Chapitre 20 - Partie 1

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Les draps dans lesquels se réveilla Ternine étaient particulièrement doux. Au cours de ses voyages, il n’avait jamais rencontré une telle texture. Ils n’étaient pourtant pas tissés dans une matière luxueuse. Ce n’était que du simple coton, mais les Helariaseny avaient une manière bien à eux de le préparer. Il était sûr que la technique pourrait facilement être appliquée par les autres contrées. Les pauvres pourraient avoir un peu de confort à moindre frais. Ils ne pouvaient pas payer cher, mais ils étaient si nombreux, il y avait certainement un moyen de s’enrichir pour un homme d’affaire entreprenant.

Hélas, ce ne serait pas lui qui exploiterait ce filon. S’il avait bien compris les intentions de Littold, dans quelques jours il quitterait définitivement le continent d’Ectrasyc. Et il n’y mettrait plus jamais les pieds. En tout cas, pas tant que Brun serait vivant. Si ce n’était pas encore fait, le roi d’Orvbel n’allait pas tarder à mettre sa tête à prix. Il allait regretter certaines choses. Il avait vécu toute sa vie en Ectrasyc. Il n’était même pas allé en Shacand, le continent sud.

Le Shacand était en grande partie inexploré. Et les destructions des feythas se limitaient à la côte nord. Il constituait la nouvelle frontière, d’immense territoires vierges à coloniser. Contrairement à l’Ectrasyc, le continent était tranquille. La seule puissance locale était le Mustul. Et ses dirigeants assuraient l’ordre de façon efficace. Et puis, il y avait de la place, alors qu’en Ectrasyc, pratiquement toutes les zones habitables étaient occupées et toute extension constituait un combat contre une nature dégradée et hostile.

Toutefois, certaines paroles de Littold laissaient penser que ce n’était pas sa destination.

À côté de lui, sa compagne d’une nuit gémit doucement. Il se tourna vers elle. Elle dormait toujours. Elle devait faire un cauchemar. Il descendit les draps jusqu’à la taille. Il hésita un instant avant de la dénuder totalement. Elle était magnifique. Il repoussa les cheveux sur le côté pour lui dégager le dos. Il se régala un moment du spectacle. La veille, il avait remarqué qu’elle avait du mal à plier un genou, séquelle d’un accident qu’elle avait dû avoir très jeune. Mais il n’en voyait aucune trace sur son corps. Avec beaucoup de délicatesse pour ne pas la réveiller, il lui caressa le dos du bout des doigts, descendant le long de l’épine dorsale jusqu’à la chute de reins. Cela sembla la calmer. Un sourire apparu sur ses lèvres.

La veille, il avait été surpris de la confiance que pouvaient accorder une femme à son amant, même pour une nuit. C’était la première fois qu’il ne se comportait pas en maître d’esclave, la première fois, qu’une femme se donnait à lui de son plein gré, sans qu’il l’y oblige. Et la nuit avait été fantastique ; la femme s’était totalement abandonnée entre ses bras. Il n’avait qu’un seul regret : ce n’était pas Littold.

L’attitude de la stoltzin quand il l’avait rencontrée lui avait pourtant fait croire qu’il y avait quelque chose entre eux. Mais il s’était trompé. Il se rendait compte qu’il avait interprété les réactions d’une stoltzin d’Helaria de la même façon que pour une humaine d’Orvbel ou d’Yrian. Or tout les différenciaient. Il avait commis l’erreur de jugement la plus monumentale de sa vie. Heureusement, il y avait des humaines en Helaria. Et bien qu’il ait eu plus de difficultés que quand il travaillait pour Brun et qu’il avait libre accès aux concubines de second rang du harem, il avait réussi à se trouver une compagne pour la nuit.

Instinctivement, il ne put s’empêcher de comparer les deux femmes. Comme la plupart des Helariaseny, elle était belle, mais d’un style différent de la stoltzin. Elle avait un corps ferme et mince. Sa musculature fine se dessinait joliment sous une peau mate. Une fois de plus, il se demanda dans quelle mesure le mode de vie de la Pentarchie en était responsable.

