Nostalgie

de Image de profil de Adrien de saint-AlbanAdrien de saint-Alban

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Un peu inquiet et fébrile, je cherche ma place toute désignée avec l'étiquette sur laquelle est gravée mon patronyme.Je passe d'une travée à l'autre cherchant, espérant voir mon nom et mon matricule de candidat sur le coin d'une table.

J'aime cette atmosphère d'examen. Un parfum indescriptible qui me ramene à mon adolescence régne dans la salle. Ce parfum qui n'a pas changé depuis des siècles. Ce parfum des ambiances de concours et d'émulation. Dehors,la chaleur d'une journée d'été sonne le glas d'une année de labeur. La libération est au bout aussi bien pour l'ouvrier que pour le lycéen que j'étais. J'allais dire adieu à la hierarchie, à l'autorité, à la prison. L'ultime effort vers la liberté. J'entend déjà le bruit des vagues qui viennent mourir sur le sable. Je goute déjà à la joie des baisers sucrés des chaudes nuits d'été. Les années soixante dix disparues à jamais. Elles m'ont laché. Je les regarde s'éloigner, sans jamais pouvoir les retenir.

Mon père me frappait. Mon bagne, c'était le grenier où il s'acharnait à m'y enfermer. Je me mettais sur la pointe des pieds pour regarder le coin de ciel bleu à travers la petite lucarne. Seule issue vers l'extérieur. Un petit bout de liberté. Il n'y avait pas d'arbre pour bercer sa palme. J'imaginais la vie sans moi. A force de jouer les Jean Valjean à répétition par la volonté de mon père, je finissais par connaitre les moindres recoins du grenier. J'explorais. Je jouais à Indiana Jones. J'espérais trouver un trésor. Oh, modeste trésor! Tout au moins un jouet exceptionnel que les anciens locataires auraient pu laisser et qui aurait satisfait mon imagination. Seuls le bruit des voitures me renseignaient que la vie dehors continuait sans moi. Ces temps de de puberté intellectuelle. Un passage obligé. Aurai-je le bac? Les vacances.

La joie et l'angoisse lorsque mon nom m'apparut distinctement sur le coin d'une table. C'est ma table! Je m'installe confortablement sur ma chaise, dispose mes affaires, ma convocation et ma carte d'identité en lieu et place de telle sorte qu'elle fût lisible par le garde-chiourme barbu et sympa qui va me surveiller. Il écrira sur le tableau noir le début et la fin de l'épreuve. Le rituel peut commencer. La solennité est de mise. L'instant est grave. J'attends. Je suis impatient de voir la grosse enveloppe de papier kraft dans lequelle est renfermé le secret le plus gardé de France, tel un secret de Fatima dont la divulgation ne saurait tarder. C'est une question de quelques secondes, de quelques minutes. Le compte à rebours commence .

Je me remis à penser à ces années passés. Je n'étais pas conscient que mes parents avaient fait quelque chose d'extraordinaire.

C’était un mois de novembre de 68. J'arrivais après la bataille. Les pavés étaient remisés et rendus à l'Histoire. De Gaulle était encore de ce monde et régnait en vieux patriarche sur les plateaux de télé. Sous les pavés la plage, criaient certains. Du pain et des roses proclamaient d’autres chantres humanistes. Pour moi c’était plutôt la dèche. J’ignorais ce qu’était la France. J’ignorais qu’il pût exister un pays formidable pour une famille en somme fort minable. Je me souviens. il y avait le boulanger, le pharmacien, le boucher, l’épicier qui nous faisait crédit. Nous habitions une grande maison. Les jours de gros orage il fallait sortir les bassines. Ça ruisselait de partout. Nous étions pauvres mais étions en France. Ce pays qui a fait naître tant d’espoir et qui continue à faire rêver tant de gens désespérés.

Mon premier contact fut l’école. A mon arrivée en France j’avais à peine six ans. J’étais grand. J'étais un peu le grand Maulnes. La langue de Molière ? Connaissait pas.

Je me souviens d’un mois de novembre pluvieux. Les platanes perdaient leurs feuilles. Cela sentait bon l’automne. Les feuilles s’amoncelaient aux pieds des arbres. On donnait des coups de pieds .

