Chapitre 11 - Partie 2

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Avec le départ de Stranis, Saalyn avait réussi à se reprendre. Elle joua à la perfection le rôle de l’ingénue qui comprenait soudain ce qui s’était passé. Elle devint très pâle, s’amollit sous le bras de son compagnon comme si elle se sentait mal. Puis elle dégagea son bras, qu’il n’avait pas lâché depuis qu’ils étaient entrés dans la pièce, et se dirigea rapidement vers la fenêtre. L’homme la rattrapa.

— Eh, tu fais quoi là ?

— Je crois que je vais vomir.

Effectivement, elle semblait avoir des hauts le cœur. Il la libéra, ne voulant pas être éclaboussé. Elle fonça vers la fenêtre, elle l’ouvrit et se pencha au-dehors. Les malfrats affichaient un air rigolard sur leur visage. Il croyait savoir que celle-là avait compris comment elle allait finir la nuit. La perspective de la mort prochaine pouvait avoir des effets opposés sur les prostituées qu’ils ramenaient. Certaines, paralysées par la terreur étaient incapables de remplir leur office. D’autres au contraire se surpassaient, espérant ainsi attirer leur clémence. Ils allaient voir l’effet que ça allait avoir sur elle.

Quand elle se releva, son attitude avait changé. Elle n’avait plus l’air effrayé qu’elle arborait quelques instants plus tôt. Au contraire, elle semblait sûre d’elle. Et surtout, elle avait une arme – une longue épée en bronze – à la main. Où l’avait-elle trouvée ? Pas dans sa robe, elle cachait à peine le corps de la femme, alors un tel objet. Et à la façon dont elle la tenait, elle semblait savoir s’en servir. Un des hommes se leva précipitamment, les autres ne bougèrent pas, mais la dévisageait.

— Qu’est-ce que… commença celui qui l’avait amenée.

— Je suis Saalyn, guerrière libre de l’Helaria. Au nom du roi Menjir II, vous êtes tous en état d’arrestation.

Un silence accueillit ces paroles. Puis brutalement, l’un d’eux éclata de rire.

— Nous sommes huit, dit-il, tu comptes nous arrêter toute seule ?

— Je ne vois que quatre personnes devant moi.

Un regard circulaire confirma le nombre.

— Elle n’est pas seule remarqua l’un d’eux. On lui a lancé cette épée depuis dehors. Elle a au moins un complice.

— Un qui sait se servir de sa tête. Je ne suis pas seule en effet, toute la garde de la ville est avec moi.

— Alors le capitaine de la garde n’a plus de fille, conclut celui qui l’avait fait entrer.

Il avouait implicitement être à l’origine de l’enlèvement de la jeune fille.

— Je suis sûre qu’elle n’est pas loin, répondit Saalyn.

Un bref coup d’œil en direction de la porte lui confirma ses soupçons. Trois brigands prirent leurs armes et se mirent face à elle. Ils étaient équipés d’épées de cuivre, plus légères mais plus fragiles que la sienne qui était en bronze. La troupe que dirigeait le dénommé Stranis disposait d’un bon matériel. Visiblement, ils ne manquaient pas de crédits, la rareté des métaux depuis la guerre limitait de tels équipements aux royaumes les plus riches. Si les mines d’étains n’avaient pas été localisées au cœur du désert empoisonné, inaccessibles depuis la fin de la guerre, ils auraient certainement disposé d’armes aussi bonnes que la sienne. De plus, ils portaient une cuirasse, alors que Saalyn n’avait que sa robe de demi-mondaine, qui découvrait de larges pans de peaux. Elle n’était pas vraiment équipée pour se battre. Et ses adversaires n’étaient pas des débutants. Leurs gestes étaient ceux de bretteurs expérimentés. Bon matériel, hommes entraînés, ce Poing préparait bien ses actions.

Elle attaqua la première, choisissant celui de gauche. Elle espérait ainsi le surprendre. Il para le coup sans difficulté et la repoussa. Il lança quelques passes rapides qu’elle esquiva. Puis ses deux compagnons les rejoignirent et le vrai combat commença. Ils étaient habiles. Malgré toute son expérience, elle n’arrivait pas à percer leur défense. En plus sa robe la gênait. Elle recula, profitant du bref répit qu’ils mirent à la rejoindre pour arracher la manche de son bras d’épée. C’était mieux.

