Chapitre 17 - Partie 1

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Le voyage de Saalyn et de Öta touchait à sa fin. Ils avaient pénétré dans la forêt qui couvrait le pied du plateau d’Yrian, un bref vestige de ce qu’était leur monde avant l’arrivée des envahisseurs. Depuis qu’ils avaient quitté la route principale qui reliait Karghezo à Sernos, ils ne rencontraient plus personne.

— Quelqu’un fait du feu, remarqua Öta.

Saalyn fut brusquement tirée de ses pensées. Elle huma l’air. Il avait raison, une légère odeur de fumée emplissait l’air. Mais elle venait d’assez loin pour ne pas les inquiéter.

— Nous ne risquons pas d’être pris dans un incendie de forêt. C’est certainement des paysans qui doivent défricher un champ. Ils utilisent souvent cette technique pour se débarrasser des mauvaises herbes. Ça permet aussi d’amender le sol avec les cendres.

— En résumé, ils pratiquent la culture sur brûlis.

Saalyn, qui ignorait le nom de la technique, fut un instant déconcertée par la répartie de son apprenti. Mais elle se reprit vite et lui adressa un sourire éclatant. Il était rare que les connaissances d’Öta soient supérieures à celles de sa maîtresse. Il n’en était pas peu fier.

Ils continuèrent leur voyage. Ils allaient lentement, Saalyn ne connaissait pas la route, elle devait se guider aux repères que lui avait donné Dresil, quelques mois plus tôt à l’ambassade. Certains n’étaient pas facile à trouver. Mais ils semblaient progresser dans la bonne direction. En tout cas, ils s’enfonçaient dans les contreforts du plateau.

Ils arrivèrent enfin au petit ruisseau qui courait sous les bois. Ils n’étaient plus qu’à une longe de leur destination. La progression devint sensiblement plus rapide sur cette voie qui reliait les exploitations de la forêt à la capitale de la province.

Öta leva le doigt et montra quelque chose aux dessus des arbres.

— Et ça c’est normal ? demanda-t-il.

Elle regarda la colonne de fumée noire, épaisse qui s’élevait en volutes lourdes.

— Ça ne ressemble pas à un brûlot. Et encore moins à un feu de cheminée.

— Si c’était pour fumer de la viande, on sentirait l’odeur.

— Je pars devant, s’écria Saalyn, rejoins-moi avec les bagages.

Elle lança son cheval au galop. En quelques stersihons, elle atteignit le petit pont de bois que lui avait décrit le paysan et le traversa.

Elle entra dans l’exploitation de Dresil. La maison était bien là, en feu. Des flammes hautes consumaient les murs et le toit en crépitant. Des volutes épaisses et noires s’élevaient dans le ciel, si lourdes que la légère brise ne parvenaient pas à la disperser. Des escarbilles enflammées fusaient dans tous les sens.

Saalyn resta figée un moment devant le spectacle, comme un animal surpris par un prédateur. Ce fut le hurlement de terreur des animaux qui la ramena au réel. La grange était intacte, mais elle ne le resterait pas longtemps. Elle descendit de sa monture et la chassa d’une tape sur la croupe. Elle ne demandait pas mieux. Effrayée par le brasier, elle retraversa le pont pour se mettre à l’abri au-delà du cours d’eau.

Saalyn alla ouvrir la porte de la grange pour libérer les animaux qui s’enfuirent. Puis elle retourna vers la maison, aussi près que la chaleur le permettait.

— Deirane ! hurla-t-elle.

N’obtenant pas de réponse, elle fit le tour du bâtiment pour voir s’il y avait un moyen d’y entrer. Mais la seule porte était devant. Elle retourna dans la cour, impuissante, appelant son amie, en vain. Elle se laissa tomber à genoux et se mit à pleurer.

Öta ne tarda pas à la rejoindre. Il avait attaché les animaux à un arbre sur la route et avait continué à pied. Il secoua Saalyn pour lui ramener ses esprits. Elle se releva pour chercher refuge entre les bras de son apprenti.

— Il faut éteindre l’incendie, dit-il, il y a des seaux quelque-part ?

— Peut-être dans la grange, répondit Saalyn.