Je me souviens de Monsieur Legrand, l’instituteur du CP qui m’avait pris en charge. C’était un passionné de moto. Il avait une grosse cylindrée et roulait en ds noire. La voiture à la mode Ah, Monsieur Legrand comme c’est drôle! Il était petit et trapu. C’était un fougueux. Il était redoutable et il était redouté. Il avait toujours une mèche rebelle sur le front qui retombait à chaque mouvement de la tête. Une tête passionnée. Il était instit dans son âme et dans son corps.

L’archétype de instituteur républicain.

Il nous apprenait à lire avec sa baguette de bambou. Je ne sais plus si c’était la méthode globale ou syllabique. Peu importe. Ce dont je me souviens c’est cette odeur particulière de craie, ce parfum que je hume encore quand j’entre dans une classe. La République m’avait accueilli.

On apporte les sujets.

Le garde-chiourme me distribue le sujet. Fébrile, je découvre, la main un peu tremblante,que c'est un poême de Victor Hugo...

Demain dès l'aube...

Je repris mon souffle après avoir gravi les trois étages du lycée. C'était un établissement assez imposant dont la construction remontait après guerre, comme presque tous les lycées en France.

La société construit plus de prisons pour préserver ses acquis et ses privilèges que d'établissements destinés au savoir d'une jeunesse qui se veut l'avenir du pays. Je tombai sur une foule dense et compacte. Un troupeau, candidats au bac, se pressait, s'agglutinait comme devant le premier jour des soldes comme s'ils voulaient faire des affaires. Des bêtes humaines prêtes à foncer et à défoncer. Je m'arrêtai. Je fixai cette horde. Certains révisaient à la dernière minute. Comme les soldes, il y avait ceux qui, pris de frénésie de consommation, se précipitaient sur l'article dès la première heure du premier jour. Ils voulaient être les seuls à jouir du bonheur de réussir ou de posséder l'objet tant convoité. Les clameurs des lycéens qui voulaient en finir. Et puis il y a les autres qui comme moi viennent quand tout a été vendu.

Les vendeurs de Baccalauréats font des affaires avec ceux qui se lèvent tôt.

J'ai commencé à fumer à l'âge de quinze ou seize ans. On paraît plus vieux auprès des filles avec une clope aux doigts. Les filles préfèrent les vieux. Les filles veulent de la protection, de la soumission. Le féminisme n'avait pas encore germé dans ces années soixante dix. La révolution de mai n'avait pas encore produit ses effets. On était toujours dans le schéma du mâle dominant. Surtout le mâle avec une clope au bec à la Humphrey Bogart. Avant vingt ans, on aime se veillir en trichant sur son âge ou en allumant sa première tige. Après vingt ans, c'est l'inverse, on triche toujours, mais dans le sens à rebours. Après vingt ans, on prend conscience du temps qui passe. On se sent déjà vieux.

Je piquais des clopes dans la poche du père. Il y avait toujours un paquet de gauloises neuf dans la poche de sa veste. J'avais trouvé un subterfuge efficace pour ma ration de sèches. Je décollai la languette centrale du paquet, j'otai deux ou trois gauloises, guère plus, puis je le malaxai pour redisposer les cigarettes à l'intérieur afin de lui redonner son apparence régulière afin ne pas éveiller le moindre soupçon à mon père qui ne voyait, si je puis dire, que du feu .

Mon nom commence par la lettre M. Je me fraie un passage parmi la foule des candidats pour trouver la salle dans laquelle je dirai ce que je pense de la littérture française. Je suis venu avec quelques livres dont les "trois contes" de Flaubert usé jusqu'à la corde à force dêtre lu et "l'étranger" de Camus.

Dans certains cultures africaines, on impose aux jeunes gens certaines épreuves endurantes et parfois fort pénibles. Ces rites initiatiques le font passer de l'adolescence à l'âge adulte par des éxercices de chasse périlleux. Ces rites structurent la vie du futur chasseur appelé à reproduire une culture et un mode de vie légué pr les ancêtres.

Le baccalaureat occupe une place centrale dans la psychée française. Le système élitiste a pendant longtemps écarté les enfants d'ouvriers du droit au savoir. Seule, une catégorie sociale avait le droit de se reproduire, laissant ainsi la majorité de la population dans la pauvreté intellectuelle et économique.

A quelle aune doit juger qu'une société est plus avancée qu'une autre?

La société africaine soucieuse de chacun de ses membres ou la société occidentale où l'homme n'est qu'une marchandise comme une autre?

Je me fous du bac.

Adrien de saint-Alban

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NostalgieChapitre3 messages | 2 ans

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