Chapitre 4 : Orvbel. (1/2)

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Ternine était l’un des espions qui recherchaient les esclaves potentiels pour le compte de l’Orvbel. Il rentrait d’une longue mission en Yrian. Une mission dangereuse : s’il avait été découvert, il aurait été exécuté séance tenante, sans jugement. Le royaume, contrairement à d’autres, protégeait sa population. Il réagissait violemment quand on tentait d’asservir ses citoyens. Une rivalité s’était engagée depuis longtemps. Les soldats royaux essayaient de débusquer les agents qui tentaient de leur échapper. Cependant, l’Yrian était l’un des États les plus prospères, sa population était en bonne santé et les personnes remarquables pour leur beauté ou leur savoir-faire y étaient nombreuses. Le jeu en valait la chandelle.

Ternine débarqua du bateau qui le ramenait en Orvbel. Depuis l’époque où, avant les humains, les stoltzt régnaient, les lieux avaient changé. C’était maintenant une véritable ville. Des bâtiments en pierre remplaçaient les masures de bois. Le simple ponton branlant avait disparu, laissant la place à un vrai port avec des quais et l’animation que l’on attendait d’une métropole en pleine croissance.

Les stigmates de l’expédition punitive menée par l’Helaria l’année précédente étaient encore visibles par endroits. Ternine avait toujours pensé que s’amuser avec cette guerrière libre, Saalyn, était une erreur. L’incendie de la ville par l’armée de la Pentarchie l’avait confirmé. Néanmoins, les travaux de réparation avançaient rapidement.

La plupart des collègues du chasseur d’esclaves revenaient de tournée avec des coffres pleins de gravures ou de notes. Les instances du pays pouvaient y faire leur choix pour décider des missions à mener ou au contraire ne pas donner suite à une capture. Ternine, lui, ne rapportait presque rien. Il n’avait qu’un seul dossier. Un dossier qui allait faire l’effet d’une bombe.

Lors de son escale de Kushan, en Helaria, il avait pris le risque de contacter un navire de commerce en route pour l’Orvbel. Les bâtiments de la Pentarchie étaient les plus rapides. Malheureusement, ils ne desservaient pas souvent l’Orvbel. Shaab le faisait et les vaisseaux qu’il affrétait, de fabrication mustulal, étaient presque aussi bons que ceux des Helariaseny. Celui qu’il avait trouvé ne pouvait pas embarquer de passagers. Il avait donc confié un message au capitaine, se contentant pour lui de son transporteur plus lent. Après tout, il n’en était pas à quelques jours près.

Il s’attendait à un comité d’accueil en débarquant. Et effectivement, on l’attendait. Le Premier ministre en personne. L’utilisation d’un courrier, shaabiano ou autre, était suffisamment rare pour attirer son attention. Entouré d’une petite escorte, plus pour l’apparat que pour la défense (qui aurait risqué sa vie et celle de toute sa famille en s’attaquant à lui ?), il patientait sur le quai. Dayan, le Premier ministre de l’Orvbel, était un homme brun et grand. Sa silhouette dénonçait le sportif habitué aux exercices. Ses vêtements, malgré leur tissu de qualité, étaient sobres, discrets, sans fioritures. Et pourtant, ils déclamaient la puissance de leur possesseur avec davantage d’efficacité qu’une tenue plus tapageuse. Les soldats de l’escorte au contraire, portaient un uniforme voyant, dans les tons de rouge, symbole universel de danger. Les cuirs étaient vernis et les boucles métalliques astiquées. Leur chapeau s’ornait d’une plume démesurée. Ils arboraient tous une moustache tombante qui aurait semblé ridicule sur n’importe qui d’autre si leur cimeterre n’ôtait toute envie de rire. Bien tranchant, en acier massif, la garde ouvragée était gravée aux armoiries du royaume et la lame était décorée de symboles nains. Seuls les gardes du palais disposaient d’une telle arme et la mort punissait tout civil surpris en sa possession.

Le ministre suivait l’agent de renseignements des yeux pendant toute sa descente du navire. Il ne bougea pas pour le rejoindre. C’étaient les autres qui devaient venir à lui. Ternine s’inclina, un genou au sol.

— Je vous présente mes humbles respects, seigneur de la marche supérieure.

Il redressa le buste, mais ne se releva pas. Dayan lui rendit son salut d’un simple mouvement de la tête, l’autorisant ainsi à se remettre debout. On racontait que par le passé, il avait laissé un espion énoncer son rapport à genoux. L’homme était blessé, cette position lui infligeait des douleurs à la limite du tolérable. Il refusa pourtant de lui permettre de se soulager. Selon la légende, Dayan ne reprochait à son agent que d’avoir contesté son paiement lors d’une précédente mission, dix ans plus tôt. Il avait raison, il manquait de l’argent. Cependant, le ministre n’avait pas supporté d’être contredit tandis qu’il se trompait.

Toutefois, on disait beaucoup de choses sur Dayan, et la moitié se révélait fausse. Il laissait courir les rumeurs, la frayeur qu’elles inspiraient lui évitait d’avoir à les rendre réelles.

— Alors, dit-il, tu as fait bonne chasse ?

— La proie que j’ai va plaire à Sa Seigneurie.

— La proie ! tu n’en as repéré qu’une ?

— Une, en effet, mais exceptionnelle.

— Allons au palais, tu exposeras tout ça devant ton roi.

— Tout l’honneur est pour moi.

De toute autre personne, Dayan aurait émis des doutes. Pas de Ternine. S’il disait que sa découverte était exceptionnelle, elle l’était. Les agents étaient payés en pourcentage sur le prix de vente des esclaves qu’ils débusquaient. Or Ternine estimait qu’une seule opération pouvait rentabiliser son voyage. Bien qu’il eût l’air impassible, le ministre avait hâte d’entendre ce qu’il avait repéré.

L’escorte se disposa autour des deux hommes, et ensemble ils se rendirent au palais.

Brun, fils de Brun, ne ressemblait pas du tout à son ministre. Le roi d’Orvbel était un homme jeune, de taille moyenne, mince, à la musculature sèche et au visage de rapace. Il avait le teint mat, presque autant qu’un drow, mais pas tout à fait. Le seul point qu’il partageait avec Dayan est qu’il s’habillait avec simplicité, tout au moins en dehors des réceptions officielles, mais alors que ce dernier préférerait les tons sombres, il affectionnait la clarté. Et pour le moment, il portait une longue tunique de lin blanc cassé. Sans le liseré mordoré à son col, il ne se distinguerait pas de ses plus humbles sujets, si ce n’est que sa tenue, confectionnée sur mesure par son tailleur, s’ajustait à la perfection à sa silhouette et la mettait en valeur. De près, on se rendait compte toutefois que les pans de son costume étaient décorés de broderies ton sur ton. Un couvre-chef qui ressemblait à un béret dont le tissu chatoyant brillait de mille feux complétait sa toilette.

Ternine fut introduit dans un cabinet de travail. Ce n’était pas celui, luxueux, qu’il utilisait pour accueillir les dignitaires, ni son bureau habituel d’où il administrait ses possessions. Le roi le recevait dans une petite pièce destinée à des rencontres rapides, au sein du quartier des fonctionnaires. Brun, fils de Brun, les attendait. L’agent mit un genou à terre devant son souverain.

— Je vous présente mes humbles respects, Brun, fils de Brun, Seigneur lumineux, mille fois béni des dieux.

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