En caressant la peau douce et sans défaut, il se remémora leur rencontre. Pour lui, c’était presque comme lorsqu’il avait perdu sa virginité. Il s’était révélé maladroit dans ses tentatives. Et bizarrement, c’est cela qui avait fait la différence. Ça l’avait fait rire. Ça et le fait qu’elle l’ait trouvé exotique.

Et la nuit qui avait suivi avait été incroyable. Ses précédentes compagnes d’une nuit étaient impeccables techniquement. Elles avaient été éduquées dans l’art de la sensualité, elles étaient expertes dans le domaine de la sexualité. Mais elles accomplissaient cette activité comme un devoir. Il n’y avait pas de passion. À l’inverse, la femme allongée à côté de lui n’avait pas appris toutes ces techniques. Pourtant elle lui avait donné du plaisir comme aucune ne l’avait fait jusqu’à aujourd’hui.

Les volets qui obturaient la fenêtre furent ébranlés par une rafale. Instinctivement, la jeune femme vint se blottir contre lui dans son sommeil. Elle était chaude. Il se demanda quel effet cela ferait de tenir Calen dans ses bras. Deux jours plus tôt, la belle bibliothécaire était passé à la Résidence pour dîner avec Littold. Les deux stoltzint étaient amies d’enfance. Elle avait passé la nuit sur place. Et le lendemain, il avait eu la joie de la voir se baigner avec les dauphins. Elle se guidait sur leurs cris pour s’orienter. Il y avait aussi un vieux soldat sur la plage qui la surveillait, prêt à intervenir en cas de problèmes. L’aveugle était incroyablement belle. Sa partenaire ne lui arrivait pas à la cheville. Mais elle était inaccessible, tout comme Littold. Et puis, c’était une stoltzin.

Au loin il entendit un crieur public, ou un marchand ambulant, faire une annonce. Il fut bientôt relayé par un autre beaucoup plus proche. Cela le réveilla totalement. Un marchand ambulant dans la résidence !

La porte de la chambre s’ouvrit. Littold entra. Elle ne semblait pas affolée. Cela le rassura. Quoiqu’il se passe, ce n’était pas anormal.

— Bonjour, dit-elle simplement.

Elle jeta un bref coup d’œil à la femme nue allongée à moitié sur lui.

— C’est donc là qu’elle s’est réfugiée cette fois-ci, remarqua-t-elle simplement.

Elle s’assit sur le lit, juste à côté de lui, veillant à ne pas réveiller la belle endormie.

— Nous partirons dans une douzaine, dit-elle. Je pense que je n’ai pas besoin de vous demander ce que vous allez faire pendant tout ce temps.

Il désigna sa compagne du menton.

— Elle va partir, la détrompa Ternine, elle va devoir aller travailler.

— Pas aujourd’hui, c’est son jour de repos. Elle l’a largement mérité. Et pas pendant les trois prochains jours non plus.

— Pourquoi ?

— Parce qu’une apicultrice ne va pas avoir beaucoup d’activité ces jours prochains. Par contre après, je doute qu’elle dorme beaucoup.

Ternine se dégagea doucement de l’étreinte. Puis il se redressa.

— Je ne comprends rien à ce que vous racontez.

— Je vois ça. Écoutez.

Il tendit l’oreille.

— Le crieur ? demanda-t-il.

Elle hocha la tête pour confirmer.

— Que raconte-t-il ?

— Une tempête. Elle sera sur nous dans moins d’un monsihon. Il demande aux habitants de se mettre à l’abri et de verrouiller les ouvertures.

— Une tempête ?

— Vous saviez que l’Helaria était dans une zone de cyclones.

— Je suis au courant, mais je croyais qu’ils survenaient plus tard dans la saison.

— Normalement, elles arrivent deux saisons plus tard. Sauf que depuis la guerre contre les feythas et qu’il fait si chaud, il en arrive toute l’année, même si cela reste exceptionnel.

— Maintenant je comprends pourquoi tout le monde s’agitait hier soir.

