Chapitre 44 - Partie 2

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Elle hésita un instant. Puis elle dénoua la ceinture et laissa tomber la robe sur le sol. Elle était maintenant totalement nue. Elle posa une main sur son bas-ventre. Brun la détaillait de la tête aux pieds. Il admirait le dessin qui couvrait le moindre espace de sa peau. Contrairement à ses joues, tous les types de pierres étaient présents, il y avait des diamants, mais aussi des rubis, des saphirs, des émeraudes, ainsi des matériaux moins nobles comme du simple quartz. Seules les pierres mates n’avaient pas été jugées dignes de figurer dans l’œuvre par son créateur. L’ensemble était organisé autour d’un motif en fil d’or à base d’arabesques et de volutes. Il ne représentait rien de particulier, faisant vaguement penser à un motif foliaire. Les fils d’or se voyaient à peine sur la peau pâle de la jeune femme. Et pourtant c’est eux qui donnaient corps au dessin. Sans eux, ce n’aurait été qu’une profusion de pierres disposées un peu au hasard.

Brun la fit se retourner. Le dos était décoré comme le devant. En fait, aucune partie de son corps n’était oubliée, à l’exception de l’intérieur de ses mains et les pointes des seins. Il remarqua que quand elle bougeait, les pierres renvoyaient des éclats multiples, toujours changeants. Le résultat était magnifique.

— Je suppose que tu n’es pas née comme ça, dit Brun, comment est-ce arrivé ?

— C’est un drow qui m’a fait ça, répondit Deirane.

— Ce n’est pas dans leurs habitudes, remarqua Dayan.

— Et puis, la magie retient ces pierres en place. Les drows en sont dépourvus, ajouta Brun.

— On m’a dit que la magie est d’origine gems.

— C’est évident, remarqua Dayan, seuls les gems savent la mettre en boite pour la vendre aux autres peuples.

— Je suppose que tu as essayé d’annuler ce sort, demanda Brun, ça n’a pas marché.

— Une amie a été gravement blessée par la tentative, répondit Deirane, la magie qui les protège tue ceux qui tentent de m’enlever les pierres.

— Un de nos hommes est mort dans l’opération, signala Biluan.

— Tant pis pour lui, répliqua Dayan, il a essayé de s’emparer de quelque chose qui ne lui appartenait pas. Il n’a eu que ce qu’il méritait.

Deirane pensa que c’est exactement ce que venait de faire Brun en l’enlevant. Mais elle préféra ne rien dire aussi longtemps qu’elle n’aurait pas récupéré Hester.

— C’est parfait. Dayan, paye la somme convenue à cet homme.

Le ministre se leva. Il sortit une bourse d’une poche de son pantalon. Il se dirigea vers l’esclavagiste.

— Quatre-cent-vingt cels, comme promis, dit-il en la lui tendant, en pièces d’or.

Biluan la prit et la fit disparaître sous ses vêtements sans la vérifier.

— Et le reste ? demanda-t-il.

— Quel reste ? l’interrogea Brun.

— La guerrière libre. Vous deviez vous assurer qu’elle ne serait pas une menace pour moi. Elle est à mes trousses.

— Saalyn ?

En entendant le nom de son amie, Deirane éprouva une bouffée de joie insensée. Ainsi Saalyn la recherchait déjà.

— Elle cherche la fille du côté de la Nayt, répondit Dayan.

— Elle comprendra un jour qu’elle s’est fait avoir. Elle reviendra par ici.

— Ne t’inquiète pas.

— C’est que je tiens à ma peau.

— Fais nous confiance, continua Dayan, à l’heure qu’il est, elle n’est plus une menace pour personne.

— Et c’est la Nayt qui portera le chapeau de sa disparition, compléta Brun.

À ces paroles qui ne pouvaient que signifier la mort de Saalyn, la joie de Deirane s’évanouit aussi vite qu’elle était venue. Son amie avait voulu l’aider et elle y avait laissé sa vie. Elle se retenait de pleurer pour ne pas donner ce plaisir à ces trois hommes. Mais elle sentait la terre vaciller sous ses pieds.