Pendant un moment, personne ne réussit à prendre l’avantage. Les passes se succédaient sans que personne ne soit touché.

Amortis par la distance, elle entendait des coups violents portés contre la porte de l’immeuble. La garde se préparait à entrer. Un assaillant fut distrait moins un tösihon. Ce fut bref, mais ça suffit. Elle lança une feinte rapide que son adversaire para trop tard. Puis, elle se recula rapidement hors de portée des deux autres. Elle l’avait touché. L’individu saignait. Sans gravité, mais c’était le bras qui tenait l’arme. Il allait moins bien se battre.

En bas, la porte fut enfin fracassée. Des voix yrianii montèrent jusqu’à eux. Le bruit déstabilisa un instant les hors la loi. Mais ce fut le quatrième, jusque-là spectateur, qui réagit. Son épée à la main, il courut vers la porte de la cellule où était gardée la jeune femme.

— Il va la tuer, pensa Saalyn.

C’était pour empêcher ça qu’elle s’était infiltrée dans le repaire ennemi. Elle essaya de contourner ses adversaires. Ils enrayèrent la manœuvre, assurant un obstacle efficace entre elle et celle qu’elle était censée protéger.

La porte s’ouvrit avec fracas, laissant entrer toute une escouade de gardes royaux. Les spadassins lâchèrent leurs armes et levèrent les mains en signe de reddition. Sans attendre, Saalyn se précipita vers la petite pièce. Le dernier bandit s’y trouvait déjà.

Saalyn put enfin voir celle qu’elle était venue secourir. Elle était bien plus âgée qu’elle ne l’aurait cru. Elle ne s’était jamais renseignée sur son âge, elle pensait avoir affaire à une enfant, une adolescente au mieux. Pas une femme faite. Elle était debout, face à la porte, immobilisée par le dernier homme qui lui plaquait le tranchant de son épée contre la gorge.

— Ne bouge pas, ordonna-t-il, ou je la tue.

— Ta seule chance de t’en tirer vivant est de la laisser partir, répliqua Saalyn.

— Je vais me rendre, mais aux guerriers libres d’Helaria, pas à la garde d’Elmin.

— Après avoir capturé, séquestré et peut être violé la fille d’un capitaine de la garde, tu m’étonnes.

Avec le ton coléreux employé par Saalyn, tous ses espoirs s’envolèrent. Elle le confirma.

— Mais je suis mandatée par l’Yrian et c’est eux qui décideront quoi faire de toi.

L’homme hésita. Il savait que tout était perdu. Même en gardant la jeune femme en otage, il ne pouvait pas traverser une salle pleine de gardes, descendre au rez-de-chaussée, marcher jusqu’à l’écurie – à quelques centaines de longes de là – et sortir de la ville en s’en tirant vivant. L’alternative, se rendre sans combattre, ne valait pas mieux.

L’otage mordit brutalement son agresseur. Elle planta ses dents dans l’avant-bras tout proche qui maintenait l’épée. Il hurla et la lâcha. D’un coup de talon – sans grand effet vu les bottes qu’il portait – elle lui écrasa le pied. Puis elle se dégagea et s’enfuit. Elle alla se réfugier derrière la guerrière libre.

Aussitôt Saalyn attaqua. Le brigand n’eut que le temps de se mettre en garde pour parer le coup. Le combat s’engagea, violent. La stoltzin laissait éclater toute sa colère. Peut-être, s’il était resté dans la grande salle avec ses complices, elle aurait gardé son calme. Mais le voir ainsi face à celle qu’il avait enlevée l’avait mise en fureur. Devant la violence des coups, il ne put que se défendre et reculer. Il comprit vite qu’il se battait pour sa vie.

Le mur dans son dos bloqua son ultime esquive. L’épée de bronze lui entailla l’avant-bras jusqu’à l’os. Il lâcha son arme. Les coups de Saalyn redoublèrent d’intensité. Il se mit à hurler. Mais elle continuait, incapable de se calmer. Elle frappait l’individu désarmé, frappait, frappait encore.

Elle sentit une main saisir son poignet alors qu’un bras puissant lui enserrait la poitrine. Elle essaya de se dégager, mais l’individu était trop fort. De rage, elle cria. Et tenta de s’en prendre à celui qui l’immobilisait.

