Prologue

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Prologue réécrit, l'ancienne version était vraiment trop catastrophique ^^


        Six silhouettes drapées de rouge s’avançait vers une porte aux lourds battants. Les deux premiers les poussèrent avec difficulté. Le bois émit un sourd craquement à l’ouverture et les gonds grincèrent. Derrière, la faible lueur des bougies qu’ils portaient ne suffisait pas à chasser l’obscurité. Ils allumèrent des torches et la salle se dévoila peu à peu. Oblongue, ses murs étaient recouverts de pesants rideaux grenat. Au centre se dressait une table de pierre. Huit colonnes s’élevaient à intervalles réguliers sur les longueurs. Après avoir installé un flambeau sur chacune, les fidèles se positionnèrent entre elles. D’une même voix, ils entamèrent une psalmodie d’abord basse, presque un murmure, avant qu’elle ne prenne plus d’importance. Assez vite, la salle s’emplit de la complainte en une langue oubliée, amplifiée par la voûte.

        Du couloir retentit soudain un cri. Ils connaissaient tous la suite des événements. Ils savaient ce que ce son annonçait, mais à aucun instant leur chant ne fléchit. L’enjeu était trop important. Assistée par deux personnes aussi vêtues de pourpre, une jeune femme s’avançait. Son visage blême était crispé par la douleur. Ses longs cheveux bouclés collaient à son visage couvert de sueur. Son pas était chancelant, son équilibre précaire à cause de son ventre rond. Elle dû s’arrêter quelques secondes, le temps qu’une contraction s’atténue. Parvenue à la table rocheuse, ses deux aides lui retirèrent la robe blanche qui la vêtait et l’installèrent. Au contact de la froideur de la pierre, la femme frissonna. Elle ferma les yeux en s’allongeant et n’opposa aucune résistance. Son rôle était presque terminé, elle le savait, elle l’avait accepté, mais la peur, insidieuse, rampait sous sa peau.

        Les deux hommes qui l’avaient soutenue attachèrent ses poignets et ses chevilles à l’autel. Leurs gestes étaient doux, reconnaissants. Elle les en remercia. Troublés, ils s’éloignèrent et se placèrent de chaque côté de la porte. Après avoir allumé leur bougie, ils reprirent en chœur la litanie. Les flammes des torches et les flammèches créaient des ombres mouvantes sur les murs et le plafond. Les contractions devenaient de plus en plus fortes, plus rapprochées, et les cris de la future mère recouvraient le chant par intermittence.

        Le bébé arrivait.

        Peu de temps après, une dernière personne franchit l’ouverture de la salle. Couverte d’un long manteau à capuche, noir cette fois, elle portait dans ses mains gantées placées en coupe un globe d’une blancheur diaphane. Il émanait de la sphère une beauté et une puissance diffuse qui fit frissonner toutes les personnes présentes. Des larmes coulèrent sans bruit le long des joues des fidèles. L’un d’entre eux sanglota, mais sa voix reprit vite sa place dans le chœur.

        L’être en noir se positionna derrière la tête de la jeune femme. Ses mains tremblaient. Ce qu’il s’apprêtait à faire était terrible. Son action serait lourde de conséquences, il en était conscient, mais il ne voyait pas d’autres moyens. Ses yeux était humides, mais pas seulement à cause de l’influence du globe.

        Il tendit les bras, soulevant l’objet à hauteur de sa tête. Tous se turent, dans l’expectative. Le silence était entrecoupé des gémissements et des cris plaintifs de la mère. L’homme soupira et se lança. Reculer lui était à présent impossible.

        - Voici, mes frères et sœurs, l’instant que nous attendions tous depuis tant d’années ! s’exclama-t-il haut et fort, sans hésitations. Après tant d’essais, tant d’échecs, voici enfin sa naissance. Tant d’efforts, tant de morts pour que vienne au monde celui qui nous sauvera !

        Un hurlement souligna ses mots. La femme n’en pouvait plus. La douleur était insoutenable. Les tendons de son cou saillaient, près à se rompre.

        - Ne t’inquiète pas, murmura-t-il.

        Il écarta d’une main aimante une mèche brune collée à son front.

        - Ton sacrifice ne sera pas vain, je te le promets. Avec ton enfant, je rendrais sa gloire passée à notre peuple. Tu observeras notre avènement au côté des dieux.

        D’un geste leste, il sortit un poignard ouvragé de sous sa cape. Le métal capta la lumière des flammes autour de lui. L’effroi se lisait dans le regard de la mère. Des larmes fusèrent et se mélangèrent à la sueur. Ses yeux roulaient en tous sens, admettre son rôle était une chose. Ne pas céder à la peur en était une autre.

        Le prêtre se mit alors sur le côté, à hauteur du ventre. Il leva la lame et posa le globe blanchâtre sur la poitrine de la jeune femme. Elle gémit soudain en sentant la puissance de l’objet traverser son corps. Une douce chaleur emplit son ventre et elle sanglota de joie. Le monde prit des teintes colorées, le décor autour d’elle disparaissait. Elle flottait à présent dans un espace immatériel et se sentait si petite devant l’immensité de l’existence elle-même. Elle ne ressentait plus la douleur des contractions ni le froid et la dureté de la pierre de l’autel contre son dos. Le discours de son sacrificateur ne l’atteignit pas.

        - Nos ennemis connaîtront la peur et la mort. La seule évocation de son nom les fera trembler dans l’obscurité. Et nous reprendrons enfin ce qui nous appartient ! Que le sang appelle le sang, pour que renaisse notre peuple !

        - Que le sang appelle le sang ! Et que renaisse notre peuple !

        Tous reprirent la litanie avec ivresse. Après un dernier regard vers la sœur, le prêtre abaissa le couteau contre la peau distendue du ventre rebondi. Elle se trancha avec facilité sous le fil de la lame. Sans attendre, le sang gicla avec abondance. Il coula le long des hanches de la mère et s’accumula sur la pierre. Le rouge vif contrastait avec son teint halé et le gris de l’autel. Un hurlement inhumain s’éleva et résonna contre la voûte. La douleur avait arraché la femme à son monde coloré. Elle se cambra et tira sur ses liens, mais ne fit que s’entailler les articulations.

        L’homme noir continua son ouvrage. Les cris lui perçaient plus que les tympans. Ils s’attaquaient à son âme, la poignardaient de toute part. Il allait devoir vivre avec la souffrance, avec le souvenir de ses actes. Et à ce moment précis, il sut que pas un jour ne passerait sans qu’il soit tourmenté par ce qu’il avait fait.

        Enfin, il posa le couteau sur l’autel rouge d’hémoglobine. Il enfouit ses mains dans l’abdomen de la mère et dégagea un corps menu. La lueur du globe augmenta et le hurlement de la blessée mourut dans sa gorge. Elle regardait le plafond les yeux exorbités, la bouche grande ouverte. Elle sentait la vie s’échapper de son corps comme le sang de sa plaie. Ses yeux bruns devinrent vitreux, son corps se relâcha. Elle mourut sans ne fusse qu’apercevoir le bébé qu’elle avait porté.

        Avec une fine cordelette, le prêtre ligatura le cordon avant de le rompre. Frétillant, le nouveau-né prit sa première bouffée d’air saturé par l’odeur cuivrée de la mort. Il cria à plein poumons. L’homme en noir l’observa et une unique larme roula sur sa joue.

        - Nous allons faire de grandes choses, toi et moi, murmura-t-il.

        Il était enfin là, vigoureux.

        L’enfant aux yeux vairons, né dans le sang. 

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