Chapitre 4

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Nas fut réveillé par une vive douleur dans les côtes. Il entrouvrit les yeux et aperçut Fukume qui le toisait. Elle conservait son visage neutre, ne laissant rien paraître. Sa tresse s’était défaite, et ses mains se baladaient dans ses cheveux pour la refaire. C’était assez frustrant pour Nas de ne pas pouvoir tirer quoi que ce soit de ses expressions, puisqu’elles étaient simplement absentes.

Il se redressa péniblement, se tenant les côtes et comprit que cette douleur ne venait pas d’une position inconfortable pour dormir ni même de la dureté de sa couchette, mais d’un violent coup de pied que la chasseresse venait de lui décocher. Il grimaça de douleur.

- Il y a d’autres façons de réveiller les gens tu sais ?

Le rouquin détestait être tiré du sommeil trop tôt, mais alors par un coup c’était encore pire.

Il se leva sans pour autant sortir de ses pensées. La chasseresse soupira lorsqu’il fut enfin sur pied, et le jeune garçon se sentit encore plus remonté contre elle.

Elle lui fit signe de la suivre d’un geste de la main et se dirigea vers le fond de la cavité. Sa curiosité prit alors l’avantage sur sa mauvaise humeur, et il lui emboîta le pas avec intérêt. Que voulait elle lui montrer d’assez important pour le réveiller ainsi ?

Fukume souleva le rideau de peaux d’un geste rapide et disparut de l’autre côté, aussitôt imitée par le garçon roux.

Une odeur de renfermé régnait dans le garde manger, si bien que Nas se mit à respirer par la bouche. Les murs étaient tâchés de sang, et plusieurs outils étaient éparpillés dans la réserve. Sur le sol étaient disposées deux grosses mangues ainsi que le jaguar qui l’avait attaqué la veille. Du moins ce qu’il en restait. Il faisait beaucoup moins peur ainsi.

Le corps était dépourvu de tête et de queue, Fukume avait dû les jeter sans qu’il ne s’en rende compte. La vision du corps décapité aurait donné des nausées à n’importe qui, mais le jeune garçon n’avait jamais eu de mal avec ce genre de choses.

— Tu sais faire sécher de la viande ?

La voix rauque de Fukume le fit sursauter.

Elle se tenait appuyée au mur, le regard convergeant dans sa direction. Nas hocha la tête, déçu. Lui qui s’attendait à en apprendre plus sur la jeune fille...

Elle lui tendit un petit couteau en pierres taillées qu’il prit dans un soupir. Tailler la viande rouge pour la faire sécher... Ce n’était pas exactement ce qu’il espérait. Pour quelqu’un qui imaginait une folle épopée sauvage, la désillusion était totale.

S'il avait su que son stage de troisième lui serait un jour d’une quelconque utilité. Ayant fait tardivement sa lettre de motivation et ses demandes aux entreprises, son seul choix restant fut entre une boucherie et un cabinet dentaire. Et il était repoussé par l’idée de voir la bouche d’inconnus à longueur de journée.

Sa mère qui y voyait l’occasion pour lui de faire son entrée dans le monde de la BD ou du scénario avait été déçue. Nas était peut-être un rêveur, mais ça ne l’empêchait pas de procrastiner.

Son hôte retourna s’adosser au mur sans un mot. Son silence et sa réticence à prononcer la moindre phrase mettait Nas mal à l’aise, mais pouvait il réellement en vouloir à une jeune fille vivant en solitaire dans la jungle depuis peut être plusieurs années de ne pas maîtriser l’art de la conversation ?

Il s’attela à dépecer le jaguar sous les yeux de Fukume. La jeune fille vînt plusieurs fois corriger ses gestes et lui indiquer de meilleurs emplacement pour couper et il était forcé d’admettre qu’elle s’y connaissait mieux que lui. Plusieurs tentatives infructueuses de lancer un dialogue furent émises par le rouquin. La jeune fille se contenta malheureusement d’ignorer ses questions.

Il venait de finir de découper l’arrière train, non sans dégoût pour le sang qui imbibait ses vêtements à force de tailler dans la chair, lorsque la chasseresse sortit du garde manger, le laissant seul avec son ouvrage.

Le jeune garçon se sentit soulagé de ne plus avoir le poids de son regard vide sur ses épaules. Il contempla le travail restant d’un air las. On ne reconnaissait plus grand-chose de l’animal, qui s’apparentait à présent bien plus à un amas de muscles informe.