— Il fallait se préparer à la recevoir.

— Et comment savez-vous qu’une tempête arrive ?

— Les tempêtes se déplacent d’est en ouest. Il leur faut deux jours pour traverser l’archipel. La Griffe nous l’a signalé il y a deux jours.

— Violente ?

— Non, c’est une simple tempête tropicale. On pourra à peine moudre qu’une partie du grain en stock. On aurait bien besoin d’une petite force deux ou trois.

Ternine croyait avoir mal compris. Aussi il demanda des précisions.

— Vous vous servez des tempêtes pour moudre le grain. ?

— Et pour bien d’autres choses. Une seule tempête fournit autant de travail qu’une année entière de vent.

Il avait donc bien compris la première fois.

— C’est la première fois que j’entends dire qu’une tempête peut servir à quelque chose.

— En Orvbel, vous considérez la nature comme une ennemie. Nous, nous essayons de tirer le meilleur parti de ce dont nous disposons.

Ternine comprenait mieux certains équipements qu’il avait vu dans la ville d’Imoteiv telle que les zones d’habitation nettement au-dessus de l’eau ou les quais élevés, mais aussi la série de portes étanches qui pouvaient obturer l’accès à la ville. Il savait aussi, ou croyait savoir, comment faisaient les Helariaseny pour éviter que leurs cavernes sentent le renfermé, il suffisait de les aérer pendant les tempêtes. Cela expliquait les bouches d’aération secondaires qui doublaient le réseau principal, totalement inefficaces par temps calme mais devaient permettre de renouveler l’air en cas de vents violents tout en évitant les courants d’air qui auraient pu indisposer les habitants.

— Puisque je suis bloqué ici pendant trois jours, quel est mon programme ?

— Déjà vous occuper d’Elda.

De la main elle désigna la femme allongée à moitié sur lui. Il se rendit compte que jusqu’à présent, il ignorait son nom.

— Vous avez l’air de bien la connaître ? C’est une amie ?

— Je la connais de vue, sans plus. Mais personne n’a oublié la gamine qui s’est retrouvée enfermée à l’extérieur pendant un cyclone.

— Ah. Elle a dû passer un mauvais moment.

— Je vous déconseille de lui demander. Depuis elle a peur des tempêtes.

Voilà qui expliquait son cauchemar de la nuit. Et peut-être aussi comment il avait pu la ramener chez lui si facilement. Et l’origine de son handicap. Il posa la question à Littold.

— Elle est restée deux jours la jambe coincée sous un arbre. Quand on l’a retrouvée, juste après, la tempête, elle vivait tout juste. Elle est restée plusieurs douzaines entre la vie et la mort. Sa jambe n’a pas été soignée comme elle aurait dû. Elle n’a jamais guéri totalement.

— C’est une miraculée en somme.

— C’est une survivante. Elle s’est battue pour ne pas mourir. Aussi, amuse-toi avec elle. Mais ne lui fais pas de mal.

— Sinon vous me tueriez ?

Littold manifesta son agacement d’un geste de la main.

— Travailler pour l’Orvbel vous a vraiment déformé l’esprit. Si vous devez devenir Helariasen, vous allez devoir apprendre vous comporter comme tel.

— Parce qu’il n’y a pas de personnes méprisables en Helaria ?

— Comme partout. Le moins possible j’espère.

Elle jeta un dernier coup d’œil sur le corps dénudé de la jeune humaine. Elle lui fit une brève caresse dans le dos que Ternine se garda bien de juger. Les Helariaseny n’étaient pas les Orvbelians. Et les stoltzt n’étaient pas des humains. Ils avaient des habitudes et des modes de pensée totalement différents. Il y avait beaucoup de points communs, sinon les deux peuples ne pourraient pas cohabiter. Mais les différences étaient nombreuses. La stoltzin se leva et se dirigea vers la porte.

— Je vous conseille d’aller au poste d’observation du volcan si vous voulez assister à un spectacle unique, dit-elle avant de sortir, mais n’amène pas Elda.

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