’être ce qu’elle est, son humour, ses réactions, ses réparties, … Je serai capable de tomber amoureux de son tee-shirt, de ses chaussettes, de sa petite culotte s’il le fallait.

Je ressens en retour une réciprocité sans équivoque.

Et à la toute première approche : le râteau !!!

Je suis dérouté mais j’ai conscience que c’est loin d’être un râteau. Tout compte fait, c’est bien tout le contraire et il faudrait être idiot pour ne pas s’en être aperçu ; elle ne m’a jamais repoussée, elle n’a jamais dit « Non », elle a simplement demandé un peu de temps.

Avant de partir Alice m’a toutefois fait promettre de venir la voir dimanche, comme si elle craignait que je puisse esquiver l’invitation.

- °° -

Samedi soir. Je m’arrête chez Nicolas, le meilleur caviste de la station. Une bouteille de champagne, un rosé Centre Val-de-Loire et un Bourgogne pour le vin rouge. Je règle le GPS sur l’adresse de Marion et je me laisse guider par la voix électronique que j’aimerais un peu plus suave.

Marion habite un petit hameau presque désertique. Trois maisons dont la sienne composent le lieu-dit.

Je gare ma voiture à l’ombre d’un chêne centenaire. Je suis le premier des convives. Marion m’accueille somptueuse dans une mini-jupe de très bon goût, son chemisier largement déboutonné sur sa poitrine qui cache difficilement la naissance de ses seins.

- Waouh, tu es ravissante Marion.

Elle sourit d’un sourire large et confortable. La femme mature qu’elle est n’envisage pas une seule seconde qu’elle ne pourrait pas plaire. Sa tenue est choisie pour la circonstance. Elle est sûre d’elle et il y a de quoi.

Sur ces entrefaites, Sarah arrive dans une tenue vestimentaire moins sophistiquée mais toute aussi efficace.

- Les filles vous vous êtes données le mot ce soir. Vous êtes toutes les deux magnifiques.

Jean se joint à nous dans la foulée. Il est lui aussi subjugué par la sensualité de nos deux collaboratrices.

Je fais sauter le bouchon. Les verres tintent. Ça discute, ça boit, ça complote. Les merguez et les saucisses frétillent sur la braise, la chaleur et piscine incitent à la baignade et c’est Sarah qui la première se jette à l‘eau.

Elle a quitté la jupe et le débardeur dégageant des seins fermes, magnifiquement accrochés. Jean a failli avaler de travers. On explose de rire et Sarah amusée nous invite à la rejoindre. Jean ne se fait pas prier. Le voilà à l’eau lui aussi.

Marion me regarde.

- Maintenant c’est à nous dit-elle en souriant.

Je retire pantalon et chemise et je me retrouve en caleçon de bain. Marion s’est levée et elle fait glisser sa mini-jupe dans un geste magistralement calculé tout en dévoilant les seins enfouis dans son chemisier. Cette débauche de sensualité éveille en moi quelques ardeurs que je tente de refouler discrètement. Tout comme Sarah, elle n’a pas de haut. Elle porte un string de bain couleur rose fluo qui lui habille juste le bas du pubis fraîchement épilé. Elle est resplendissante sous les reflets lunatiques de la piscine.

On rejoint Sarah. Jean est tout émoustillé. Il s’est rapproché de Sarah.

- Et la distanciation sociale alors ? dis-je avec une pointe d’humour.

Tout le monde rigole. On passe un très bon moment. La nuit est tombée. Je ne sais pas qu’elle heure il se fait. Je pense à Alice qui doit se préparer psychologiquement pour sa compétition. Je n’ai pas pu passer la voir à l’entraînement. Je le regrette. Je suis certain qu’elle aurait beaucoup apprécié.

Jean et Sarah décident de partir. Je reste un petit moment en compagnie de Marion.

- Une coupe de champagne ? Il en reste encore un peu me demande Marion.

