Chapitre 2 : Elmin. (2/4)

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Le capitaine fut surpris de voir l’apprenti prendre la direction des opérations. Il suivit Saalyn du regard. Mais elle tournait dans la pièce, son verre à la main, examinant la décoration d’un air distrait.

— Ils vont certainement entrer directement en contact avec vous, continua Öta.

— C’est déjà le cas. Pendant votre voyage ils m’ont fait parvenir un message.

— Vous l’avez sur vous ?

Le capitaine prit un papier plié en quatre dans un tiroir du bureau qui occupait un coin de la pièce et le donna à l’apprenti. Il le lut.

— Ils me donnent rendez-vous demain soir dans une taverne, commenta le capitaine.

— Ce n’est pas ce que je lis, le reprit Öta. Le rendez-vous concerne votre représentant pour négocier.

Il tendit le message à Saalyn qui le parcourut rapidement avant de le rendre au capitaine. Puis elle continua son examen.

— C’est pareil. Qui mieux que moi est le plus adapté pour mener les négociations ?

— Ils ont besoin d’entrer en contact avec vous, mais ils ne veulent pas être vus en compagnie du capitaine de la garde. On peut penser qu’ils recherchent la discrétion, répondit Öta.

— C’est normal, non ? Ce genre de personnes recherche toujours la discrétion.

— En effet.

Le laconisme de la réponse dérouta le capitaine.

— Si ce n’est pas moi, qui donc ira ?

— C’est Öta qui se rendra au rendez-vous, intervint Saalyn.

— Votre apprenti ! Pourquoi pas vous ?

— Je ne tiens pas à ce qu’ils me voient.

— Je comprends.

— Si jamais ils vous proposaient un arrangement, avez-vous une idée de ce qu’ils pourraient vous demander ? reprit Öta.

— Je ne sais pas. Ou plutôt, il y a trop de choses. Trop de services que je pourrais leur rendre. Après tout, je suis le responsable de la sécurité des quartiers nord.

— Une attaque sur la ville vous semble-t-elle plausible ?

— C’est inconcevable. Il y a cinq mille soldats stationnés autour. Deux fois plus dans le reste de la province. Aucune bande de maraudeurs ne dispose d’une telle force.

— Je pensais à une opération plus discrète.

— Comme ?

— Des cambriolages.

— Ça peut se faire. Je pourrais envoyer les gardes dans un quartier de la ville pendant qu’ils vident des maisons dans un autre. J’ai envisagé cette possibilité.

— Trop évident, remarqua Saalyn.

Elle était penchée sur une table sur laquelle était reconstitué un paysage couvert d’une multitude de figurines.

— C’est bien la bataille de Chabawck ? demanda-t-elle.

Cette digression dérouta le capitaine.

— Oui, dit-il enfin.

— C’est magnifique, vous l’avez réalisé vous-même ?

— Au début oui, mais Careile m’aide de temps en temps. Elle est plus douée que moi pour peindre les petits détails.

Le père et la fille étaient donc très proches s’ils exécutaient des activités ensemble.

— Comment les fabriquez-vous ?

— En plomb. Mais vous n’avez pas des choses plus importantes que d’admirer ma collection ?

— Chacun a sa façon de travailler. Laissez-moi opérer à ma manière.

Il hocha la tête, accusant le coup devant cette remontrance.

— Où vous procurez-vous le métal ? continua-t-elle.

— Ma famille possède une petite mine. Mais elle est désaffectée. Ce matériau est très abondant et de peu de valeur. De temps en temps, je vais m’y servir. Mais quel rapport avec ma fille ?

— Aucun.

Elle saisit une figurine.

— C’est bien Muy, ça ?

— En effet. Un des premiers personnages que j’ai sculptés. Je l’ai refondue trois fois, au fur et à mesure que ma technique s’améliorait.

— C’est dommage que je ne puisse pas la rapporter, elle en serait ravie.

— Si vous me rendez ma fille, je vous en fabriquerai une plus grande que je lui offrirai de bon cœur.

Saalyn examina le modèle réduit de sa pentarque. Le visage n’était pas très ressemblant et sa chevelure était trop rousse, mais il n’avait certainement jamais dû la voir de suffisamment près pour la représenter correctement. Par contre, il avait bien restitué sa silhouette menue, ainsi que son uniforme et bien sûr ses armes ; c’était un militaire après tout. Elle reposa Muy à sa place sur le plateau. Puis elle alla s’asseoir à côté de son apprenti.

— Ma méthode de travail est la suivante, Öta enquête, et je reste à l’arrière pour voir ce qu’il ramène à la surface.

— Il joue le rôle d’un leurre en quelque sorte.

— Öta est plus qu’un leurre. Il est mon apprenti depuis neuf ans, il a toute ma confiance.

