Chapitre 4.1 : Astrid

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Astrid n'avait jamais été très friande des réveils en fanfare, et encore moins des précipités. Malheureusement pour elle, lorsqu'on était une fugitive, malgré elle bien entendu, c'était le genre de réveil auquel elle avait dû s'attendre à vivre au moins une fois dans sa pseudo carrière de criminelle, et cela même si la jeune fille aurait normalement dû être en sécurité dans cette petite auberge.

Ce furent des coups furieux à sa porte qui la firent se redresser, très tôt le matin, possiblement sur les coups de six heures – bonjour le vieux traumatisme des réveils matinaux du lycée ! La peur au ventre, car ces coups étaient tout de même forts alarmants à son goût, Astrid se rua dans un réflexe de panique sur son arc posé contre une table de chevet tout proche de son lit, qu'elle empoigna d'une main tremblante. La brune avait certes dû apprendre à survivre face au danger, se trouver tête la première en face à face avec une mort imminente n'était pas une chose dont elle allait s'accommoder très rapidement. L'archère passa ensuite autour de son cou ses flèches, dont elle prit le soin d'en décocher une pour la bander à son arc, au cas où elle en aurait besoin pour se défendre. Enfin, Astrid trouva finalement le courage d'apposer sa paume sur la poignet ronde en fer de la porte, qu'elle prit un malin plaisir à faire coulisser lentement, avant de l'ouvrir finalement d'un geste brusque, menaçant ainsi son opposant du bout de sa flèche.

« Holà, holà ! se défendit une voix qu'Astrid connaissait bien désormais. Calme-toi, c'est pas nous les méchants dans l'histoire, t'as pas oublié ça en une nuit j'espère ?! »

Astrid soupira de soulagement en réalisant qu'il ne s'agissait que de Yume, accompagné par Opäle, qui avait porté une main près de son cœur. La jeune femme était habillée comme le veille, le tablier blanc autour de la taille en moins.

Constatant que son ami ne présentait aucune source de danger à ses yeux, la brune abaissa lentement son arc, tandis qu'elle dévisagea l'expression sérieuse sur le visage de Yume, qu'elle tentait par tous les moyens possibles d'analyser pour comprendre ce qu'il se passait dans sa petite tête blonde. Il n'avait pas idée de lui faire des frayeurs pareilles de bon matin !

« J'espère pour toi que tu as une bonne raison pour me faire peur aussi tôt ! réprimanda-t-elle, plus sérieuse que jamais, tandis qu'elle rangea soigneusement son arc dans son dos. Je suis pas de bonne humeur le matin, et encore moins quand mon sommeil est dérangé.

‑ Garde un peu de ta haine contre les Miliciens en-bas, dans ce cas. »

L'information mit un certain temps à atteindre le cerveau de la jeune fille – il fallait dire qu'il rouillait un peu d'aussi bonne heure, et n'était par conséquent pas au top de sa forme dans des conditions aussi extrêmes. Puis, lorsqu'elle eut enfin compris où Yume voulait en venir, Astrid s'empressa de jeter un regard en direction d'Opäle dans le but de vérifier ses dires, dont ses deux yeux améthystes plissés reflétaient une terreur visible à des kilomètres.

« Depuis combien de temps sont-ils arrivés ? questionna Astrid en sentant son cœur battre jusque dans ses tempes, signe qu'elle était elle aussi effrayée à l'idée de se faire attraper aussi près de leur but.

‑ Quelque minutes…, répondit la jeune barmaid, la gorge serrée par l'émotion. Mon père, bien que malade, tente de les retenir du mieux possible, tachant de les persuader que vous n'êtes pas ici. Mais j'ai bien peur qu'il ne… »

En bas, on attendit comme du verre se briser au sol avec fracas. La brune sursauta d'abord de surprise face à cette détonation inattendue, avant de lancer un regard désespéré en direction de Yume. Ce dernier serrait les poings de frustration le long de son corps, devant très certainement fulminer à l'intérieur de tout son être contre les hommes méprisables qui ne se gênaient pas pour vandaliser l'auberge d'un citoyen alité et de sa pauvre fille éreintée.

« Ça craint…, lâcha Astrid du bout des lèvres, plus pour elle-même, comme une réflexion à voix haute.

‑ Je vais me les faire, annonça tout à coup l'ancien Épéiste, le regard rivé sur les marches toutes proches, prêt à effectuer en pas dans le but de rejoindre la pièce sous leurs pieds remplie de Miliciens.

‑ Non ! s'écria tout à coup Opäle, retenant fermement le jeune homme par le bras. Si tu y vas, alors… »

La jeune femme se stoppa brutalement dans sa phrase, se pinçant la lèvre inférieure, comme si elle avait peur d'en dire trop. Cependant, cette soudaine retenue attira sur les elles les regards curieux des deux jeunes fugitifs, qui la suppliait de dévoiler le fond de sa pensée.