Il inspira un grand coup et déchira violemment les muscles du poitrail du Jaguar. L’heure voire les deux heures qui suivirent furent consacrées à dépecer l’animal et suspendre sa viande avec ennui. Enfin, il recula pour contempler le résultat de son travail. Des dizaines de lambeaux de viande sanguinolents pendaient mollement, suspendus à un bâton qui traversait la pièce. Puis, satisfait, il sortit du garde manger.

Fukume était toujours dehors, chose qui l’arrangeait bien car un peu de solitude pour réfléchir n’était pas de trop. Il s’allongea sur sa couchette, fixant le plafond d’un œil préoccupé, et ferma les yeux pour se retrouver seul avec ses pensées.

Il ne pouvait pas rester éternellement ici, même si il devait avouer que les journées de cour ne lui manquaient pas. Il était avide de découvrir la clé du mystère qui entourait son hôte, mais l’angoisse d’être perdu dans la forêt pour toujours ne le quittait pas. Il devait songer sérieusement à la manière dont il allait rentrer chez lui. Il avait laissé tomber sa boussole la veille, et avait suivit son hôte sans s’en apercevoir, il ne lui restait donc que son sac à dos. Il aurait bien sûr pu contacter sa mère ou les secours si il avait pensé à prendre son portable, mais même si c’était le cas il n’y avait sûrement pas de réseau. Il pourrait attendre les secours, qui étaient peut être déjà à sa recherche, mais combien de temps devrait-il patienter avant d’être trouvé ?

Il n’avait aucune information sur son emplacement, ni la direction à suivre pour rejoindre la civilisation. Sa piste la plus stable était Fukume. Et ça n’était pas gagné…

Si la jeune fille possédait une quelconque information sur le chemin à prendre pour rentrer chez lui, il devait le savoir ! Nas se promit de l’interroger là dessus le soir même, espérant des réponses.

Il était vrai qu’elle ne parlais presque pas mais il avait l’intuition que cette fois sa réponse serait différente. Après tout, il l’avait jusqu’ici seulement questionnée sur elle. Peut être qu’elle se montrerai plus ouverte sur d’autres sujets.

Le jeune garçon poussa un profond soupir. Pourquoi étais-ce si compliqué ? Et surtout, allait il un jour rentrer chez lui ? Retrouver sa mère, sa routine confortable, sa maison, ses amis ? À cette pensée, une larme roula sur sa joue, qu’il essuya vivement d’un revers de main. Pas question de pleurer ! Il devait rester optimiste, déprimer sans rien faire ne l’aiderait pas.

Nas se rassit et rouvrit les yeux. La vision d’une silhouette se tenant juste devant lui le fit sursauter. Fukume se tenait assise devant lui, en tailleurs, à le fixer en silence avec une fascination étrange. Confus et gêné, le rouquin s’étira nerveusement.

— Depuis combien de temps tu es là ? s’enquit il mal à l’aise.

La chasseresse ignora sa question.

— Tu devais faire sécher la viande, fit elle de sa voix monocorde.

— Et c’est fait.

Il sourit pour alléger l’atmosphère. La jeune fille ne broncha pas. Elle se dirigea vers la sortie de la petite grotte et lui jeta un regard qui signifiait « Suis moi ».

Le rouquin plissa les yeux. Il aurait voulu qu’elle le laisse seul plus longtemps, mais il lui devait bien quelques services si il ne voulait pas se faire jeter dehors. Et par dessus tout, il ne comptait pas rater une occasion de lui poser des questions, même si elle ignorait le plupart d’entre elles. Il était à présent persuadé qu’elle cachait quelque chose, et il n’avait qu’une seule envie après retourner chez lui: le découvrir.

Il suivit la jeune fille durant un court moment, à travers la flore contraignante de la forêt. Comparé à Fukume, le jeune garçon semblait bien pataud dans sa démarche. La chasseresse se déplaçait d’un pas félin, léger et assuré. Ses mouvements étaient toujours rapides et précis, comme si elle les avaient répétés toute sa vie. Rien à voir avec l’adolescent qui ne faisait que trébucher.

Ils arrivèrent rapidement devant un grand arbre au tronc large, auquel pendaient plusieurs grappes jaunes verdâtres. Un bananier. Pas besoin de chercher plus loin pour comprendre qu’il allait devoir cueillir des fruits. Cette idée ne l’enchantait pas plus que ça, mais quel choix avait il ?

Il regarda l’arbre. Son tronc était assez massif, et les larges feuilles semblables à celles d’un palmier se trouvaient très élevées, au même niveau que les fruits. Impossible de les atteindre depuis le sol. Il s’apprêtait à le dire à Fukume, mais réalisa que celle ci n’était plus à ses côtés. Il balaya le paysage broussailleux du regard sans l’apercevoir. Il ne vit que la forêt baignée dans cette même lumière verte, qui faisait parvenir à son nez des senteurs végétales. Alors qu’il commençait à s’interroger, il entendit sa voix venant d’au dessus de lui.

