Chapitre 7.1 : Fileya

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Recroquevillée dans un coin de sa cellule, Fileya, ses bras laiteux entourant son corps frêle et couvert de sang et autres blessures en tous genres, pleurait en silence. Les images ainsi que les sensations de sa séance de torture ne cessaient de lui revenir constamment en mémoire à l'image d'un cauchemar particulièrement traumatisant que l'on aurait souhaité oublier le plus vite possible. Malheureusement, contrairement à un mauvais rêve, dormir pour chasser à tout jamais les affreux sentiments de honte et de douleur qui lui nouaient l'estomac ne serait jamais assez puissant pour détruire à tout jamais ce mauvais souvenir : elle vivrait éternellement avec l'image du sourire malsain de Seven penché au-dessus d'elle, s'essayant à la moindre nouvelle forme de torture dans l'espoir de la faire parler. Mais que cherchait-il à lui faire avouer, bon sang ? La seule chose que Fileya gardait précautionneusement au fond de son cœur était le récit que lui avait conté Yume. Elle n'avait aucun autre secret. Peut-être que le grand Souverain s'était uniquement amusé avec elle, comme elle n'avait craint depuis le début.

Fileya ne se rappelait pas avec exactitude comment elle s'était retrouvée enfermée ici. De ce qu'elle se souvenait, elle s'était évanouit peu après les terribles événements, terrassée par un manque d'énergie évident : elle avait usé de toutes ses forces pour ne sortir aucun mot de sa bouche qui pourrait compromettre sa quête, et surtout ne pas révéler l'existence d'Astrid, l'Enfant de la Prophétie, à Seven, qui ignorait encore tout de sa venue. Mais cela n'avait pas paru déplaire à son tortionnaire. C'était comme s'il... se fichait totalement des secrets qu'elle pouvait renfermer en son sein. Tout ce qu'il lui comptait, dans le fond, avait été de la torturer. Physiquement, mais aussi mentalement. On aurait dit qu'il avait tout mis en œuvre pour la faire tenir jusqu'à bout, qu'elle atteigne ses limites, ses dernières forces. Mais pourquoi ? Décidément, quelque chose ne tournait pas rond dans les pensées de cet homme.

La jeune Invoqueur resserra avec plus de fermeté ses bras autour de ses jambes, tandis qu'un cri perçant à glacer le sang retentit soudainement dans la vacuité de sa petite cellule miteuse. A ses pieds nus, un rat passa furtivement entre ses orteils salis par la crasse des lieux, mais la jeune fille n'avait même plus la force de hurler en témoignage de sa grande peur et son profond écœurement. Au lieu de quoi, Fileya se plaqua deux mains sur les oreilles pour diminuer la puissance du hurlement sinistre et suppliant, ses cheveux anciennement blancs et légèrement bouclés désormais recouverts de suie et de tâches vermeilles tombant sur son beau visage couvert de sang tel un voile funèbre. Un cri d'agonie et de profond désespoir franchit finalement la barrière de ses lèvres, accompagnant le premier hurlement à l'image d'un chœur macabre. Puis, lorsque ses cordes vocales ne lui répondirent plus, totalement épuisées, Fileya se laissa doucement tomber à terre contre les dalles froides, les larmes dévalant de ses yeux fermement clos et ruisselant telles deux puissantes cascades inarrêtables sur ses joues. Ses cheveux recouvraient son corps étendu pitoyablement sur le dallage froid et miteux de sorte à former un linceul funéraire.

Lorsque les cris de douleur s'apaisèrent enfin et que le calme régna à nouveau dans la cellule de la jeune fille, cette dernière ne trouva pas la force immédiate de bouger. Rouvrant doucement ses yeux vairons qui brillaient autrefois d'une pure clarté, ces derniers vinrent se poser avec lassitude sur les barreaux en fer de sa cage. Il ne lui suffirait d'un rien pour les faire céder. Un peu de magie, peut-être un sort de Brasier, aurait pu facilement faire fondre son cadenas qui était tout ce qu'il y avait de plus simple. Mais peut-être que Seven avait pris le soin de l'enchanter avec un petit sort dont lui seul possédait le dément secret. Malgré tout, la jeune fille se devait d'essayer. Elle voulait, non, elle devait sortir de cet endroit immonde et répugnant. Retrouver l'air libre, la liberté. Fuir. Ne plus jamais revivre un tel cauchemar éveillé. Juste partir, loin. Et tout oublier.

Traînant son corps tel le poids d'un prisonnier, Fileya rampa jusqu'aux barreaux de fer, où elle se laissa choir. Agrippant ces derniers de deux mains tremblantes, déjà épuisée par une telle action, la jeune fille leva finalement deux yeux rougis par les larmes et le désespoir en direction du cadenas. Il ne lui suffisait d'un rien, juste de lever la main, Invoquer son bâton, puis de réciter la formule magique du sort de Brasier pour le faire céder. Mais son corps ne suivait pas, et refusait tout bonnement d’obtempérer malgré sa volonté de fer à sortir de ce cachot qui puait la désolation et la mort.