Avec un soupir de résignation, Opäle reprit, sur un ton plus bas :

« Ton amie ici présente doit accomplir la Prophétie. Sans elle, notre Royaume – non, notre monde – court à sa perte. Si elle n'accomplit pas son destin au plus vite, alors des scènes comme celles-ci se produiront davantage, se multipliant aussi sauvagement et rapidement qu'une flammèche sur une traînée de poudre. »

Elle resserra davantage sa prise sur le bras de Yume, avant de terminer, le regardant droit dans les yeux :

« Je t'en prie, écoute mes paroles. »

Pour un peu, autant de paroles débordant d'amour aurait manqué de faire vomir de dégoût Astrid de bon matin, mais aussi se contenta-t-elle de simplement croiser les bras sur son poitrine, tout en roulant des yeux. Est-ce que c'était réellement le moment de jouer les cœurs tendres alors que toute une flopée de Miliciens n'attendaient plus qu'une chose : gravir les escaliers pour mettre la main sur les deux plus grands fugitifs de tout Onyrik ?

« Bon, c'est bien beau tout ça, coupa frénétiquement Astrid en agrippant à son tour le bras de Yume, dans le but de le faire revenir à la terrible et inquiétante réalité, mais on a besoin de s'enfuir, là. »

L'archère ne saurait dire si c'étaient ses paroles ou bien son geste qui lui avait enfin fait reprendre conscience de la situation, mais l'ancien Épéiste sembla enfin sortir de son étrange torpeur.

« Opäle, j'ignore comment tu es au courant pour la Prophétie, mais si tu veux vraiment qu'elle se réalise, il va falloir encore nous venir en aide. Comment on peut espérer sortir d'ici sans attirer l'attention des Miliciens ? J'imagine qu'il doit y en avoir un peu partout dans le Bazar…

‑ Oui, c'est bien ce que je crains aussi… Dans ce cas… »

La jeune barmaid se décida enfin à lâcher le bras de Yume, à l'étrange grand soulagement d'Astrid, pour se diriger vers une bibliothèque, tout au fond du couloir. Fronçant les sourcils, les deux amis la suivirent sur la pointe des pieds, à pas de loups, tâchant ainsi de ne pas trahir leur présence bien que leurs éclats de voix résonnaient sans aucun doute depuis un certain temps dans le couloir. La jeune femme aux longs cheveux violets abaissa alors un livre à la reliure splendide, faite de cuir à l'ancienne comme Astrid les aimait tant. Cela eut pour effet de déclencher un mécanisme digne des films d'espions qui passaient souvent à la télévision ou au cinéma dans le monde de la brune, et l'imposante étagère coulissa telle une porte géante qui s'ouvrait, dévoilant ainsi un long couloir non éclairé et glacial.

« Un tunnel sous-terrain, releva Yume avec un sourire satisfait. C'est parfait, la solution idéale. »

Il pivota ensuite en direction d'Opäle, qui les fixait tous deux de ses étranges paupières papillons, une lueur visiblement inquiétant dans le regard.

« Est-ce que ça va aller pour vous ?

‑ Mais oui t'en fais pas ! rassura le blond en brassant l'air de sa main. C'est pas mon genre de me laisser mourir bêtement par les mains de l’Élite ! »

Le jeune homme plongea ses pupilles lagons dans le couloir obscur, avant de faire apparaître magiquement son épée dans une pluie d'étincelles bleutée. Là, il sortit une sphère écarlate d'une de ses grandes poches qu'il fit fusionner avec le manche de son arme, comme il en avait l'habitude, et celui-ci s'embrasa, créant ainsi une sorte de torche improvisée.

« Est-ce que ça va tenir longtemps ? s'assura Astrid en s'approchant de l'épée, comme fascinée par le phénomène, bien que ce n'était pas la première dont elle en était témoin.

‑ On verra bien. En route ! »

Yume effectua un pas dans le tunnel, lorsqu'il se ravisa à la dernière minute. Sans se retourner, il lança alors, de sa voix la plus mielleuse et charmeuse :

« J'aurai aimé te faire des adieux digne de ce nom, mais notre vie est un jeu. Sur ce, merci pour tout, Opäle. »

Le meilleur ami de Fileya, qui n'aimait sans doute pas les séparations, s'empressa de disparaître dans le couloir ténébreux et glacial, sous le regard triste de la jeune barmaid. Astrid soupira à nouveau de désespoir, les mains sur les hanches cette fois-ci. L'attitude de Yume avec les jeunes filles l'exaspérait.

« Avant de partir, j'ai besoin de savoir un truc, annonça subitement l'archère, en se tournant par Opäle.

‑ Oui, quoi donc ? questionna cette dernière, les yeux agrandis par la surprise.

‑ La Prophétie, fit Astrid en plissant le nez et le front de méfiance malgré elle, comment est-ce que tu peux la connaître, alors que même nous, on est pas certains dans la connaître dans son intégralité ? »

Un sourire espiègle se dessina tout à coup sur les lèvres de la jeune fille, tandis que des bruits de pas précipités se firent soudainement entendre. Réalisant que les Miliciens étaient en train de gravir les escaliers, Opäle lui expliqua juste mystérieusement, tandis qu'elle la poussa de toutes ses forces dans le tunnel :

« Mon père est un ancien Invoqueur, qui me contait souvent la légende de l'Enfant aux Yeux Rouges quand on demeurait encore à Fikternand. Alors, dès que je t'ai vu, j'ai su que c'était toi. »

A ces mots, la bibliothèque se referma dans un fracas assourdissant, tandis que la dernière image qu'Astrid emporta de leur hôte fut son signe d'au revoir de la main, un sourire bienveillant étirant ses lèvres, lui conférant ainsi un âge bien plus jeune qu'elle ne devait avoir en réalité.

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