Le liquide légèrement teinté de bulles coule dans les flûtes et nous portons un toast à cette bien agréable soirée.

Les yeux de Marion brillent de désir pour ne pas dire qu’ils brûlent. Elle vient s’asseoir à mes côtés. On trinque. Ses yeux sont dans mes yeux. Je sais ce qu’elle veut. Je l’ai compris dès mon arrivée. Ma main se pose sur sa jambe, elle place la sienne par-dessus la mienne, nos lèvres se rapprochent, se touchent et se mêlent ensemble dans un ballet d’une sensualité sans équivoque.

Chez Marion, il n’y a pas d’amour, il n’y a pas de sentiment. Seule une recherche du bien-être, du plaisir, de la jouissance. Lascive, elle m’abandonne son corps et mes doigts la taquinent sur toutes les parties accessibles. Aucune parcelle de sa peau n’est épargnée. Son cou délicieux, ses oreilles adorables, ses épaules si douces, son dos que mes ongles effleurent à peine faisant hérisser son épiderme à chaque passage, ses seins gonflés, ses fesses que ma bouche embrasse, son sexe que mes lèvres embrasent pour ne plus le quitter. Marion gémit. Elle s’extasie maintenant sans aucune retenue dans toute sa jouissance.

Le souffle court, repue de plaisir et réconciliée momentanément avec son corps rassasié, elle me lance d’un ton amusé.

- Un bon point !!!

- Un seul seulement ? Tu ne serais pas un peu radine toi ?

- Oui, c’était presque aussi bien mené qu’une femme.

- Ah parce que madame mange à tous les râteliers ? lui dis-je en riant.

- Non, pas que. Juste épicurienne, presque hédoniste. J’aime le sexe. Après, homme, femme, ça n’a pas réellement d’importance à partir du moment où c’est moi qui choisit ce que je donne et ce que je prends.

Elle regarde sa montre accrochée à son poignet.

- Il se fait tard maintenant. Mes filles ne vont plus tarder.

Je comprends qu’il est l’heure de partir.

- Bonne nuit Marion. Merci pour tout. J’ai énormément apprécié.

- Bonne nuit Olivier.

Elle ajoute :

- Lundi, on fait comme s’il ne s’était rien passé. Je suis libre. Tu es libre. Je ne demande rien. Je ne veux rien. Mais si tu as envie, tu peux revenir quand tu veux. J’ai adoré moi aussi. Préviens seulement pour que je puisse m’organiser avec mes filles.

- Oui, j’avais compris Marion et c’est aussi comme ça que je conçois les choses.

Je dépose un baiser plein de tendresse sur ses lèvres humides.

- Passe un bon week-end Marion et à lundi.

Sur le chemin du retour, Je me remémore cette soirée improbable. Je pense à Sarah qui s’est éclipsée avec Jean. Peut-être sont-ils allés s’acoquiner eux aussi quelque part, à l’abri des regards indiscrets.

Je revois Marion, cette femme sulfureuse, désirable à souhait mais avec qui tout compte fait, je n’ai pas consommé l’acte d’amour.

Mon esprit s'est envolé près d’Alice. Je l’imagine les yeux fermés, toute seule dans un lit presque trop grand pour elle, en petite tenue ou totalement nue, ça n’a aucune importance mais je serais curieux de savoir. Je voudrais être cette petite fée qui me permettrait de survoler son corps endormi, passer lentement au-dessus de son visage pour relever chaque détail, deviner ses rêves, m’immiscer dans leurs scénarios, la faire rire et sourire pour son bonheur, pour le mien aussi. Je voudrais l’enlever pour partir je ne sais où, puis la ramener discrètement sous les draps, déposer un baiser douceur nuage tout coton sur son épaule afin qu’il virevolte le long de son cou. Je voudrais laisser mon souffle zigzaguer au creux de son oreille, pour suspendre sa trajectoire juste sur ses lèvres, s’y lover en toute innocence et y attendre pudiquement son réveil.

- °°° -

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