— Monte.

La chasseresse se trouvait dans un arbre voisin au bananier, d’où l’on pouvait facilement attraper quelques fruits. Il estima rapidement la hauteur entre les racines et la branche où elle se tenait. Celle-ci n’excédait pas les deux mètres, mais l’arbre possédait peu de branches basses et son écorce était lisse. La montée risquait d’être rude.

- Heu… Je suis pas sûr de pouvoir monter ça, déclara-t-il.

La jeune sauvage continua à le fixer d’un œil lourd. Il rit nerveusement.

- Si tu insistes…

Il commença à grimper, s’accrochant aux branches basses avec difficulté. Tout ses muscles étaient crispés, et la sueur rendait ses mains glissantes. Il dérapa et se retrouva à nouveau en bas, dans un hoquet de surprise. Par chance, avait atterris sur un tapis de mousse et donc rien de cassé. Gêné par sa performance médiocre, il se lança tout de même dans un deuxième essai. Il prit soin d’affermir ses prises, et usa de toute ses forces pour monter. Il arriva bientôt à son niveau et se hissa sur sa branche, qui était sûrement le meilleur perchoir pour une cueillette. La jeune fille pointa du doigt l’arbre fruitier.

— Cueille ce que tu peux.

Elle ne lui laissa pas le temps de répondre et descendit de l’arbre avec une rapidité surprenante. D’où tenait elle cette agilité ? Il était également improbable qu’elle ai acquises seule toutes ses connaissances en matière de survie.

Nas sortit un instant de ses pensées et posa un œil sur les bananes qu’il était censé cueillir. Il soupira. Le jeune garçon espérait malgré tout que cette vie sans confort ne durerait pas. Mais une autre part de lui voyait cela comme une chance de sortir de son quotidien, de vivre une vie plus palpitante...

Le rouquin tendis le bras et arracha un fruit jaune vert. À califourchon sur sa branche, il utilisa son tee shirt comme un récipient en repliant un pan de tissu. Il posa le fruit qu’il venait de cueillir dans le creux du tissu et en arracha un suivant.

Nas se laissa aller à ses pensées alors qu’il s’attelait à la tâche. Il s’imagina montrant à Fukume la ville. Aurait elle ses repères immédiatement ou faudrait il qu’il la guide dans chacun de ses mouvements ? Il esquissa un sourire malicieux à l’idée de la voir aussi désorienté qu’il l’était en ce moment. Ce serait certainement une très mauvaise idée, mais aussi une occasion de découvrir ce qu’elle savait de la vie citadine.

Le jeune garçon constata qu’il avait récolté tout les fruits qu’il pouvait atteindre dans le creux de son tee shirt. Il soupira et descendit de l’arbre en tâchant de ne pas faire tomber le fruit de ses efforts. Chose qui lui valut de s’écorcher la main contre une branche rugueuse non sans réprimer une grimace de douleur. Sa tenue se dégradait de plus en plus. La semelle de ses chaussures commençait à se décrocher, ses vêtements étaient boueux et maculés de sang séché, quand à sa tignasse rousse elle virait à présent vers le marron.

Il s’adossa au tronc du bananier et fut soudainement assaillis par le doute. Et si Fukume ne revenait pas ? Et si elle s’était débarrassé de lui ? Il se rongea les ongles, inquiet. Si elle ne voulait pas de lui elle ne lui aurait sûrement pas fourni toit et nourriture. Enfin, toit... Façon de parler. Nas s’assit en tailleur sur le tapis de mousse. Il en profita pour manger deux des bananes qu’il avait récoltés. L’absence de déjeuner se faisait ressentir avec les protestations gargouillantes de son estomac.

Le reste de la journée s’écoula rapidement. Le rouquin fit une sieste en attendant la jeune fille, qui revînt avec un singe sur l’épaule. La lumière jaunâtre qui filtrait à travers les feuillages, formant au sol des motifs dentelés déclinait peu à peu. Elle avait profité de sa cueillette pour chasser. De retour à la grotte, elle lui intima de dépecer l’animal pour mettre les cuisses sur le feu. Il exécuta maladroitement. Le feu fut allumé par les soins de son hôte, et ils s’assirent autour des flammes en silence.

Une journée avait suffit à améliorer la communication avec elle. Son langage silencieux était frustrant mais facile à comprendre.

