1. ETRE MALADE - ETRE PATIENT

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« Etre malade est une épreuve dont on espère ardemment qu’elle pourra être allégée par une prise en charge institutionnelle, par un devenir patient. Il y a pourtant une discordance irréductible entre l’expérience vécue du malade et le statut de patient inauguré par la rencontre médicale. Quoique patient, on reste malade et confronté, seul à la question de savoir qu’en faire et comment vivre avec, au moment même où vacille l’évidence de l’existence » écrit N. Choudan.

Considérer l’intimité du patient pourrait-il réduire cette « discordance irréductible » dont parle Nathalie Choudan ? Essayons de pénétrer le monde intime du patient à travers trois temps marquants de son parcours : l’annonce, le consentement et la thérapie.

1.1 - Le temps de l’annonce

L’annonce d’une maladie potentiellement mortelle comme le cancer est vécue comme un choc. La personne est atteinte dans ses fondations, son monde intime s’effrite, son avenir se rétrécit et la perspective d’autres discriminations s’y ajoute : perte de la place occupée dans le domaine familial, social ou professionnel.

Même si elle est révélée avec le plus grand tact, l’annonce est ressentie comme un «coup sur la tête», «coup de massue» nous disent les patients, termes qui expriment le traumatisme, l’étourdissement, la désorientation.

On sait aussi que cet état de choc est passager et qu’en lui-même, le patient va mobiliser ses ressources pour affronter la situation. C’est sans doute la fonction de maturation de l’intime dont parlait Pierre Levy-Soussan, qui permet cette élaboration du vécu de la maladie.

Pour réduire ses effets dévastateurs, l’annonce du cancer est aujourd’hui encadrée par le « dispositif d’annonce » mis en place dans les centres anti-cancéreux en 2004.

Il s’agit d’accorder pour les consultations médicales premières, un temps plus long afin que cette annonce difficile ne s’effectue pas dans un climat de précipitation. Cette consultation est suivie, à distance où dans le même temps, d’un entretien avec une infirmière chargée d’expliquer, reformuler, répondre aux questions, orienter, revoir si besoin, …

Cet entretien permet aussi de familiariser le malade avec cette institution qui, inconnue, est source d’angoisse.

La rencontre médicale n’est donc plus simplement la rencontre médecin - patient, mais médecin-patient-infirmière. Elle offre un temps d’écoute, la possibilité d’explications reformulées et un lien qui s’initie dans la concertation.

Ce dispositif a rencontré l’approbation des patients et tend à s’étendre aujourd’hui à l’ensemble des pathologies traitées au Centre Antoine Lacassagne.

Non obligatoire et marquant un temps d’arrêt dans la cascade des décisions à prendre et des examens à pratiquer, le patient trouve-t-il un bienfait dans ce moment qui lui est consacré ?

1.2 - Le temps du consentement

Le temps du consentement est un autre moment délicat car les traitements oncologiques quels qu’ils soient ont la réputation d’être difficiles à supporter et pourvoyeurs d’effets secondaires.

Consentir est un acte qui requiert une double exigence : comprendre et se positionner. On peut aisément imaginer la difficulté du patient, encore sous le coup de l’annonce, pour comprendre et plus encore pour se positionner.

En 2002, la loi du 4 mars (Article L 111-6 du CSP) prévoit la désignation de la personne de confiance, tierce personne sur laquelle, le patient pourrait s’appuyer pour consentir aux actes thérapeutiques proposés. Cette mesure, peut-être insuffisamment diffusée, n’est pas cependant pas devenue pratique courante.

Trois ans plus tard, la loi du 4 mars 2005 précise « Toute personne prend, avec le professionnel de santé, compte tenu des informations et des préconisations qui lui fournit, les décisions concernant sa santé ». La décision est du côté du patient alors que le médecin apparaît davantage dans un rôle de conseiller. Mais ce renversement qui consacre l’autonomie du patient dans une situation qu’il ne maîtrise pas, ne le plonge-t-il pas un peu plus dans la solitude et l’angoisse ?

« Il y a confusion entre l’autonomie et l’autodétermination des préférences, indistinction entre les choix d’action (du ressort du médecin) et les choix d’existence (propres au patient). Le consentement n’est pas le choix » écrit Jean-Marie Gueullette à ce propos.

Ne peut-on pas envisager le consentement plutôt comme une « intime conviction», c'est-à-dire l’émergence d’un sentiment profond forgé sur des explications claires, adaptées et compréhensibles mais plus encore, issu de la relation de confiance ?

Et selon l’enseignement de P. Ricoeur, ajouter « Il ne s’agit pas pour le malade d’avoir strictement confiance en un autre (supposé détenteur du savoir, du savoir faire et du pouvoir) mais d’avoir suffisamment confiance en cet autre pour retrouver confiance en soi, en ses propres capacités.»

1.3 - Le temps de la thérapie

La thérapie, en l’occurrence, la Curiethérapie invite à parler du corps.

Cette thérapie implique l’intrusion intra-corporelle durant plusieurs jours, d’un appareil placé au contact de la tumeur, relié par intermittence, en général deux fois par jour, à la source d’irradiation. Indiquée dans le traitement des cancers de la sphère génitale (utérus, vagin, prostate, verge), cette technique nécessite plusieurs contraintes : alitement strict, sondage urinaire, régime alimentaire sans résidus.

Parlant des soins corporels, Jacques Ricot écrit : « Cette situation est structurellement intrusive et c’est pourquoi cette intimité, en quelque sorte forcée, reçoit des limitations sous la forme de préceptes éthiques ou juridiques. C’est bien parce que la règle générale du noli me tangere (ne me touche pas) est transgressée dans le cas du soin, qu’il est nécessaire d’encadrer cette dérogation du principe de respect de l’intimité. Il faudra alors développer toute une stratégie de la pudeur, faite de délicatesse et de finesse

La nécessité du respect de l’intimité corporelle semble primordiale mais s’entend-elle uniquement du côté de la pudeur ?

Placé dans cette proximité, le soignant n’est-il en pas en mesure de comprendre la souffrance ? je ne parle pas de l’évaluation de la douleur par ailleurs indispensable, mais la reconnaissance de la souffrance comme capacité à endurer.

« On retrouve le sens premier du souffrir, à savoir endurer, c’est-à-dire préserver le désir d’être et l’effort pour exister en dépit de… C’est ce « en dépit de… » qui dessine la dernière frontière entre la douleur et la souffrance, alors même qu’elles habitent le même corps

Qu’elle soit envisagée sous l’angle de l’espace personnel ou de l’espace relationnel, l’intimité participe à l’élaboration du vécu de la maladie, espace où un possible basculement s’opère : néant – avenir, doute - conviction, souffrance - capacité d’endurance.

Cette introspection dans le parcours du patient guide la réflexion vers d’autres représentations : l’annonce incite à revenir sur la conception de santé & maladie, le consentement à s’arrêter sur la relation soignant – soigné et la thérapie sur la notion corps objet – corps sujet.

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