Soupirant de rage et de désespoir contre elle-même et son incapacité à agir dans un moment aussi extrême, Fileya laissa doucement sa main tomber tout contre son genou replié sous sa jupe désormais en lambeaux. Fixant les dalles à ses pieds d'un regard absent, la jeune fille peinait presque à respirer convenablement. Ses côtes la faisait douloureusement souffrir, sans doute étaient-elles même cassées, ou sinon sérieusement endommagées, suite à sa séance de torture par Seven. Mais malgré tout, la meilleure amie de Yume ne regrettait rien. Le grand dirigeant ignorait tout du secret qu'elle gardait encore profondément ancré en elle ; Seven ignorait encore qu'elle était au courant pour sa salle privatisée où il gardait précieusement des cadavres à moitié vivants pour un but encore inconnu à ce jour. Elle ne regrettait pas on plus son choix d'avoir refusé les avances de Teki. Toutes les tortures du monde, même la plus cruelle des morts, était préférable à finir ses jours aux côtés d'un homme qu'elle n'aimait pas.

Fileya pouvait distinctement percevoir sa respiration brève et irrégulière à travers les lieux imprégnés d'un silence mortuaire à faire pâlir la mort elle-même. La jeune fille s'était faite la réflexion, à de nombreuses reprises, que si le Royaume Cauchemardesque existait bel et bien, alors cette cellule, juxtaposée à la salle de torture, en étaient ses parfaites représentations : les Enfers d'Onyrik.

– Princesse ! s'exclama tout à coup une voix grave très proche de Fileya. Par tous les Divins, je suis terriblement désolé !

La jeune fille leva des yeux fatigués, cernés et rougis en direction de l'apparition salvatrice qui se trouvait juste derrière les barreaux, seuls remparts vers sa liberté tant convoitée. Là, juste de l'autre côté, venait d'apparaître, sans qu'elle ne lui en donne pourtant l'ordre, l'un de ses Hybrides. Des cheveux entremêlés et gras à l'image d'algues sous-marines et des jambes écailleuses... Hachedézo se trouvait miraculeusement de l'autre côté de sa cellule.

Fileya ouvrit la bouche dans l'espoir de lui demander comment il avait pu réussir à franchir tout seul le Monde de Kristal, mais son Hybride, qui avait conscience du triste état de sa maîtresse, prit les devants :

– Votre énergie est tellement faible qu'il m'a été possible de franchir la barrière qui sépare nos deux mondes.

Si elle avait pu, Fileya aurait pleuré de joie. Mais elle avait versé tellement de larmes, qu'il ne lui restait désormais plus que ses yeux pour prouver sa reconnaissance : ses iris bicolores se mirent à briller, tandis que l'ombre d'un sourire vint étirer les traits de son doux visage.

– Je vais vous faire sortir de là, promit Hachedézo en s'accroupissant à hauteur de la jeune Invoqueur pour déposer une main confiante sur la sienne. Je vous le promets. Je vais également vous prêter un peu de mon énergie. Je vous dois bien cela, après tout ce que vous avez fait pour moi.

Le contact de la main de l'Hybride sur la sienne suffit à lui redonner un minimum d'énergie. La paume de Hachedézo était moite, un peu visqueuse peut-être, mais pas pour autant désagréable. Fileya aurait aimé la garder plus longtemps dans la sienne, car cela semblait lui faire une éternité qu'elle n'avait pas eu de véritable contact humain, mais son sauveur la retira bien rapidement. Se redressant lentement, faisant preuve d'une majesté à couper le souffle tel un Dieu des Eaux et des Océans, il tendit tout aussi théâtralement sa main gauche en face de lui et apparut alors dans un faisceau de lumière bleuté un trident d'Or à trois pics, richement taillé. Mêmes les Elfes, les Sirènes et les Dragumans, malgré leurs prouesses dans la création d'armes, auraient été obnubilés par celle que tenait fièrement Hachedézo. On aurait dit qu'elle avait été façonnée par la Déesse elle-même. Peut-être même que c'était elle, qui l'avait envoyé à son secours, et que l'Hybride avait créé un mensonge pour ne pas parler de son arrangement avec la Divinité.

Quoiqu'il en soit, Hachedézo reporta immédiatement son attention en direction de sa maîtresse, bien qu'il ait remarqué l'éclat impressionné qui brillait dans ses yeux vairons.

– Reculez-vous, Princesse. Ca risque d'exploser. Votre corps sublime est déjà assez endommagé comme ça.

En d'autres circonstance, Fileya aurait sans aucun doute rougit face à ce commentaire désobligeant. Ou bien se serait-elle tout simplement mise en colère. Mais malgré cela, la jeune fille s'exécuta et elle traîna son corps loin des barreaux, comme conseillé par son sauveur. Se reculer lui avait certes demandé autant d'efforts que pour rejoindre les barres de fer, mais la jeune fille ressentit beaucoup moins la douleur que quelques secondes plus tôt. Peut-être que le contact avec la main de son Hybride lui avait en effet redonné un tout petit peu d'énergie.

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