Chapitre 3.4 : Yume

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Yume ouvrit la bouche pour lui parler, mais son interlocutrice s'interposa :

« Je suis à vous dans une minute, juste le temps de régler ceci… »

La barmaid sortit de sous la table un plateau en acier qu'elle déposa violemment, peut-être sans vraiment le vouloir, sur le comptoir. Là, elle y déposa trois choppes de bières bien remplies et qui faisaient saliver Astrid derrière Yume, mais celui-ci ne vit rien de sa mine complètement absorbée par les trois boissons toutes fraîches. Puis, la jeune femme s'essuya brièvement les mains sur son tablier avant de prendre possession du plateau d'une paume uniquement, de le lever au-dessus de sa tête avec agilité, puis se déplacer de sorte à quitter son espace restreint derrière le bar. Là, la serveuse se dirigea en direction d'une table à proximité, révélant ainsi son incroyable chevelure flottant presque jusqu'à ses pieds. Autour de cette table se trouvaient trois grands gaillards à l'allure plutôt effrayante. Il manquait les dents à l'un, un autre possédait un œil au beurre noir, tandis qu'ils avaient tous trois un point en commun : des cicatrices sur tout le corps. Yume se promit de ne pas leur chercher des noises, à ceux-là !

La jeune femme, avec son plus beau sourire quoique fatigué, déposa les choppes de bières aux trois hommes. Elle s'apprêta à repartir, lorsque l'un deux l'agrippa fermement par le bras, la forçant à rester sur place. Sentant que la situation commençait à s'envenimer, Yume effectua un pas dans le but de venir en aide à la barmaid, mais Astrid le retint d'un mouvement de bras.

« Mais qu'est-ce que tu fais ? s'énerva le blond, lui renvoyant un regard désapprobateur. Tu vois bien qu'ils sont en train de…

‑ Je sais. Mais on a déjà assez d'ennuis comme ça, évite de nous en créer d'autres pour le moment. Il n'y a eut pour le moment aucun geste déplacé. Alors, je te demanderai d'attendre encore un peu avant de faire quelque chose qui tu pourrais regretter. »

Yume ouvrit de gros yeux ronds face à cette annonce. Il avait du mal à croire que de tels mots sortaient de la bouche d'une fille ! Son sang ne fit qu'un tour dans ses veines. Cette jeune femme avait besoin d'aide, c'était évident !

Tournant des yeux agacés en direction de la jeune femme à la longue chevelure, Yume paru néanmoins rassuré, quoiqu'un peu surpris, de voir que cette dernière semblait s'en sortir parfaitement bien toute seule. La barmaid parvint à se dégager avec douceur de la prise qu'avait l'homme au bonnet sur elle, lui adressant un sourire charmeur, mais lui demandant tout de même de se calmer, sinon quoi elle serait obligée de les virer tous trois de l'établissement. Puis, la jeune femme effectua un volte-face et entreprit de retourner derrière son comptoir, sous les regards bienveillants et de Yume et Astrid. Les autres clients de l'auberge, quoique forts nombreux, ne semblaient pas avoir remarqué quoi que cela soit d'anormal.

« Pardon pour le dérangement, s'excusa la jeune femme en déposant le plateau métallique sous le bar en lâchant un soupir fatigué. Depuis que mon père est alité, j'ai l'impression que les clients ont doublés. »

Elle s'essuya le front d'un revers de bras tout en soupirant bruyamment de lassitude. Pas de doute, elle semblait incroyablement éreintée, comme si elle venait de marcher toute une journée sous un soleil de plomb, exactement comme les deux clients en face d'elle, mais cela, elle ne pouvait pas le savoir.

« Excusez-moi, reprit la gérante de l'établissement en prenant une posture plus professionnelle, prenant sur elle pour redresser légèrement le dos et les épaules. Je ne devrais pas vous embêter avec ma vie privée. En quoi puis-je vous aider ? »

Yume lança un rapide regard vers Astrid, et au vu de l'attitude que venait d'adopter cette dernière, c'est à dire bras croisés sur sa poitrine et levant les yeux au ciel, il comprit immédiatement que l'honneur lui revenait de prendre la parole.

