Chapitre 2

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Nas considéra perplexe le félin à ses pieds. Une flaque de sang se formait sur le sol tandis que l'animal agonisait. Il s'approcha d'un pas tremblant, et effleura la flèche du bout des doigts comme pour s'assurer qu'elle était bien réelle. Elle s'était plantée dans le poitrail du jaguar. Il leva la tête vers la direction d'où le projectile avait frappé, dépassé par les évènements. Cette flèche semblait être sortie de nulle part, précise et mortelle. En plissant les yeux, il aperçut une vague silhouette dissimulée derrière les branches. Le rouquin sursauta et se laissa tomber au sol, partagé entre peur et incompréhension.

L'ombre qui se dessinait derrière les feuillages verdoyants était clairement humaine, et elle descendait à présent vers le sol, s'accrochant aux branches avec des mouvements félins et silencieux. Le cœur du jeune garçon s'accéléra lorsque la silhouette mit pied à terre et sortit de l'ombre. Il frémit, ne sachant trop comment réagir face à cela. Il était gêné à l'idée d'afficher sa détresse, mais il ne repoussa pas la vague de soulagement qui l'envahit. Si il y avait un autre humain, il pourrait peut-être l’aider à retrouver sa classe.

C'était une jeune fille. Il lui donnait quinze ou seize ans à en juger par ses traits. Elle avait un visage allongé au teint pâle qui se démarquait de ses cheveux d'ébène épais noués en une tresse maladroite. Sa bouche fine marron rouge était surplombée d'un nez arrondit aux narines étroites. Elle était vêtue d'une combinaison en peaux de bête, et portait à sa taille un carquois en bois contenant une dizaine de flèches. Le plus surprenant était ses yeux. Des yeux vides, inexpressif, froids, d'un gris tellement terne qu'il rappelait un de ses jours pluvieux, quand un malheur survenait. En réalité, il n'y avait dans sa personne pas l'ombre d'une expression. La jeune fille aux cheveux noirs ne laissait pas paraître la moindre émotion. Cette neutralité si parfaite fit frémir le jeune garçon. À cet instant le rouquin aurait cru à une apparition.

Toute cette scène était irréelle, et même si la peur et l’angoisse faisaient frémir tout son être, le jeune garçon ne put s’empêcher d’être piqué par la curiosité. Que faisait elle ici, en pleine Amazonie ?

Elle s'approcha de l'animal, se faufilant avec aisance entre les branches. Arrivée devant sa proie, elle s'accroupit lentement et trempa un doigt dans la marre de sang qui s'étendait au sol, qu'elle porta à ses lèvres. Cette vision laissa Nas encore plus perplexe, assis sur la mousse en pleine réflexion. Devait il s'en aller en courant ? Supplier cette étrange apparition de l'aider ? La suivre discrètement ? Il s'apprêtait à ouvrir la bouche pour s'informer sur ses intentions lorsqu'elle sortit un poignard d'une pochette en cuir animal accrochée à sa ceinture.

Le rouquin poussa un hoquet de surprise et recula expressément sur les fesses. Mais elle ne lui adressa même pas un regard, et égorgea l'animal d'un geste rapide et précis, si bien qu'il retint un hoquet de surprise.

En à peine un battement de cil, le félin était passé de l'agonie au trépas. La jeune fille aux yeux vides hissa sans efforts le corps sur son épaule, maculant sa peaux et ses vêtements de sang. Elle ressemblait ainsi à un esprit vengeur tout droit sorti d'un cauchemar. Faisant fi de la présence de Nas, elle fit volte face et s'éloigna de lui d'un pas animal. Il resta là plusieurs longue secondes, dépassé par les évènements. Puis, une vague d'énergie et de lucidité monta en lui et irradia tout son corps. Il était temps d'être téméraire.

