Chapitre 13 - Partie 2

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— Je vais le signaler aux autorités pour qu’ils vérifient.

— Je l’ai mis dans mon rapport. Ils sont en train de contrôler tous les lingots.

— Le rapport que j’ai reçu était très incomplet. Tu n’en aurais pas une copie ?

— Je t’en passerai une, répondit la guerrière libre.

Wotan alla s’asseoir sur le lit. Il réfléchissait à voix haute.

— C’était une opération bien montée, l’or, si j’ai bien compris le rôle de cet entrepôt, n’est stocké ici qu’à titre transitoire. Ils auraient donc pu voler beaucoup plus que sa capacité puisque les lingots de plomb sont continuellement remplacés par de l’or fraîchement arrivé. Ça aurait pu durer jusqu’à ce que quelqu’un fonde un lingot pour frapper des pièces ou faire des bijoux et découvre la supercherie. Le cerveau qui a conçu ça est extraordinaire. À mon avis, on entendra parler de lui à l’avenir.

— Je pense aussi. Il s’agit d’un individu surnommé Le Poing.

— Le Poing ?

— Le Poing, confirma Saalyn. Il opérait jusqu’alors sur la Grande Route de l’Est. Quelques larcins sans importance. Jusqu’à présent il n’avait jamais travaillé en Yrian.

— On dirait qu’il est passé à la vitesse supérieure.

Wotan se leva comme un ressort et rejoignit la guerrière libre en quelques pas.

— Un simple vol aurait été sévèrement jugé par l’Yrian, dit-elle. Mais ça, c’est de nature à déstabiliser l’économie du royaume. Le roi va faire un exemple.

Wotan leva la main pour interrompre la guerrière libre. Il pesa ses mots avant de reprendre la parole.

— Saalyn, tu te doutes bien que je ne suis pas venu en personne rien que pour écouter ton rapport.

— Ah, dit simplement Saalyn.

Elle était inquiète tout d’un coup.

— Avec un autre guerrier libre, Muy serait venue. Mais vu les liens qui nous unissent, ça ne pouvait être que moi.

— Je n’aime pas quand tu parles comme ça, on dirait que tu as un reproche à me faire.

— En quelque sorte oui. Saalyn, tu n’es pas prête à reprendre ton travail.

— Mais pourquoi ? J’ai réussi, même si j’ai traîné un peu en route.

— Ce n’est pas l’enquête que je mets en cause. Ce sont tes réactions.

Saalyn se referma sur elle-même.

— Tu as massacré un type.

— Quand j’ai vu ce qu’ils avaient infligé à cette jeune femme, ça m’a mise en colère.

— Alors rappelle-moi de ne jamais te mettre en colère.

Wotan n’avait pas tort. Elle était allée plus loin qu’un simple geste de colère. Elle avait carrément eu une crise de folie.

— Ce n’était pas de la colère, continua le pentarque. Tu as continué à le frapper alors qu’il était déjà mort. Il a fallu qu’Öta t’immobilise pour que tu arrêtes. Tu n’es plus en mesure d’exercer ton travail. Tu dois t’arrêter.

Saalyn sentit le sol s’effondrer sous ses pieds.

— Tu me vires ? Je ne fais plus partie de la corporation ?

— Non bien sûr. Tu es toujours guerrier libre. Seule ton archonte a le pouvoir de t’expulser. Et comme tu peux le voir, elle n’est pas ici.

— Alors que veux-tu dire par arrêter ?

— Tu dois prendre des vacances, te changer l’esprit, retrouver ton calme, avant de reprendre des enquêtes.

— Ça fait presque un an que je me repose.

— Non, tu ne t’es pas reposée. Tu t’es soignée. Puis tu t’es cachée. Tu n’es quasiment pas sortie de l’ambassade pendant onze mois. Tu es restée dans un environnement militaire. Ce n’est pas des vacances. Je parle de changer d’ambiance. D’aller dans un endroit dépaysant qui te changera la tête où tu pourras oublier tous tes soucis.

— J’ai visité tout Ectrasyc et une bonne partie du Shacand. Où pourrais-je aller qui serait dépaysant pour moi ?

— Ah bon ! Tu as déjà visité une exploitation de beurrier ?

La blonde guerrière eut un mouvement de surprise.

— Tes rapports sont plus complets que tu ne l’avoues, remarqua-t-elle.

