Chapitre 38 - Partie 2

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Le bébé avait souillé sa couche. Elle la mit dans le sac qui lui servait à les ranger puis le déposa dans le couloir devant la porte. Elle savait que l’ensemble lui reviendrait le lendemain, nettoyé, séché et repassé. Puis elle se déshabilla à son tour.

Elle entra dans l’eau avec Hester. Il adorait les bains. Il chahutait, battant l’eau de ses mains, aspergeant tout. Il était heureux. Öta ne tarda pas à les rejoindre. Voyant un nouveau copain arriver, il devint d’autant plus joyeux. Il demanda à rejoindre le jeune homme. Saalyn le lui passa.

— Tu vas le nourrir toi-même ou tu vas le confier à une nourrice ? demanda-t-il.

— Je vais m’en occuper moi-même. C’est pas désagr…

Elle s’interrompit si brutalement qu’Öta releva la tête vers son maître, intrigué par son mutisme soudain.

— Que se passe-t-il ?

— Je viens de penser que quand on retrouvera Deirane, elle ne pourra plus l’allaiter.

— Pourquoi ?

— Parce que ses seins se seront taris. Elle ne peut peut-être plus dès maintenant. Les humaines ne sont pas comme nous. Elles ne peuvent pas avoir des montées de lait à volonté.

— Que fera-t-elle alors ?

— Je pourrais l’aider un moment, mais je ne pourrais jamais rester jusqu’au sevrage.

— Je ne parierais pas là-dessus, répondit Öta. En tout cas, vu l’endroit où nous sommes, tu devrais peut-être le nourrir avant qu’on descende en salle.

— Tu as raison, passe le moi.

Elle prit Hester qui protesta un peu de changer de main. Il s’amusait bien. Mais quand Saalyn lui donna le sein, il se calma.

Cela faisait longtemps que Saalyn ne s’était pas sentie aussi en sécurité. La chaleur, le calme, la présence proche et rassurante d’Öta, Hester accroché à sa poitrine, elle finit par s’endormir.

Quand elle se réveilla, tout était silencieux. Öta s’était occupé du bébé. Il l’avait habillé. Il avait même rangé leurs affaires. La chambre était impeccable, rien ne traînait. Pour le moment, ils dormaient tous les deux sur le lit, Hester sur la poitrine du colosse, ce dernier l’entourant d’un bras protecteur. Le spectacle était attendrissant. Cela la conforta dans sa décision prise concernant sa future maternité.

Elle sortit de l’eau, resta immobile un instant pour s’égoutter. Puis elle sortit, saisit une serviette propre pliée sur une table et se sécha. Elle jeta le pan de tissu humide dans le coin où Öta avait déjà mis celles qu’il avait utilisées. Elle fouilla ensuite dans son sac, sortant ses tenues les unes après les autres, mais aucune ne lui convenait, elle ne savait pas quoi mettre. Toutes celles qu’elle prenait ne lui plaisaient pas. À tout instant, Öta risquait de se réveiller et de la surprendre dans le plus simple appareil.

Elle comprit soudain que c’est ce qu’elle espérait. Qu’il la surprenne. Elle jeta un coup d’œil sur la tenue qu’il avait choisie. C’était une hôtellerie de luxe, sa tenue était en conséquence : pantalon de soie noire, chemise à jabot blanche et gilet noir. Il avait raison. Elle enfila une robe. Simple, en coton rouge, le décolleté carré et s’arrêtant à mi-cuisse. Se regardant dans la glace, elle se trouva belle et sexy. Cela faisait longtemps qu’elle ne s’était pas habillée ainsi. Cela lui fit du bien.

Elle réveilla Öta. En découvrant la tenue de Saalyn, il ouvrit de grands yeux.

— On descend, donne-moi Hester.

Il lui passa le bébé qui protesta un peu, mais il se calma quand Saalyn l’attrapa. Elle le prit dans les bras, le tenant contre son épaule. Puis ils quittèrent la pièce. Öta verrouilla la porte derrière eux. En bas de l’escalier, ils passèrent le porche et entrèrent dans la salle de restauration.

Dès qu’ils entrèrent, un homme fonça vers eux.

— Mais où étiez-vous passés ? Cela fait une demi-douzaine que vous auriez dû arriver ici.

Surprise, Saalyn recula brutalement. Elle reconnut Banerd. L’expression du soldat était quelque part entre la colère et l’inquiétude. Il s’arrêta à quelques doigts d’elle.

— Mais qu’est-il arrivé à votre visage ? Et les mains de votre disciple ?

— Une mauvaise rencontre avec un haut gems.

Banerd blêmit, mais sa voix se radoucit.

— C’est ça qui vous a retardé ?

Il avait l’air vraiment inquiet, remarqua Saalyn.

— Qui vous dit que nous sommes en retard ?

— Vous chevauchez plus vite que nous. Vous auriez dû arriver avant nous, pas après.