Cette adolescente étrange était sans doute sa seule chance de survie. Et par dessus tout, elle avait éveillé son intérêt. Dans un regain d'énergie, il sauta sur pied et courut vers la silhouette féline qui disparaissait déjà dans l'ombre. Il ralentit en s'approchant. Ses cheveux étaient à présent poisseux, souillés par le sang de jaguar . Elle fixait le vide de son regard à glacer le sang, sans cesser d'avancer d'un pas rapide et assuré. Le jeune garçon déglutit. Tout chez elle était mystérieux. Son aisance pour se déplacer dans la végétation, ses vêtements, le simple fait qu’elle soit là, et avant tout, son regard. Ses yeux disaient tant et si peu de choses à la fois. Ils étaient vides, mais d’un vide profond, mélancolique, qu’il n’y avait aucun mot pour décrire.

Il expira un grand coup, se plaça à son niveau et déclara:

- Salut… Qu’est-ce que tu fais là ?

Malheureusement, le regard le la jeune fille resta fixé sur un point invisible loin devant elle.

Loin d’être découragé, il fit une nouvelle tentative, et cette fois effleura du bout des doigts son épaule nue et sanguinolente dans le but d'attirer son attention.

- Tu... Tu sais comment renter ? Tu pourrais me dire comment retourner à Cayenne ?

Cette fois, sa réaction fut immédiate. Elle s'écarta vivement et sortit son poignard. Les yeux de Nas s'arrondirent et il recula d'un pas pris au dépourvu.

À en juger pas sa rapidité de réaction et la façon dont elle avait abattu l'animal qu'elle portait sur son épaule, il ne ferait pas long feu si elle décidait de se débarrasser de lui. Ayant sans doute remarqué sa crainte, l'étrange chasseresse soupira d'agacement et rangea son poignard, puis repris sa route comme si de rien n'était.

Partagé entre peur et curiosité, Nas ferma les yeux et inspira profondément avant de retenter sa chance d'une voix un peu plus assurée, forçant un léger sourire.

- Je ne te veux pas de mal.

Ce n'était pas comme si un gringalet comme lui pouvais faire quoi que ce soit, mais c'était un bon début.

- Je suis juste... perdu. Tu es la seule humaine à qui je peux me raccrocher. Tu vois de quoi je parle ? Tu m'as bien aidé une fois non ?

La jeune fille ne broncha pas, si bien qu’il crut qu’elle ne lui répondait pas, mais elle ouvrit finalement la bouche pour parler.

- Le jaguar c'était pour la viande.

Surpris d’entendre sa voix, le jeune garçon sursauta. Si il avait bien compris, elle venait ouvertement de lui dire que leur rencontre la laissait indifférente. Ce qui n’était pas vraiment une bonne nouvelle, mais éveilla encore plus la curiosité de Nas.

En général, quand on trouve quelqu’un seul en pleine forêt Amazonienne, ça ne laisse pas indifférent. Mais la chasseresse ne semblait pas le moins du monde troublée par sa présence. Ou si c’était le cas, elle cachait bien son jeu. Il s’apprêtait à poursuivre la conversation, mais elle le coupa.

- Plus un mot. Suis.

La voix de la jeune fille était rauque et pesante. Ses mots étaient aussi fermes et glacés que son regard. Même les CPE de son collège étaient plus chaleureux. Mais cela n’empêcha pas de nombreuses questions des se frayer un chemin dans son esprit. Qui était elle ? D’où venait elle ? Où avait elle appris à chasser comme ça ? Où vivait elle ? Il s'apprêtait à en poser quelques unes mais se ravisa au regard autoritaire que lui adressa la jeune sauvage.

Il se rongea nerveusement les ongles. Même si sa situation était moins désespérée que quelques minutes plus tôt, rien ne lui garantissait qu’elle allait l’aider. Et surtout, rien ne lui garantissait qu’elle pourrait l’aider. Si elle était réellement aussi sauvage qu’elle y paraissait, il était probable qu’elle ne sache même pas comment sortir de la forêt. Il se mordit la lèvre, chassant ces pensées pessimistes, et lui emboîta le pas d'un air qu’il voulait confiant.