Elle, elle était bien en sécurité derrière l’armure de son tatouage, on ne pouvait pas la blesser. Mais autour d’elle, les gens tombaient comme des mouches : Dresil, Astor, maintenant Saalyn et certainement son apprenti aussi. Et son fils ? Quand cela allait-il s’arrêter ? Se ferait-elle d’autres amis qui mourraient à cause d’elle ?

D’un geste, Brun congédia Biluan qui s’inclina et dans cette position, commença à reculer jusqu’à la porte.

— Un instant, dit Deirane.

Sa voix était rauque, mal assurée. Elle donnait une impression de faiblesse. Bon, ce n’était pas qu’une impression, elle était réellement faible. Les cours de Deinis ne l’avaient pas préparée à ce qui lui arrivait. Mais pour ce qu’elle voulait, actuellement, elle se sentait très forte.

— Un instant, répéta-t-elle plus fort.

Sous la surprise, Biluan se redressa. Tous les regards convergèrent vers elle.

— Qu’y a-t-il ? demanda Dayan.

— On m’a fait une promesse, il est temps de la tenir.

— Je n’ai fait aucune promesse, répondit Brun.

— Vous non. Mais lui oui.

Elle désigna le commanditaire du doigt.

— Alors ? demanda Brun.

— Je ne sais pas de quoi elle parle, répondit Biluan.

— Mon fils, vous deviez me le rendre.

— Si lui vous aviez promis une telle chose, rendez-le-lui, ordonna Brun.

— Mais je ne peux pas. D’ailleurs ce n’est pas moi qui l’ai promis, c’est Jevin, le chef des mercenaires que vous avez engagés.

— Où est cet enfant dans ce cas ?

— Je l’ignore. Il est certainement mort à l’heure qu’il est.

Deirane sentit la tête lui tourner. Pendant un moment, elle ne sut plus où elle était. Elle n’entendait plus rien. Puis une rage intense remonta à la surface. Une rage comme jamais elle n’en avait éprouvée de sa vie. Elle poussa un hurlement en se précipitant sur Biluan, les bras en avant.

L’esclavagiste lui envoya une gifle. Mais cela ne l’arrêta pas. Elle ne l’avait même pas ressentie. Il lui saisit les poignets pour lui immobiliser les bras. Elle répliqua en lui envoyant un coup de genou qui ne rata l’aine que de peu. De leur place, Brun et Dayan regardaient la scène, amusés. Ils se comportaient comme s’ils assistaient à un spectacle. Jusqu’à ce que l’esclavagiste la repousse assez loin pour saisir sa matraque électrique. Trois coups ne suffirent pas pour qu’elle se calme.

— Ça suffit, cria Brun.

D’un geste, il envoya les deux gardes, jusqu’alors immobiles derrière son trône, maîtriser la jeune femme. Ils la prirent par les bras, l’empêchant de bouger, mais sa rage n’était pas apaisée. Si elle avait pu un instant croire en l’humanité du roi d’Orvbel, il la détrompa bien vite.

— Ce genre d’appareil laisse des traces sur la peau, dit-il, je ne veux pas d’un exemplaire endommagé.

— Pas à la puissance où je l’utilise sur elle, répondit Biluan.

Il tendit son arme à Dayan qui l’examina. Le curseur était à peine au tiers de sa puissance. Le ministre s’envoya une décharge dans le bras. Désagréable mais pas douloureux.

— Il a raison, ça chatouille sans plus.

— Il semblerait que sur elle, son effet soit décuplé, commenta Biluan.

— Comment expliques-tu cela ? demanda Brun.

— Je l’ignore. Son tatouage peut-être. Ou le sort qui la protège.

Brun en avait assez. Il voulait que le négrier s’en aille. Il le congédia un geste de la main. Biluan essaya de voir s’il pouvait récupérer son instrument. Mais apparemment Dayan l’avait fait sien. Ce genre de jouet n’était pas donné. Mais il ne pouvait rien y faire. Tout à sa déception, il oublia de s’incliner pour quitter la pièce. Heureusement pour lui, Brun était trop occupé avec Deirane pour s’en apercevoir.

