Chapitre 1

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        Rouge.

 

        Rouge. Le sang obscurcissait sa vision. Elle essuya ses yeux du revers de la main avant de bloquer l’épée d’un ennemi. Sans qu’il puisse réagir, sa deuxième lame s’enfonça dans la gorge de l’homme qui tomba en avant dans un gargouillis. Il n’était pas à terre qu’elle sautait sur un autre adversaire.

        Le bruit des lames s’entrechoquant, les cris de guerre et les lamentations des agonisants tintaient à ses oreilles. Le soleil se levait à peine, mais la température était déjà élevée. L’odeur de la sueur et de la mort emplissaient l’air saturé d’humidité et de chaleur de ce milieu d’été. Les projectiles des catapultes et trébuchets volaient au dessus de leurs têtes, faisant trembler la terre à chaque impact. Le champ de bataille n’était plus que chaos.

        Elle savait que son plan avait échoué. Son compagnon, le chef de la compagnie de mercenaires des Loups Ardents, avait beau l’avoir approuvé et défendu devant le conseil de guerre jusqu’à ce qu’il l’accepte, il n’avait pas fonctionné. Le groupe de soldats envoyés pendant la nuit pour infiltrer la place forte et baisser le pont-levis à l’aurore n’avait pu remplir sa mission. Leurs corps gisaient toujours dans la cour intérieure, disloqués par leur chute du haut des remparts. Et maintenant ils en étaient là, les Loups envoyés en première ligne à l’assaut de ces mêmes murs, une autre partie de l’armée attaquant l’autre côté de la forteresse. Et la cavalerie, impuissante, attendaient qu’une brèche s’ouvrent enfin.

        Le siège n’avait que trop duré, l’ennemi avait par trop de réserve, bien assez pour se permettre de narguer les assaillants dont le ravitaillement tardait à arriver, l’affrontement était inévitable.

        Un lancier se dressa devant elle. Malgré ses deux lames, la différence d’allonge la pénalisait, et elle ne pouvait que reculer dangereusement vers le bord des remparts. Tant bien que mal, elle repoussait la pointe de fer. Le visage de l’homme s’illumina lorsqu’il comprit qu’il allait la faire basculer dans le vide. Il s’élançait lorsqu’une dague de jet se planta dans son œil. Erik, à quelques verges de là, lui cria la retraite, les défenseurs continuant d’affluer.

        Elle se détourna, la porte menant à la salle du pont-levis n’était plus qu’à quelques pas. L’ennemi arrivant par derrière, elle avait une chance d’y entrer. Et là, la cavalerie pourrait enfin pénétrer dans le bastion, changeant le cours de la bataille. Elle s’élança. Derrière elle, Erik jura avant de la suivre, protégeant tant bien que mal ses arrières.

        Enfin, elle parvient devant la porte. Dos à dos avec Erik qui repoussait les soldats de la forteresse, elle s’échina à ouvrir la porte fermée à clef. Elle cognait de toutes ses forces contre le battant de bois épais. Sous la puissance de ses coups d’épaule, la serrure étant déjà abimée par les attaques d’autres Loups, il céda et elle perdit l’équilibre, s’engouffrant dans la pièce tête la première.

        Quatre hommes la gardaient, épée au clair, alertés par les coups répétés sur le bois. Sans réfléchir et profitant de son élan, elle se jeta sur eux. Le premier, surpris par sa vitesse, ne pu esquiver et en perdit le bras. Il s’étala au sol, hurlant en perdant son sang.

        Un combat à trois contre un s’engagea alors autour des mécanismes de la herse et du pont-levis. Erik l’avait suivie, mais luttait farouchement pour bloquer la porte et empêcher d’autres soldats d’entrer. La jeune femme était donc seule face à l’ennemi.

        Prise au piège face à ses trois épées, elle n’arrivait qu’à se défendre, sans pouvoir répliquer. Elle parvint tous juste à feinter et éventra un des assaillants juste en dessous de son justaucorps en cuir bouilli. Les deux autres en redoublèrent d’ardeur. Rapidement, elle se trouva acculée contre un mur. L’offensive de la forteresse avait débuté longtemps avant, la fatigue commençait à se faire sentir malgré le stress de la bataille, alors qu’eux était restés frais. Ses gestes se faisaient de plus en plus lents, moins précis. Ses lames devenaient si lourde dans ses mains. Son mari tenait toujours la porte, aucune aide ne viendra de son côté. Elle pesta intérieurement. C’était trop bête ! Échouer maintenant, si près du but. Elle se le refusait.

        - Laisse-moi faire !

        La voix résonna dans sa tête, la déconcentrant une seconde de trop. L’acier trempé d’une épée la toucha au bras, s’enfonçant dans sa chair. Son membre lâcha la courte épée et se laissa tomber, pendant lamentablement le long de son corps, inutilisable, le muscle trop profondément sectionné. Elle continua à se défendre avec sa seconde lame, mais la lutte était trop inégale. Surtout si elle devait aussi lutter contre elle-même.

        Le plus jeune tenta un coup d’estoc contre sa poitrine qu’elle dévia d’un moulinet du poignet, mais le second en profita pour tailler dans sa jambe. Le sang se mit à couler à flot.

        Exténuée, anémiée par ces trop nombreuses blessures, ses jambes se dérobèrent sous elle et elle glissa le long du mur, tombant assise. Les deux bretteurs, satisfaits, levèrent leurs armes pour l’achever. Elle sentait l’entité en elle qui luttait férocement pour prendre le contrôle, hurlant de rage et d’impuissance. Ces cris emplissaient son crâne, mais elle ne lâcherait rien. Plutôt mourir que lui laisser la place. Elle croisa le regard d’Erik, dont le visage était décomposé, empreint de désespoir. Puis elle ferma les yeux.

 

        Quelque chose de lourd tomba sur elle, lui coupant le souffle. Elle rouvrit les yeux. Le corps d’un des combattants était affalé à moitié sur elle, son sang se répandant sur le sol. Une flèche traversait son cou de part en part. Dans un dernier spasme, il leva sa main vers le visage de la guerrière. Elle retomba lourdement.

        Stupéfaite, la jeune femme vit le cadavre de l’autre soldat gisant un peu plus loin, lui aussi tué d’une flèche. Elle vit ensuite d’autres hommes, bien vivants, s’afférer à aider Erik à fermer la porte et à actionner les divers mécanismes. Enfin la herse pouvait être levée et le pont-levis baissé. Hébétée, la vision floue, elle ne reconnu pas de suite les hommes qui l’entourait. Sous la poussière et le sang qui maculait leurs plastrons, la mercenaire réussi à distinguer les blasons. Celui des soldats actionnant la herse était celui de la Compagnie Sanglante, deux épées noires croisées dégoulinantes de sang rouge sur champ blanc, un blanc devenu brun pendant la bataille. Des Etoilés à l’étoile filante sur fond bleu nuit accompagnaient les Sanglants.

        Le groupe qui avait attaqué l’autre côté du château les avait rejoint.

        Le bruit des sabots de la cavalerie résonna soudain sous eux. Les chevaliers envahissaient la cour intérieure, laminant les forces adverses. Dans la salle du pont-levis, les hommes se congratulèrent. La jeune combattante poussa un soupir de soulagement et se mit à rire. Erik, qui arrivait près d’elle pour l’aider à se débarrasser du poids mort qui la bloquait, la contempla, interloqué, avant de s’asseoir et de se joindre à elle. La bataille était gagnée, ils avaient réussi. Et même si les blessures mettraient du temps à être soignées, ils étaient en vie.

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