Elle semblait reprendre le contrôle de ses nerfs. Öta alla visiter le bâtiment maintenant désert. La guerrière ne s’était pas trompée, il revint avec une collection de seaux. Il en donna deux à Saalyn et en garda deux pour lui.

L’eau qu’ils versaient sur l’incendie ne semblait pas avoir d’effet sur les flammes. Elles sifflaient quand le liquide les submergeaient puis elles repartaient de plus belle. Au troisième voyage vers la rivière, Saalyn se retrouva nez-à-nez avec une fourche. Et au bout de la fourche, un paysan. Un colosse à la tignasse blonde.

— Qu’avez-vous fait à Dresil ? demanda-t-il en yriani.

— Je n’ai rien fait, j’ignore où il se trouve ?

— Pourquoi avez-vous mis le feu alors ?

— Ce n’est pas moi.

Öta, de retour avec les seaux pleins, intervint.

— Guerriers libres, dit-il.

Il montra son bracelet d’identification. Le paysan ne savait certainement pas le lire. Mais il reconnaîtrait son origine. Ce dernier relâcha légèrement la prise sur son arme, mais ne l’abaissa pas pour autant. Le jeune stoltzen l’avait impressionné. Il le dépassait par la taille et la carrure, alors que lui-même était déjà imposant.

— Si vous êtes des guerriers libres, prouvez-le.

— Mon insigne est dans les fontes de mon cheval, répondit Saalyn, de l’autre côté de la rivière.

Il hésita un instant.

— D’accord, dit-il enfin en abaissant les pointes de son outil vers le sol. Vous êtes vraiment des guerriers libres. Vous êtes venus rapidement.

— Nous étions de passage et nous avons vu l’incendie, dit Öta.

— Une chance que vous soyez venu ici.

— Pas vraiment, intervint Saalyn, nous venions voir Dresil.

Un autre paysan les rejoignit, essoufflé d’avoir couru. Il regarda les flammes, puis les trois personnes qui se tenaient dans la cour. Ils ne tardèrent pas à être rejoint par une multitude de personnes qui arrivait de toutes les fermes des environs.

Aussitôt, la chaîne s’organisa entre la rivière et la maison. Avec huit paires de bras et les seaux d’eau qui arrivaient rapidement, les flammes commencèrent à décroître. L’arrivée de quelques personnes supplémentaires accéléra l’extinction de l’incendie. Il leur fallut presque un monsihon pour en venir à bout. Mais il finit par s’éteindre, autant sous l’action de l’eau que par manque de combustible.

Saalyn regarda les ruines, les poteaux massifs qui servaient de charpente et la solide table de chêne n’avaient pas été totalement consumés. Mais les murs, construits en planches, avaient disparu. Deux petites pièces attenantes, en bois encore vert avait également mal brûlé. Dans un coin, ce qui restait de la cuisinière en pierre gisait, éclaté en deux morceaux.

Saalyn entra dans les cendres brûlantes. Elle observait attentivement tout autour d’elle. La professionnelle avait repris le dessus. Elle cherchait des indices, comment l’incendie avait démarré et où étaient passés les occupants. Un homme qui parlait attira son attention. Elle leva la tête pour voir. Il s’adressait à une jeune femme mince au corps souple comme une liane avec de longs cheveux noirs.

— Je rentre, disait-il, nous reviendrons t’aider pour toute remettre en ordre.

La jeune femme ne répondit pas. Elle semblait comme assommée. Le colosse blond qui les avait accueillis au début la tenait par les épaules. Non, le colosse elle l’avait vu de l’autre côté… Saalyn se retourna. Des jumeaux. Elle ne savait pas qui était cette femme, mais comme tout le monde lui manifestait de la compassion, elle devait être une proche de Dresil. Elle savait qu’il avait une sœur aînée, il devait s’agir d’elle.

La guerrière laissa le soin à son compagnon d’examiner les cendres et de noyer les endroits qui présentaient un risque. Elle se dirigea vers la jeune femme. À l’arrivée de la stoltzin, elle leva les yeux.

— Que s’est-il passé ? demanda Nëppë.

— C’est la question que j’allais vous poser.

— Je ne sais pas. Je…

Troublée par les événements, elle n’arrivait pas à trouver ses mots. Elle lui poserait des questions plus tard. Elle remarqua un jeune homme qui la regardait avec des yeux grands ouverts sous l’effet de la surprise. Elle le rejoignit.

