Chapitre 21 - Partie 2

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Du menton il désigna la barque. Il alla voir. Elle dormait effectivement, au fond de l’embarcation, enroulée dans la couverture qu’il lui avait donnée. Sans faire exprès, elle avait choisi la meilleure place. Elle avait juste voulu s’isoler des deux malfrats, mais son fragile rempart l’avait isolée du sol froid et l’avait en partie protégée de l’humidité de la nuit.

— On la laisse dormir, dit Jevin, il sera temps de la réveiller quand le bateau arrivera.

— Il s’ra là quand.

— Aujourd’hui ou demain.

Bert rejoignit son chef près de la jeune fille endormie.

— Sacrée belette, dit-il, je la culbuterais bien. Tu crois qu’elle a encore sa cerise ?

— Ça m’étonnerait, elle a un moutard.

Le malfrat empoigna Deirane par le bras et la souleva. Le traitement cavalier la réveilla. Un éclair de panique passa dans ses yeux, mais elle se laissa relever.

— Pas touche, tête de gland, elle est à Brun, ordonna Jevin.

— T’inquiète, je suis pas barjo, répondit Bert.

Puis il s’adressa à Deirane.

— Réveille-toi la belle au bois dormant.

— Tu aurais dû la laisser dormir, remarqua Jevin, au moins elle avait pas ta gueule sous les yeux.

— Tu peux t’soulager au bord de la rivière, continua Bert sans se démonter. Et cherche pas à t’faire la malle. Tes guibolles pourraient jamais te porter assez vite pour m’échapper.

Deirane profita de l’occasion pour s’éloigner de ses deux ravisseurs. Elle alla s’asseoir loin d’eux, au bord du fleuve. La menace de la veille de ne plus revoir son fils semblait lui avoir ôté toute velléité de résistance.

Bert retourna à son cheval pour prendre un sac rangé dans ses fontes et une petite pièce de tissu. Il alla ensuite s’installer à proximité de Deirane, mais suffisamment loin pour ne pas la faire fuir davantage. Il s’assit en tailleur sur la berge. Puis il étala le tissu devant lui et vida dessus le contenu du sac. Il en sortit un percuteur en os, un autre en bois et plusieurs morceaux de silex. L’un d’eux était taillé à un stade assez avancé, mais il le délaissa. Il préféra la multitude de petits éclats qu’il entreprit de façonner en pointes de flèches. Ce n’était pas cher à la vente, mais il pouvait en produire facilement une grande quantité.

Le navire qu’ils attendaient arriva en début d’après-midi. C’était un transporteur, pansu pour recevoir un chargement conséquent. Toutefois, sa voilure, faible par rapport à sa taille indiquait que le temps n’entrait pas en compte dans son activité. Il ne transportait pas de denrées périssables. Celles-ci étaient plutôt réservées aux navires helarieal qui en plus de la vitesse arrivaient à garder leur cargaison bien au sec.

Il battait le pavillon du royaume hanséatique de Shaab. Mais cette nation ne savait pas fabriquer de tels bateaux. Il provenait des chantiers navals de Mustul qui le louait aux marchands de la hanse. C’était en enquêtant sur un acte d’espionnage dans le port qui fabriquait de telles merveilles que Saalyn était tombée dans un piège l’année précédente. Son enquête avait mis Shaab, justement, en cause. De toute évidence, l’Orvbel voulait vraiment cette jeune femme pour affréter un tel navire au lieu d’utiliser sa propre flotte.

En le voyant arriver, Bert rangea ses affaires dans le sac qu’il fixa à sa ceinture, replia la couverture. Puis il prit Deirane par le bras pour l’entraîner sous le pont.

La rive du fleuve n’était pas équipée pour qu’un tel navire accoste. Au lieu de cela, il s’ancra à une distance suffisante pour assurer la sécurité. Une chaloupe fut mise à l’eau et un petit groupe d’hommes débarqua. L’équipage provenait de plusieurs pays. Mais celui qui s’adressa au malfrat était orvbelian.

— Jevin ? demanda-t-il.

— C’est moi, répondit le chef. Vous êtes ?

— Votre commanditaire.

— J’aime bien savoir à qui je m’adresse.

— Ce que vous ne savez pas, vous ne pourrez le dire à personne.

Jevin hocha la tête pour manifester son accord.

— Vous avez le colis ? demanda l’inconnu.

— Vous avez le paiement ?