Il valait mieux qu’il ne montre pas sa peur. Nas était peut être curieux à son sujet, mais il ne lui faisait pas confiance, rien ne prouvait qu’elle n’était pas dangereuse. Il se força à froncer les sourcils, pour éviter toute autre expression embarrassante.

Il marchèrent sans doute vingt minutes, dans un silence pesant. Le collégien avait du mal à maintenir l'allure. L’inconnue ne lui accorda quand à elle pas un regard, elle avançait sans difficulté dans la densité verte qui s’étendait autour d’eux.

Ils arrivèrent enfin devant une paroi rocheuse, dont une partie était recouverte de peaux de bêtes, sûrement pour masquer l'entrée d'une cavité. La jeune fille aux cheveux noirs souleva légèrement le rideau de fortune et passa de l'autre côté, suivie de Nas qui ne souhaitait en aucun cas rester sur le palier.

Il fut pris d'étonnement en pénétrant dans la cavité. Il pouvait voir au moins trois mètres de grotte, l'extrémité étant cachée par un rideau en cuir. Il comprit qu'il s'agissait d'un garde manger lorsque la chasseresse disparut de l'autre côté pour déposer sa proie. Il se trouvait sûrement là où elle dormais toutes les nuits. La partie habitable était tapissée de peaux à l'aspect plus confortable que celles qui masquaient l’entrée de la grotte. Près de l'air libre se trouvait un emplacement couvert de cendres, sûrement là où elle faisait du feu.

Il ne s’attendait pas à trouver un endroit aussi grand. Même si le confort avait l’air assez médiocre comparé à son appartement de citadin, il était soulagé et reconnaissant de ne pas avoir à dormir dehors.

Il se laissa mollement tomber au sol, et attendit simplement le repas, trop mal à l’aise pour proposer son aide. Du moins il espérait qu'il y aurait droit. Une odeur de plus en plus nauséabonde se dégageait du garde manger. Pas besoin d'aller chercher loin pour comprendre que la jeune fille dépeçait sa proie.

Au bout de quelques minutes de bruits de chaire déchirée, la chasseresse émergea de la petite pièce, quelques morceaux de viande sanguinolents dans la main droite et de grosses bûches sous le bras. Elle s'avança, lâcha les morceaux de bois dans le tas de cendre et empala les morceaux de viande sur un petit pic maintenu à distance raisonnable du sol par deux bâtons plantés de chaque côté des cendres.

La jeune fille s'accroupit, se saisit de deux pierres disposées à proximité, et commença à les frotter l'une contre l'autre. Elle alluma ainsi des étincelles qui finirent par s'embraser sur le bois. Bientôt, de grandes flammes léchaient la viande, illuminant de leurs couleurs chaudes le visage de la chasseresse. Sa peau prit une teinte plus chaleureuse, un beige orangé plus doux que son brun pâle habituel qui lui donnait des airs de revenants.

Le rouquin sourit. Plus de soulagement, alors que la pression qu’il avait accumulée retombait partiellement, mais aussi d’excitation. Il avait hâte d’en apprendre plus sur cette jeune sauvage.

- Où est-ce que tu as appris à faire du feu comme ça ? Demanda t’il dans l’espoir d’en savoir plus sur elle.

Sa question n’obtînt pas de réponse. Le silence pesait entre eux, seulement perturbé par le crépitement des braises. Ça n'avait pas l'air de gêner son hôte, obnubilée par la danse du feu. Nas lança dans une deuxième tentative de briser la glace:

- Tu ne m'as pas dit comment tu t'appelle au fait ?

Le jeune garçon crut qu'elle ne lui répondrait pas, son regard ne s'étant même pas détaché des flammes. Mais contre toute attente, elle lâcha finalement:

- Fukume.