Le roi se leva. Il descendit de son piédestal. S’arrêtant à quelques pas de la jeune fille, il l’admira de la tête aux pieds. Deirane ne se débattait plus. Mais il y avait encore suffisamment de fureur en elle pour qu’elle éprouve de la gêne devant cet examen.

— Magnifique, disait-il en tournant autour d’elle, ce tatouage est magnifique.

— Même sans lui, elle serait déjà remarquable, ajouta Dayan.

— Mais je ne vois pas son bracelet d’identité. Si elle a habité dans l’ambassade d’Helaria, elle devrait en avoir un, où est-il ?

— Biluan a dû le lui enlever. Ça déparait un peu avec sa beauté.

— Vous irez le chercher. Je veux qu’elle le porte.

— Quel intérêt ? Ça risque de nous attirer l’inimité des Helariaseny. À moins de l’enlever quand l’un d’eux vient en visite officielle.

— Au contraire, il faudra qu’elle l’ait sur elle si l’un d’eux vient ici. Je pense qu’ils comprendront le message.

Brun continuait son examen.

— Quand elle sera prête, elle sera le plus bel ornement de mon harem. Les autres monarques vont être verts de jalousie.

— Je ne serai l’ornement de personne, cracha Deirane.

Brun sembla ne pas avoir entendu. De toute évidence, l’avis de la jeune femme sur la question le laissait totalement indifférent. Il se comportait comme si elle n’était qu’un objet, sans émotions, ni sensations. Guère plus qu’une statue animée.

— Et dire que nous avons failli laisser cela à des paysans. Quel gaspillage cela aurait été.

Le souvenir de Dresil, mort, raviva la haine de Deirane. C’était cet homme qui en était à l’origine. Biluan n’était que l’exécutant. Il n’avait fait qu’obéir aux ordres de Brun. C’est Brun qui avait tué Dresil, tué son fils, Saalyn aussi avec son apprenti qu’elle avait à peine connu. Elle poussa un cri de rage.

— Assassin ! hurla-t-elle, meurtrier !

Elle tenta d’échapper à la poigne des gardes. Mais ils étaient très forts et elle menue.

— Amenez-la à sa chambre, ordonna Brun.

D’un geste il congédia les deux gardes.

Deirane fut entraînée, portée plus exactement, par les deux colosses.

— Elle est magnifique, dit Brun quand elle fut sortie, nous avons eu raison de l’acquérir.

— Un peu trop enragée à mon goût. Il va falloir la calmer.

— Ce ne sera pas la première fois que nous aurons à mater une femelle récalcitrante.

Le monarque éprouva une bouffée de plaisir à cette perspective.

— Dommage que Biluan n’ait pas amené son enfant avec elle, continua-t-il. Nous aurions un moyen de pression efficace sur elle. Enfin, elle peut en avoir d’autres. Dès qu’elle en aura un, elle se calmera.

— Je doute que ce soit si simple. On ne remplace pas un enfant comme on remplace un vêtement usagé.

— Bien au contraire, elle aura alors trop à perdre. Elle ne fera rien qui risquerait de le séparer de lui.

Dayan regarda la porte par laquelle elle avait été évacuée. Il était dubitatif. Mais après tout, prisonnière, sans armes, totalement isolée de ses alliés, que pouvait-elle faire ?

Deirane fut jetée dans une cellule du harem. Elle ne remarqua même pas le luxe de la pièce, bien différente de sa précédente prison. Laissant exploser sa haine, elle se précipita vers la porte et la frappa de ses poings, hurlant des menaces de mort contre Brun. Finalement, épuisée, en larmes, elle se laissa glisser sur le sol. Elle ne sentait pas les écorchures de ses mains, blessure la plus grave qu’autorisaient ses tatouages. Elle ne sentait pas non plus la froideur du carrelage contre sa peau nue.

Elle ne réagit pas quand la porte s’ouvrit pour que quelqu’un jette sa robe à l’intérieur. Et pas d’avantage quand elle se verrouilla…

… Sur quatre années de captivité.

FIN du livre 2

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