« On aimerait une table mais aussi de quoi passer la nuit.

‑ Vous êtes ensemble ? demanda la jeune femme aux longs cheveux violets en regardant tour à tour ses deux clients.

‑ Oui, répondit immédiatement Yume.

‑ Non » affirma de son côté Astrid sur un ton catégorique.

Les deux amis se fixèrent un long moment du regard, les sourcils froncés. Venait-il d'y avoir un malentendu sur la question, ou bien… ?

« Je veux dire, d'un point de vu professionnel, s'empressa de rectifier la gérante avec un petit sourire gêné en voyant la situation ambiguë qu'elle venait de créer malgré elle.

‑ Ah ! comprit finalement Astrid alors que de légères rougeurs prenaient place sur ses joues rondes. Et bien, dans ce cas, oui. Mais pas la même chambre. S'il vous plaît.

‑ J'en prends note » répondit la barmaid sur un ton professionnel, malgré le sourire amusé sur ses fines lèvres.

La jeune femme balança son immense queue de cheval dans son dos et sortit un petit livret où elle nota les exigences de ses clients.

« Je vais vous conduire à votre table, annonça-t-elle ensuite en faisant cliquer le bout de son stylo pour le fermer. Si vous voulez bien me suivre… »

D'un geste fluide et mouvementé, habituée, la gérante passa à nouveau de l'autre côté du comptoir, et indiqua en premier lieu la première table vide qu'elle avait sous la main. Seulement, cette dernière se trouvait en plein centre de la pièce, et n'était de ce fait pas vraiment adaptée pour deux fugitifs comme Yume et Astrid, bien que personne au Bazar du Désert ne semblait les avoir reconnus.

« Excusez ma requête, mais serait-il possible d'avoir la table dans le coin là-bas ? » demanda Yume sur un ton poli.

Il ne remarqua pas Astrid lui faire les gros yeux, un sourcil drôlement arqué.

« Oh, hum, et bien, oui, bien entendu. »

La jeune femme fit demi-tour, faisant gracieusement voler sa longue natte dans les airs, puis se dirigea vers la table tout près de la fenêtre. Là, elle l'arrangea de sorte à pourvoir y installer confortablement ses clients, y ajoutant deux très jolis sets de table crème, ainsi que de beaux couverts polis aux jolis reliefs représentant des fées. Yume, lorsqu'il avait regardé son hôte dans les yeux pour la toute première fois, s'était demandé si elle n'en était pas une elle aussi, avec son regard agrandi par ses longs cils noirs, semblable à deux ailes de papillon.

Les deux amis s'assirent sur leurs chaises.

« Pardon de devoir vous faire patienter une fois encore, mais j'ai d'autres clients sur le feu, ajouta la gérante en désignant d'une main discrète le reste de la salle bien remplie. Je reviendrai rapidement vers vous, je vous le promets. »

La jeune femme soupira de nouveau de lassitude. Son travail semblait réellement l'exténuer.

« J'ai vraiment hâte que mon père guérisse » compléta-t-elle plus pour elle-même.

Avec un sourire à la fois triste et fatiguée, la barmaid s'apprêta à retourner prendre les autres commandes, lorsque Yume l'interpella une dernière fois :

« Excusez-moi, je vais peut-être vous paraître un peu malpoli, voire grossier, mais comment se prénomme notre jolie serveuse ? »

Le jeune homme ne pouvait pas s'empêcher de vouloir faire la connaissance de toutes les jolies jeunes filles qui se mettaient sur sa route. Il était ainsi, et personne ne pouvait le changer pour l'instant. A part la fille qui deviendrait un jour sa chère et tendre. En attendant, il pouvait se permettre de batifoler à droite à gauche, non ? Et puis, il profitait surtout de l'absence de Fileya pour se permettre ce genre de divagation. Sa meilleure amie détestait lorsqu'il agissait ainsi, et ne gênait jamais pour le lui faire savoir.

« Je… »

La jeune femme sembla réellement gênée, car des rougeurs apparurent sur ses joues constellées de tâches de rousseurs, effaçant presque celles-ci, ce que Yume trouva encore plus craquant.