Fukume... C'était un nom peu commun, et il possédait des sonorités qui lui rappelaient le Japonais. En prononçant son nom, le regard de la jeune sauvage avait changé. Il s'était fait pensif, et il aurait juré y apercevoir une lueur de tristesse. Le rouquin décida de poursuivre.

- Moi c'est Nas. Mais c'est pas commun comme prénom ça vient d'où ?

Son regard resta fixé sur le brasier.

- Nulle part.

Nas soupira de déception. Ce qui était sûr, c'est qu'elle n'était pas bavarde. Il se mêlait peut être de se qui ne le regardait pas, mais cette réponse évasive n’allait pas le décourager. Nulle part hein ? On verra bien. Il sourit, résolu à lui extirper la vérité.

Fukume attrapa la tige qui tenait la viande et la sorti des flammes. Elle souffla doucement dessus dans le but durant quelques minutes, sans jamais perdre patience, puis détacha un morceau qu'elle tendis à Nas sans lui adresser un regard. Celui ci le pris avec gratitude, n'ayant pas mangé grand chose lors de son frugal repas. Il croqua dans la chaire avec avidité, sans prêter attention à la qualité de la cuisson. Un merci aurait peut être été approprié, mais il était trop affamé pour s’en préoccuper.

Après qu'ils eurent terminés, elle se saisit d'un imposant morceau de bois creusé, qui ne contenait rien d'autre que de l'eau, le porta à ses lèvres et bu quelques gorgées. Elle le posa au sol sans un regard pour le rouquin. Nas s'en saisit et bu sans retenue, trop heureux de pouvoir enfin étancher sa soif. Il s’essuya d’un revers de main, oubliant les bonnes manières. Son hôte n’en avait certainement pas grand-chose à faire non plus, et elle était de toute façon trop absorbée dans sa contemplation du feu.

Une fois qu'il eut finis, il déposa le récipient au sol et regarda Fukume, sans trop savoir quoi faire. La jeune fille se leva et alla s'asseoir contre une paroi de la cavité. Le rouquin ne la quitta pas du regard, toujours aussi mal à l'aise. Elle pointa du doigt le mur de la petite grotte contre lequel était posé un tapis de fourrure en le regarda avec insistance. Il comprit qu'elle voulait qu'il l'imite.

Il alla s 'asseoir contre la paroi rocheuse et lui lança un regard interrogatif. Sans aucune explication, Fukume s'allongea face au mur. Le jeune garçon sentis alors la fatigue envahir son corps. L’adrénaline qui lui avait donné l’énergie nécessaire pour marcher aussi longtemps commençait à retomber. Il faisait nuit dehors, et les pépiements des oiseaux avaient étés remplacés par les sonorités énigmatiques de la nuit. Nas jeta tout de même un regard inquiet au feu qui crépitait toujours.

- Tu n'éteins pas ? Interrogea il.

Elle lâcha un soupir agacé qui piqua Nas au vif. Têtu, il leva la voix.

- Tu éteins ou pas ?

Toujours le dos tourné, la jeune fille sorti son couteau de sa ceinture comme une menace silencieuse. Nas pouvais peut être être téméraire, mais pas non plus complètement stupide. Il regretta sa remarque et s’allongea sur la surface dure. Cet échange silencieux lui avait rappelé le danger que représentait malgré tout Fukume. Il devait rester sur ses gardes, elle était imprévisible et ne ferait qu’une bouchée de lui si l’envie lui prenait.

Mal habitué à dormir à même le sol, le rouquin eu du mal à s’endormir. Les pensées qui tournaient en boucle dans son esprit n’y arrangeaient rien. Il réfléchissait à l’identité de cette jeune fille, et à tout le mystère qui l’entourait. Il pensait aussi à son sort. Allait il pouvoir rentrer chez lui ? Et Evan ? Avait il pu retrouver la classe ? Sa mère avait elle été avertie de sa disparition ? Est-ce qu’elle le cherchait ? Il céda finalement au sommeil, épuisé.

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