— Vous êtes Saalyn, parvint-il à dire.

— Maître Saalyn de Hylsin et Larsen de la corporation des guerriers libres d’Helaria. Et vous ?

— Vorsu. J’habite à une longe d’ici.

— Vous n’avez rien remarqué ces derniers jours ?

— Il y avait beaucoup de passage. Mais ce n’est pas inhabituel en cette saison.

— Des négociants ?

Il hocha la tête. Lui aussi semblait sonné.

Öta interpella Saalyn. Elle se retourna. Il était au milieu des ruines, devant un morceau du toit qui s’était effondré. Il lui fit signe de la rejoindre. Elle laissa là le jeune paysan pour voir ce qu’il avait découvert. Il lui désigna quelque chose qui dépassait de sous le bois, gravement brûlé. Elle reconnut les restes d’un pied humain.

— Il y a quelqu’un là-dessous, dit Öta.

— Aide-moi à le dégager.

— Laisse-moi faire, j’ai des gants.

Elle s’écarta le laissant soulever les planches et les mettre à l’écart. La force du colosse se révélait ici bien utile. Bien qu’athlétique, Saalyn aurait jamais pu déblayer ça toute seule. Leur activité attira l’attention des quelques personnes qui étaient restées. Nëppë et son compagnon s’approchèrent. Saalyn les empêcha de venir trop près. Elle regarda Surlo dans les yeux, accompagné d’un geste pour essayer de lui faire comprendre qu’il valait mieux qu’il ne reste pas. Mais il ne comprit pas.

En quelques stersihons, l’apprenti avait dégagé le corps. C’est bien un être humain, brûlé au point d’être méconnaissable. En le voyant, Nëppë poussa un hurlement. Elle se réfugia contre la poitrine de Surlo.

— Emmenez-la ailleurs, ordonna Saalyn.

Son compagnon l’entraîna à l’écart. Son jumeau le rejoignit. À deux ils tentèrent de la réconforter.

Saalyn s’accroupit près du corps pour mieux l’examiner.

— Tu crois que c’est un accident ? demanda Öta.

Pour toute réponse, elle lui désigna les mains du cadavre, jointes dans le dos. Le jeune apprenti ne comprit pas ce qu’il fallait voir.

— La position n’est pas bonne, expliqua-t-elle. Quand on est sous un bâtiment qui s’effondre, on tente de se protéger de ses bras. On ne les met pas dans le dos en attendant calmement de se faire ensevelir.

— Pourquoi ne s’est-il pas protégé ?

— Quelque chose l’en a empêché. Il était peut-être inconscient. Ou alors il était attaché.

— Je ne vois pas de traces de cordes.

— Si elle était en silt, c’est normal. Elle a brûlé.

Elle porta son attention sur la tête.

— Ça c’est intéressant, dit-elle.

— Quoi donc ?

— Quelque chose lui a défoncé le crane.

— Les poutres du toit en lui tombant dessus ?

Elle lui montra l’endroit où l’os avait été brisé.

— C’est trop rond, dit-elle. Une poutre aurait laissé une trace plus allongée. Ça ressemble plus à une boule. Peut-être une masse d’arme.

— Grave ?

— Il était certainement déjà mort quand le toit s’est effondré.

Elle se releva.

— C’est Deirane ? demanda Öta.

— Non, ce cadavre est celui d’un homme. Et puis, il est trop grand. Deirane est toute petite.

Elle rejoignit la jeune femme. Tous ses amis l’entouraient, ils la soutenaient moralement aussi bien que physiquement. Elle semblait à peine tenir debout.

— J’aurai quelques questions, commença Saalyn, vous pensez pouvoir répondre ? Vous préférez peut-être plus tard ?

Elle hocha la tête.

— C’est bon, dit-elle.

— Y avait-il quelque chose de valeur qui aurait pu attirer des voleurs ?

— Vous pensez que ça n’est pas un accident ? demanda l’un des jumeaux.

— J’en suis sûre.

— C’est Dresil ?

La guerrière ne voyait pas qui d’autre pouvait avoir été tué ici. Mais elle préféra biaiser.

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