— Ça suffit, s’écria Öta, il est mort.

Les paroles semblèrent atteindre son esprit. Elle fit une dernière vaine tentative pour libérer sa main. Puis la crise de larme explosa. Elle relâcha son bras. Öta la soulagea de son épée dont il se débarrassa en la passant à un garde. Il enlaça son maître. Elle se laissa aller contre lui, le corps secoué de sanglots. Puis elle se retourna et enfouit son visage au sein du large poitrail.

La jeune femme, Careile, regardait la scène, au bord de la panique. Quant aux gardes dans l’encadrement de la porte, ils étaient atterrés. L’un d’eux entraîna la jeune femme qu’ils étaient venus chercher vers la sortie, laissant les deux stoltzt seuls.

Saalyn pleura un long moment. Puis elle sembla se reprendre. Elle s’écarta de son disciple. Elle sécha ses larmes, se redressa, essayant d’arborer la fierté que devait éprouver celle qui venait de démanteler une bande de malfaiteurs. La caresse emprunte de tendresse que lui donna Öta faillit la faire craquer une seconde fois. Elle arriva à se retenir. Elle prit une longue respiration, redressa le buste et sortit de la petite pièce, prête à affronter la foule.

Les gardes de la ville avaient fait du bon travail. Les trois brigands arrêtés avaient été attachés, les bras dans le dos avec ce nœud double facile à serrer ou à desserrer mais ne pouvait être défait qu’avec ses deux mains libres, qui pour cette raison était appelé le nœud du policier. Les regards qu’on lui lançait hésitaient entre l’inquiétude et la gêne.

— Où sont les autres ? demanda-t-elle.

— C’est tout, il n’y a qu’eux, répondit leur commandant.

— Quatre personnes avaient quitté la pièce avant votre arrivée, vous ne les avez pas trouvés en bas ?

— Il n’y a personne en bas.

— Ils n’ont pas pu s’envoler comme ça, rapidement.

— Nous n’avons vu personne sortir du bâtiment avant de donner l’assaut.

— Ils sont peut-être partis par le bassin vers le fleuve, suggéra Öta.

— J’ai fait poster des gardes sur les rives. Personne n’a tenté d’aborder.

— Alors ils sont encore ici, conclut Saalyn, ils ont dû se cacher le temps que nous quittions les lieux.

Le chef de l’escouade donna quelques ordres. Un petit groupe de gardes descendit au rez-de-chaussé pour fouiller la pièce. On les entendait ouvrir les caisses au cas où une personne s’y serait dissimulée.

Les recherches ne durèrent pas longtemps. Près du bassin, sous une bâche, deux corps gisaient, la gorge ouverte. Saalyn s’accroupit pour les examiner de près. C’étaient les deux stoltzt de la bande.

— Ils ont été égorgés, dit celui qui les avait trouvés.

— Il se débarrasse de tous ceux qui pourraient nous mettre sur sa piste, dit Saalyn.

— Il n’y a qu’eux, vous avez une idée de l’endroit où est passé leur chef ? demanda le commandant du détachement.

De la main, la stoltzin blonde désigna la surface de l’eau, à quelques perches de là.

— Ce sont des humains, répondit le soldat, pas des stoltzt. Ils ne nagent pas comme vous. Nous surveillons les rives, Personne n’est sortit par là.

Saalyn nota qu’il connaissait les aptitudes des stoltzt à nager sous l’eau. Ce n’était pas surprenant que l’Yrian soit au courant. Et cela devait bien arriver un jour. C’est le fait qu’ils aient réussi à garder le secret si longtemps qui était surprenant. Elle n’approfondit pas la question, les Pentarques jugeraient. Elle allait répondre mais Öta fut plus rapide.

— S’ils ont pu construire un tunnel dans cet entrepôt, ils ont très bien pu faire la même chose dans une maison proche. Plus vraisemblablement sur l’autre rive.

— La rivière n’est pas très large, ajouta Saalyn, même un humain peut la traverser sans respirer.

— Je vais envoyer des hommes fouiller les maisons.

— Vous ne trouverez rien, dit Saalyn.

— Je me doute qu’ils ne nous ont pas attendu. Ils ont dû se mêler à la foule. Mais nous pourrons peut-être trouver des indices sur leur identité.

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