— J’aurais pu faire une escale en Oscard où ailleurs ?

— Pas si vous suivez toujours la piste de votre amie.

Saalyn soupira.

— Je l’ai un peu perdue cette piste. Je vais devoir farfouiller en ville pour la retrouver.

Banerd avait suffisamment récupéré ses esprits pour remarquer la tenue de Saalyn. Il la détailla en souriant. Il lui tendit le bras.

— Vous devez avoir faim, dit-il, ça tombe bien, j’ai des places disponibles à ma table.

— Vous êtes un vrai gentleman, lui répondit Saalyn, êtes-vous vraiment un soldat, ou un prince qui voyage incognito ?

Elle posa la main sur le biceps musclé. Il l’entraîna à travers la salle.

— Vous avez raison, je suis le grand inquisiteur de Nayt. Et je voyage au sein d’une compagnie de mercenaires pour rester discret.

Saalyn éclata de rire.

— Eh bien, monsieur le grand inquisiteur, si nous allions manger.

Arrivés à la table pour quatre personnes qu’il occupait, il tira la chaise de Saalyn et l’aida à s’asseoir. Il prit place en face d’elle. Gervan, qui était juste à côté de lui, lui adressa un salut. Mais il se désintéressa de la discussion. Öta repéra des chaises hautes pour bébés dans un coin. Il pensa qu’on pourrait facilement s’habituer à ce genre d’établissement. Il en amena une à leur table. Puis il s’assit à côté de son maître. Saalyn installa Hester.

— Avez-vous mangé récemment ?

— Les deux dernières auberges étaient si sales que j’ai préféré m’abstenir de manger leur nourriture.

— Je connais les auberges d’Oscard. Je vous comprends. Mais ce n’est rien à côté de leurs prisons.

Il claqua des doigts pour attirer l’attention d’un serveur. Il passa rapidement pour prendre la commande.

— Si je vous disais que la piste de votre amie Deirane n’est pas perdue.

— Comment ça ?

— Ça fait quatre jours que je suis ici, sans rien à faire. J’ai farfouillé à droite et gauche.

— Alors ?

— Alors je vais vous le dire dès que nous nous serons mis d’accord.

Saalyn se rencogna dans sa chaise.

— Un marchandage ?

— Un accord plutôt.

— Je n’imaginais pas ça de vous.

Le ton de la guerrière libre était devenu sec.

— Vous vous trompez. Je veux juste vous accompagner dans votre recherche.

— M’accompagner ?

— Dans votre recherche. C’est ça.

— Je travaille toujours seule.

— Dans ce cas.

Il fit un geste des bras pour désigner l’espace autour de lui.

— La ville est à vous.

— Il ne vous a fallu que quatre jours pour retrouver sa trace…

— C’est vrai. Mais moi je suis né ici. J’y ai grandi. Je connais tous les recoins de cette ville. Vous y arriverez, je connais votre réputation. Mais vous aurez du mal. Avec vos cheveux blonds et votre peau pâle, les gens seront méfiants. Rien qu’à cause de ça, beaucoup vous considéreront comme une créature de Deimos. Et quand ils verront vos yeux, ils se fermeront comme des huîtres. Entre temps, votre amie s’éloignera et vous finirez par perdre sa trace.

Elle le dévisagea. Réfléchissant un long moment.

— Pourquoi voulez-vous m’accompagner ?

— Je pense que je pourrais vous être utile. Je suis Naytain je vous rappelle. Je connais ce pays.

— Quoiqu’il arrive, je donne les ordres, vous obéissez, dit Saalyn.

— Cela va de soi, répondit Banerd.

— Je ne dépenserai pas un sou pour vous. Votre chambre, vous la paierez vous-même.

— J’ai des crédits en suffisance.

— Et enfin, je ne fais pas partie des avantages de ce voyage.

— Je ne garantis pas de respecter cette clause.

— Vous savez ce qu’il advint aux hommes qui essaient d’abuser une Helariasen ?

— Qui parle de vous abuser ?

Saalyn s’appuya sur ses coudes, le menton posé sur les mains croisées. Son regard pétillait d’amusement.

— Je n’ai pas le droit d’essayer ? demanda Banerd.

— Si, bien sûr, répondit-elle.

Le silence se fit, électrique. Öta se sentait mal à l’aise. Il essaya d’engager la conversation avec Gervan. Mais le chef mercenaire était laconique. Il ne répondait que par monosyllabes, uniquement intéressé par le contenu de son assiette.

Hester mit fin à l’instant en manifestant bruyamment sa présence. Saalyn se redressa pour s’intéresser à lui.

— Il doit avoir faim, remarqua Banerd.

— Il a déjà mangé, répondit Saalyn, il veut juste que je m’occupe de lui.