Ils attendaient que la viande cuise lorsqu’il se souvint de la résolution qu’il avait prise le midi même. Il devait interroger la chasseresse sur la ville la plus proche. Il regarda la jeune fille. Elle ne lui prêtait pas la moindre attention et surveillait la cuisson de la viande. Il inspira un coup et se lança.

— Fukume ?

Rien Le silence régnait, seulement perturbé par le crépitement des braises. Comme à son habitude, elle ne répondrait pas du premier coup. Il soupira, de plus en plus frustré par sa réticence à communiquer, mais repris la parole.

— Dit moi, tu sais où je pourrais trouver une ville ? Ou juste un chemin ?

Un long silence se fit, durant lequel ses yeux mélancoliques ne quittèrent pas le morceau de viande en train de cuire. Impossible de savoir si elle réfléchissait à ce qu’elle allait dire ou si elle l’ignorait simplement. Elle fini tout de même par ouvrir la bouche pour parler :

— Non.

La réponse était nette, tranchante et froide. Elle fit à Nas l’effet d’un coup de poignard. Comment cela non ? C’était impossible. Elle mentait. Elle devait bien venir de quelque part. Il ne voulait pas passer le restant de ses jours à faire sécher de la viande et cueillir des bananes. Le jeune garçon secoua la tête. Il devait rentrer chez lui !

Il senti une main lui effleurer maladroitement l’épaule. Fukume. Il leva la tête pour la regarder. Elle s’était tourné vers lui, et son regard était un peu moins neutre qu’à son habitude. Il était presque compatissant, avec une note de tristesse. Sa voix résonna dans la caverne.

— Ça sert à rien, fit elle.

Et elle se tut. Il la gratifia d’un sourire franc, mais elle ne faisait plus attention à lui. C’était la première fois qu’elle s’adressait au jeune garçon sans qu’il n’ai à l’interpeller. Ça sert à rien... Il ne comprenais pas ce qu’elle voulait dire par là, mais c’était avant tout une tentative maladroite de le réconforter. Et il lui en était reconnaissant.

-Ouais… Merci, répondit-il pour lui même.

Mais il savait malgré cela qu’elle lui cachait la vérité. Si il voulait des informations, il faudrait la jouer plus fine. Pourquoi ne pas commencer par en apprendre plus sur elle ? Son raisonnement était en partie biaisée par sa curiosité, mais il prit une inspiration et dit tout de même:

— Pourquoi tu refuse de parler de toi ?

C’était bien trop direct. Il aurait dû mieux réfléchir. Pour toute réponse, il reçut un soupir d’agacement. Un peu gêné, il regarda autour de lui et aperçu le MP3 dans la poche de côté de son sac à dos. Il sourit, espiègle.

— Tu as déjà... Écouté de la musique ?

Elle lui jeta un regard surpris. Comme pour esquiver la question, elle sortit la viande du feu et lui en tendit en morceau.

— Plusieurs fois, répondit elle enfin.

Voilà qui constituait un indice de taille. Elle avait été en contact avec la civilisation assez souvent pour avoir pu écouter de la musique. Il aurait pu s’arrêter là, mais il ne put s’empêcher de sortir le MP3 de son sac. Il était curieux de savoir si la musique lui faisait un effet quelconque.

Fukume était toujours en train de tailler le bois. Il écoutait essentiellement du métal, il n’y avait donc quasiment que ça sur l’appareil. Le garçon roux fit défiler les titres et s’arrêta sur l’un d’eux.

"Undefeated" de Skillet.

Il esquissa un sourire.

— Écoute ça.

Nas appuya sur la touche play et des sonorités grondantes emplirent la caverne, se répercutant sur les murs.

En entendant la musique tonique et grave, Fukume s’arrêta presque de manger, et son regard se perdit dans le vide. Un sourire fugace et mélancolique passa sur son visage.

Le jeune garçon éclata d’un rire franc.

— Ça te dis quelque chose on dirait !

À ces mots, son sourire s’effaça, et il aurait juré que ses yeux s’étaient humidifiés. Elle se leva, lui pris l’objet des mains et arrêta la musique sans difficulté. Elle se rassit, gardant le MP3 à la main et redevint interdite.

Le charme du moment était passé, mais pendant un court instant, elle s’était laissée aller. Elle avait retiré son masque impassible, et laissé paraître un peu d’elle même. Et même si cela lui avait coûté un MP3 neuf, il s’en fichait. En cet instant, une seule chose l’intéressait : Fukume.

Tard dans la nuit, Nas fut réveillé par un mauvais rêve. Il s’assit pour reprendre ses esprits, plissant les yeux dans la pénombre. Alors que les souvenirs de son cauchemar disparaissaient peu à peu, il fit une constatation déconcertante: Fukume n’était plus nulle part dans la cavité.

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