— L’ambassade est territoire helarieal. Les rapports ne sont pas filtrés par le gouvernement yriani. Et oui, on m’a parlé de ton amie. Il faut dire qu’elle a de quoi attirer l’attention. Toutes mes sources n’ont pas manqué de mentionner sa particularité. Et puis, une personne capable de se lier avec toi et avec Calen à la fois mérite de recevoir tout mon intérêt.

Saalyn s’écarta de Wotan.

— Tu me proposes de me retirer quelque temps dans une ferme ?

— Si jamais tu t’ennuies trop, Karghezo est une ville avec un fort taux de petite délinquance, mais qui ne connaît pas le grand banditisme. Tu pourras exercer tes talents sur des affaires qui ne risquent pas de te mettre en colère. Quand tu auras retrouvé ta sérénité, tu pourras retourner à Sernos.

— Je vois que tu as bien réfléchi au problème.

— C’est mon métier. C’est pour réfléchir à ce genre de chose que le peuple d’Helaria m’entretient.

— Je n’avais pas envisagé la fonction de pentarque de cette façon.

— J’ai un peu simplifié.

Il se dirigea vers la tablette où il avait posé ses affaires en entrant.

— Le sermon c’est fini. Passons aux choses plus agréables.

Le pentarque ouvrit la sacoche. Il en sortit une petite boite de la taille d’une main. Saalyn la montra du doigt.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle. Un cadeau ?

— Oui et non, répondit-il. C’est pour toi, mais ce n’est pas vraiment un cadeau puisque c’est destiné à t’aider dans ton travail.

Il lui tendit l’objet.

— Calen me l’a montré il y a quelques jours et je me suis dit que ça pourrait te servir.

— C’est la dernière invention de la bibliothèque de Jimip ?

— Non, ça vient de Frovreikia.

Elle regarda son pentarque, surprise. Elle essayait de saisir les implications de cette nouvelle pour la Pentarchie.

— Oui, dit Wotan, la recherche sort de la Bibliothèque. C’est une bonne chose. Faire dépendre toute notre technologie d’un seul centre était un peu risqué. Et c’était surtout un frein à notre progression.

— Si on retire les freins à notre progression, jusqu’où allons-nous aller. Jusqu’aux lunes.

Wotan rigola.

— Laisse au moins dix ans à Calen pour ça.

Elle examina le coffre. Légèrement plus grand que la main – elle pouvait à peine le tenir malgré les doigts écartés – il ne différait en rien des prototypes que lui avait confiés la Bibliothèque au cours de ces années. En bois verni, il n’était pas précieux, mais l’artisan avait soigné le travail. Aucune pièce de métal n’entrait dans sa composition. La charnière était constituée d’une bande de cuir collée sur un long coté. Sa fermeture était assurée par deux picots de bois entourés d’un fil de silt. Dans un coin, le logo de la Bibliothèque avait été gravé.

Saalyn l’ouvrit. Sur un écrin de tissu, reposait un disque de verre transparent légèrement bombé, cerclé de bois avec un manche gainé de cuir pour le tenir. Elle le prit et l’examina.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle.

— Calen appelle ça une loupe. Ça sert à grossir les choses que tu regardes. Tu peux voir des détails que tu ne vois normalement pas.

Suivant les indications du pentarque elle examina le dos de sa main, découvrant la multitude de petites écailles qui lui couvraient la peau.

— C’est incroyable, dit-elle.

— Je savais que ça te plairait. Le verre est de fabrication bawck.

— Comme d’habitude.

— Mais c’est un humain qui a imaginé comment le bomber, continua Wotan sans se démonter.

— On peut grossir plus ?

— On doit pouvoir. La Bibliothèque travaille déjà sur une amélioration destinée aux marins pour voir loin.

L’objet remplissait de joie la belle guerrière. Elle allait avoir la responsabilité de l’évaluer. Et si son rapport se révélait bénéfique, il équiperait tous les guerriers libres. Nombre d’innovations étaient passées entre ses mains au cours des années. Mais surtout, plus que les affirmations du pentarque, sa possession prouvait que sa carrière était loin d’être terminée.

Pendant qu’elle admirait la loupe, examinant tous les objets, Wotan se dirigea vers le fauteuil pour s’asseoir. Saalyn remarqua qu’il boitait.

— Tu es blessé ? demanda-t-elle.

— Un accident, je suis tombé.