« Appelez-moi Opäle, déclara enfin la-dite Opäle en passant une mèche rebelle derrière son oreille. Maintenant, si vous voulez bien m'excuser, j'ai vraiment d'autres clients qui m'attendent. »

Yume lui décocha un sourire en coin charmeur, ainsi qu'un clin d’œil, ce qui fit rougir d'autant plus la jeune femme, avant de se tourner vers Astrid… et de se confronter à son regard révolté. Pour un peu, il cru se retrouver en face de sa meilleure amie, et pouvait donc aisément prédire la suite de leur conversation…

« Quoi ? fit-il sur un ton presque de dédain, se servant un peu de vin dans un petit verre qui était mis à leur disposition.

‑ « Excusez ma requête, mais serait-il possible d'avoir la table dans le coin là-bas ? », répéta mot pour mot Astrid en imitant son ami d'une voix exécrable, à la limite du ridicule. « Excusez-moi, je vais peut-être vous paraître un peu malpoli, voire grossier, mais comment se prénomme notre jolie serveuse ? » T'es pathétique. »

Un sourire en coin, l'ancien Épéiste but une petite gorgée de vin rouge, avant de répondre à son attaque personnelle :

« T'es jalouse ? Je peux te draguer aussi si tu veux.

‑ Sans façon, répondit de but en blanc la brune en détournant les yeux.

‑ Quoi, je te gêne ? en rajouta le jeune homme alors qu'il voyait clairement le malaise se dessiner progressivement sur les traits du visage d'Astrid.

‑ De toute façon, l'amour, ça m’intéresse pas. Tu t'es déjà pris un râteau ? Parce que je serai capable de t'en mettre un. »

Yume fronça les sourcils, n'y comprenant rien à ses drôles de propos.

« Râteau ? répéta-t-il en arquant un sourcil. C'est quoi ce mot barbare ?

‑ C'est généralement ce qu'on dit dans mon monde quand une personne refuse l'amour d'un autre.

‑ Ah, un refus, donc. Tu veux pas essayer de t'adapter à notre monde et parler comme nous ?

‑ Comment je pouvais savoir que vous n'utilisiez pas le mot « râteau » ? se défendit Astrid du mieux possible. Tout ceci est mon rêve, alors vous êtes censés savoir parler comme moi.

‑ Peut-être que c'est une preuve supplémentaire que tout ceci est bien réel. Il serait peut-être temps de l'accepter au lieu de faire paniquer tout le monde, non ? »

Tiquant sur l'un des mots, Astrid se suspendit dans son geste, sa bouche entrouverte alors qu'elle allait à son tour boire une gorgée de vin.

« Attend…, reprit-elle, lâchant un petit rire gêné, comment ça « tout le monde » ? Techniquement, je n'en ai parlé qu'à toi. A moins que… »

La brune reposa un peu trop violemment son verre sur la table, ce qui leur attira les regards foudroyant des clients à proximité.

« … tu l'as dit aussi à Fileya ?! »

Voyant toutes les paires d'yeux posés sur eux, Yume proposa à Astrid de baisser légèrement d'un ton, car ils étaient censés se faire discrets. Avec des murmures grognons, les clients repartirent dans leurs discussions respectives.

« Oui, elle sait aussi, j'allais pas lui cacher ça.

‑ Évidemment, marmonna Astrid dans sa barbe et s'écrasant davantage dans sa chaise. Bon, elle aurait fini par l'apprendre de toute façon. Et comment l'a-t-elle pris ? »

Du coin de l’œil, Yume vit Opäle revenir vers eux, un petit carnet dans les mains, sans doute prête à prendre leur commande, aussi se décida-t-il a écourter leur conversation :

« Elle a essayé de trouver un raisonnement logique à tout ça. Mais on en vient tous deux à la même conclusion : tu as été capable de voir des événements marquants de notre histoire à travers tes rêves uniquement parce que tu es l'élue d'un Prophétie. »

Opäle se tenait désormais à leur table, et Yume ajouta, avec un large sourire :

« J'ai faim. Je te donnerai les détails de la suite de notre voyage après un bon repas. »

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