Elle le prit dans ses bras pour le câliner un peu. Le bébé attrapa le décolleté de la robe et le tira, trop vite pour que Saalyn, malgré ses réflexes, puisser empêcher qu’une zone de peau délectable ne soit fugitivement exposée aux regards. Le temps qu’elle se rajuste, le soldat ne perdit pas une miette du spectacle. Même Gervan consentit à lever le nez de son ragoût.

Le serveur apporta enfin le repas. Il déposa une assiette fumante devant Saalyn et une autre devant Öta. Il avait même apporté un petit bol de purée de légumes pour Hester.

— Qu’attendez-vous pour me donner mes renseignements ? demanda Saalyn.

— Quels renseignements ?

— Laisse tomber, dit Öta, il est ailleurs.

— Je vois ça, répondit la belle guerrière. La proximité du désert oblige les gens à se couvrir. Ils n’ont pas trop l’habitude de voir des morceaux de peau dénudés.

Banerd se crut obligé de défendre son pays.

— Malgré vos fréquents passages ici, vous ne connaissez pas la Nayt aussi bien que vous le pensez. La proximité du désert nous impose de telles contraintes que dans nos intérieurs nous nous lâchons un peu.

La stoltzin le regardait d’un air amusé.

— Vous vous moquez encore de moi, constata le mercenaire.

— Vous autres les hommes, une robe sexy, une belle femme et votre intelligence s’évapore. Et ça marche pour tous les peuples.

— Une robe très sexy et une femme très belle, corrigea Banerd.

— Alors mon renseignement.

— Ils sont passés à Massil y a dix jours. Ils sont repartis le lendemain pour Tolos.

— Tolos ! Mais que vont-ils faire là-bas ? Il n’y a que du sable et des champs de coton. Les seuls esclaves qu’on y achète sont pour le travail des champs.

— Je me suis fait la même remarque.

— Sans compter que venir jusqu’à Massil, puis revenir sur ses pas pour reprendre la route du désert me semble étrange. Aller directement vers Tolos aurait été plus discret.

— On aurait eu du mal à retrouver leurs traces, confirma Banerd, les recherches se seraient d’abord portées au sud. Peut-être même n’auriez-vous jamais envisagé cette ville.

— Je ne serai jamais allée là-bas, en effet.

Hester était rassasié, elle se rajusta avant de lui faire manger sa purée.

— Je ne compte toujours pas y aller d’ailleurs.

— Pourquoi ? demanda Öta.

— Parce que Tolos est la version naytaine de Karghezo. Une personne suffisamment riche qui veut se créer un harem, ce n’est pas à Tolos qu’elle irait. Personnellement, je m’installerais dans une ville du sud, à l’environnement plus agréable.

— Tolos n’est pas Karghezo, remarqua Banerd, la ville est bien plus belle. Et de la végétation subsiste autour.

— Je l’avoue. Mais j’ai une autre raison pour rejeter Tolos.

— On les aurait croisés en arrivant, répondit Öta à sa place.

Banerd sembla alors remarquer la présence de l’apprenti.

— Il sait réfléchir le petit. Ça fait longtemps qu’il est apprenti ?

— Neuf ans, répondit Saalyn.

— Dans trois ans, il passera guerrier libre.

— Et il s’en ira mener ses propres enquêtes, conclut Saalyn d’un ton triste.

Öta, gêné, préféra ramener la discussion sur l’ancien sujet.

— S’ils ne sont pas repartis vers Tolos, où sont-ils allés ?

— À mon avis, dit Saalyn, ils ont contourné Massil en passant suffisamment loin au nord dans le désert empoisonné. Ce retour en arrière n’est qu’une fausse piste de plus.

— C’est pas mortel de traverser le désert ? demanda Öta

— Avec les bons vêtements et si les chevaux sont sacrifiables, c’est faisable, répondit Banerd.

— C’est à Anbes que nous retrouverons leur piste, ajouta Saalyn. Là-bas, nous saurons s’ils ont continué en direction de Nasïlia ou s’ils se sont enfoncés dans le sud du pays.

— Et vers le nord ?

— Il n’y a rien au nord, répondit Banerd, rien que le désert empoisonné. Les villes et villages sont tous situés comme Tolos sur les rives de l’Onus ou dans les contreforts des montagnes. Tout le reste au nord est mortel. Les seules personnes qui s’y aventurent sont des groupes qui vont récolter le natron sur les rives du lac Amer et ils disposent d’un équipement spécial pour s’y rendre.

— C’est pas gai tout ça, si nous retrouvons leurs traces à Anbes, nous aurons à fouiller un territoire presque aussi grand que l’Yrian.

— Plus grand que l’Yrian, releva Banerd. La Nayt est moins peuplée mais occupe une surface plus grande.

La discussion se prolongea longtemps. Il était très tard quand les deux guerriers libres réintégrèrent leur chambre. Pour la première fois depuis des jours, Saalyn en profita pour faire son rapport à la Résidence. Mais à sa grande surprise, ni Wotan ni Muy ne reconnurent avoir réservé la chambre.

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