Saalyn éprouva un bref accès de panique. Elle n’avait jamais envisagé que Wotan puisse vieillir. Aussi loin que remontaient ses souvenirs, il avait toujours été là. Le calme revint rapidement. Elle était restée trop longtemps au milieu des humains. Les stoltzt ne vieillissaient pas comme eux, lentement, progressivement, avec leur corps se dégradant petit à petit. À la place, ils restaient en pleine possession de leurs moyens, sans aucun des stigmates de l’âge, presque jusqu’à la fin, puis vieillissaient brutalement en une ou deux douzaines d’années. Wotan et ses sœurs n’avaient pas atteint cette phase, bien qu’ils aient vécu trois fois plus longtemps que tout autre stoltzt. D’ailleurs certains se demandaient s’ils mourraient un jour où s’ils étaient comme les gems, vivant à jamais si on ne les tuait pas. Rassurée, elle reprit son amusement.

Le pentarque l’observait, amusé. S’il n’avait rien d’un vieillard, Saalyn par contre, avait tout d’une petite fille découvrant un nouveau jouet. La voir ainsi le réjouissait.

Son tour de la pièce terminé, elle vint s’installer sur les genoux de Wotan, observant dans le moindre détail son nouvel outil. Wotan se remémora la première fois qu’elle avait fait ça. Elle n’avait que six ans. Elle ignorait qui il était. Et quand elle avait enfin compris son rang et son rôle, il était trop tard, le lien était créé. Il durait depuis presque cinq siècles. À l’époque, rien ne laissait prévoir qu’elle deviendrait cette guerrière à l’efficacité redoutable. Mais Calen elle-même, quand elle était l’adolescente, personne ne pouvait deviner que cette imbécile égoïste et imbue de sa personne deviendrait cette bibliothécaire qui changerait le destin de l’Helaria. Ou même qu’un gamin un peu timoré serait à l’origine de l’un des plus puissants royaumes du monde. Saalyn n’avait jamais été égoïste et imbécile, ni timorée. Mais à sa façon, elle avait façonné la Pentarchie. Pour beaucoup de monde, l’Helaria n’était qu’un pays lointain, exotique, qui en faisait rêver beaucoup et en horrifiait plus encore. Le seul contact qu’ils avaient avec elle n’était que les guerriers libres. Et la légende qui les entourait, c’est Saalyn qui l’avait forgée.

Elle posa la tête sur l’épaule de Wotan.

— Tu crois que je parviendrai à oublier un jour ? demanda-t-elle.

— Vespef y bien est arrivée, répondit Wotan.

— Il a fallu du temps.

— Voir la tête de son violeur séparée de son corps l’a beaucoup aidée.

— Avec la dynastie actuelle de l’Orvbel, ça devrait être plus dur.

— Pourquoi ? demanda Wotan

— C’est le dirigeant d’un État souverain.

— Et on n’a pas le droit de traiter un meurtrier comme tel à partir du moment où il dirige un État ?

Saalyn regarda Wotan dans les yeux, l’air interrogatif.

— Tu prépares quelque chose, conclut-elle.

— Il y a presque un an, je t’ai promis ta vengeance. Je n’ai pas oublié. Les premiers effets ne devraient pas tarder à se faire sentir.

— Je suis curieuse de savoir ce que tu as préparé.

— Ouvre grand les oreilles dans les prochains mois.

Elle se releva et traversa la chambre. Elle était soudain intéressée.

— Tu ne peux pas m’en dire plus ?

— Non, car je sais ce qui se prépare dans les grandes lignes. Mais dans les détails, ça dépendra de l’efficacité de tes collègues. Et de Wuq.

Elle réfléchit un instant, recoupant tout ce qu’elle savait de l’Orvbel avec les miettes que lui avait données Wotan.

— Tu vas interrompre le commerce d’esclave, laissa-t-elle enfin tomber.

— Tu as toujours été très intelligente, remarqua Wotan. En effet, je vais démonter toute l’organisation de trafic d’esclave de l’Orvbel. C’est la raison de mon voyage à Sernos.

— Mais ça ne me livrera pas Brun pour autant.

— Si on prive l’Orvbel de sa principale source de revenu, combien de temps restera-t-il sur le trône ? Tous ses conseillers lui reprochent de s’être attaqué aux guerriers libres, et par là à la Pentarchie par son agression contre toi. Le fait d’être interdit de commerce avec nous chagrine plus d’un commerçant Orvbelsen. Si on mène une guerre économique contre ce royaume, ils nous livreront Brun eux-mêmes en échange d’une reprise des relations.

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