Deux marins sortirent une petite caisse de la chaloupe. Jevin l’ouvrit. Elle était remplie de pièces de cuivre. Légèrement énervé, il se redressa.

— On avait parlé de quinze pièces d’or, protesta-t-il.

— Nous avons pensé que vous aurez moins de mal à écouler des pièces de cuivre. C’est plus discret. Mais la somme convenue y est.

Jevin estima la quantité de pièces dans le coffre. La somme semblait effectivement y être. Néanmoins, il ne céda pas.

— Je vais d’abord vérifier tout ça. Et si le compte y est vraiment, nous pourrons continuer.

Du pied, le commanditaire referma le coffre, laissant à peine le temps à Jevin de retirer ses doigts pour ne pas se faire pincer.

— Je vous déconseille de jouer avec moi.

— Je vous conseille de me laisser vérifier. À moins que vous ne vouliez qu’elle fasse de ce voyage un enfer.

— Que voulez-vous dire ?

— Je sais des choses dont vous aurez besoin pour la calmer. Si vous jouez au con avec moi, vous vous débrouillerez sans.

— Donnez-les-moi.

— Elles ne font pas partie de la transaction.

Apparemment conciliant, le commanditaire retira son pied. Jevin ne savait pas compter suffisamment pour un tel nombre de pièces. Il les regroupa par petits tas pour les dénombrer. Une pièce d’or correspondait à cinquante pièces de cuivre d'un cel. Au bout d’un calsihon, il avait pu vérifier la somme.

— C’est bon, dit-il, le compte y est.

— Alors qu’avais-tu as me dire ?

— Elle est calme parce qu’elle croit que son fils l’attend à destination.

— Son fils ?

— Vous ignorez qu’elle en avait un ?

— Bien sûr que si, mentit-il.

Ainsi le commanditaire ne savait pas tout.

— Où est-il ?

— Je l’ignore. Mais elle croit qu’il est en Orvbel.

— Ça risque de poser des problèmes à l’arrivée quand elle découvrira qu’il n’y est pas.

— Ça sera à vous de le résoudre. Mais je suppose que là-bas ils savent mater une esclave récalcitrante.

— Il faudrait quand même le retrouver.

— L’enfant ne faisait pas partie du contrat. Si vous le voulez, il faudra casquer.

Le commanditaire réfléchit un moment.

— Non, la fille suffira, dit-il finalement, amène là.

Jevin siffla. Bert sortit de sous le pont, entraînant Deirane par le bras. Elle était effectivement bien docile pour une femme qui venait d’être arrachée à sa famille. Le commanditaire la détailla de la tête aux pieds.

— C’est bien elle, dit-il enfin. Quand Dayan me l’avait décrite, je ne l’avais pas cru. En fait il était loin de la vérité.

— C’est une sacrée belette, confirma Jevin.

Bert poussa Deirane vers son nouveau geôlier.

— Elle est intacte, dit-il, on se l’est pas tirée.

— C’est ce qui était convenu, elle est à Brun maintenant.

Deirane semblait apathique. Mais elle écoutait la discussion entre ces gens. Ces hommes semblaient croire qu’elle ne comprenait pas ce qu’ils disaient parce qu’ils employaient une langue étrangère qui n’était ni l’yriani, ni l’helariamen. Mais dans un salmigondis incompréhensible, elle reconnut quelques mots : Brun, Dayan. C’était des noms. Saalyn les avaient prononcés devant elle quand elle lui avait raconté son histoire il y a quelques mois. Elle allait en Orvbel.

— Embarquez-la, ordonna finalement le commanditaire.

Bert souleva Deirane dans ses bras pour la déposer dans la chaloupe sans qu’elle se mouille, précaution inutile vu l’état de sa robe. Le commanditaire s’en aperçut puisqu’il y alla d’un commentaire, en yriani ce coup-ci.

— Ne t’inquiète pas. Tu vas bientôt pouvoir revêtir une tenue plus en accord avec ton nouveau statut, dit-il, ces haillons ne conviennent pas à une esclave royale. Quant à vous, continua-t-il en orvbelian, votre mission n’est pas terminée. Continuez selon le plan et il y aura encore dix pièces d’or pour vous à Nasïlia dans trois mois.

— C’est ce qui était convenu.

— On est bien d’accord.

Il fit un signe de la main, deux marins poussèrent la chaloupe dans le courant du fleuve pour rejoindre le navire qui devait transporter Deirane vers sa nouvelle vie.

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