— C’est évident, vous ne l’enverriez pas négocier à votre place autrement. Et d’ailleurs, où serez-vous pendant qu’il discutera avec le ravisseur ?

— J’y assisterai, mais discrètement.

— Est-ce une bonne idée ? Je connais l’endroit. Une femme y serait tout sauf discrète.

— Ne vous inquiétez pas. Aucune femme ne sera présente dans cette auberge. En apparence en tout cas.

Le capitaine la regarda d’un air dubitatif.

— Si vous comptez vous déguiser en homme, je ne suis pas sûr que ça marche.

— Pourquoi ça ?

— Vous êtes une femme qui… euh… Vous avez… disons, des attributs difficiles à masquer.

— Ne vous inquiétez pas pour mes attributs. J’ai apporté ce qu’il faut dans mes bagages. Je l’ai déjà fait avant.

Le capitaine vida son verre, le deuxième depuis qu’ils étaient arrivés.

— Vous voyez, je pensais que jamais je ne reverrais ma fille, tout ce qu’on me rendrait ne serait qu’un corps à mettre en terre. Mais en sachant que c’est la grande Saalyn qui s’occupe de l’affaire, je reprends confiance.

— J’espère que je mériterai votre confiance.

— J’ai entendu dire que la moitié des habitants de votre pays était soit esclaves, soit descendants d’esclaves que vous aviez libérés. Avec de telles références, comment ma confiance pourrait-elle être mal placée ?

— La moitié, c’est très exagéré. La majorité de la population provient des survivants des royaumes anéantis par les Feythas.

— Bien sûr. Aurez-vous besoin de mon aide pendant cette enquête ?

— Certainement. Je m’appuie toujours sur les structures officielles quand je travaille. Mais vous ne devez parler de moi à personne. Vous ne devez pas chercher à entrer en contact avec moi. Et vous devrez faire tout ce que je vous demanderai. Et aucune initiative de votre part. Vous risqueriez de perturber une action que j’aurai mise en place.

— J’obéirai en tout point à vos requêtes.

— Je n’ai pas besoin de vous expliquer ce qui se passerait si vous ne respectiez pas mes instructions.

— Je comprends les enjeux. C’est ma fille.

— Nous sommes d’accord.

Elle se leva pour partir. L’ordonnance lui apporta son manteau.

— Vous ne cherchez pas à me contacter, répéta-t-elle. Je m’en chargerai. Si possible tous les jours. Mais si je manque certains rendez-vous, ne paniquez pas. Je pourrai avoir besoin de me cacher et vous pourriez me mettre en danger.

— Je comprends.

— Nous retrouverons votre fille.

— Mon ordonnance va vous reconduire.

— À bientôt, capitaine Ralsen.

— Au revoir, maître Saalyn.

Le lieutenant raccompagna les deux guerriers libres. Avant de quitter la pièce, Saalyn eut le temps de jeter un coup d’œil à l’officier. Il avait repris son air morose. Il semblait vraiment affecté par cet enlèvement. À l’évidence, de toute sa vie il n’avait jamais envisagé qu’une telle chose pût arriver un jour. Sa femme était morte, c’était son seul enfant. Elle se demandait comment il arrivait à tenir le coup.

*

Le soir de la première rencontre avec les ravisseurs arriva. Öta devait discuter avec eux des modalités de la rançon. Moins expérimenté que Saalyn, il n’aurait jamais été capable de suivre l’homme aussi discrètement que cette dernière. Par ailleurs, elle se réservait la possibilité d’approcher de très près la bande sans se faire repérer, voire de les infiltrer. Elle devait donc demeurer incognito.

Le point de rendez-vous était une table au fond d’une taverne animée. Saalyn était arrivée en avance d’un monsihon afin de bien se fondre dans la population. Elle avait passé un si long moment à se grimer qu’elle était méconnaissable. Il était difficile de reconnaître la guerrière libre derrière le déguisement. Il était d’ailleurs impossible de l’identifier en tant que femme. Elle avait troqué sa tenue décontractée contre la tunique que les paysans des alentours adoptaient dans leurs champs. Elle avait ajouté un manteau épais sous lequel son corps disparaissait totalement. Une barbe fournie garnissait son menton. Sa peau sans défauts, qui aurait pu la dénoncer, était masquée par un maquillage qui lui donnait l’impression d’être exposée au grand air en permanence. Même ses yeux, qui auraient trahi son origine stoltz, étaient cachés par des lunettes aux verres fumés comme en portaient souvent les montagnards pour se protéger de l’ophtalmie des neiges. Pour parfaire le déguisement, elle avait étroitement enserré sa poitrine dans une bande de tissu qu’elle attendait d’enlever avec impatience. Mieux, qu’Öta retirerait en lui octroyant un massage que seuls ses mains immenses et ses muscles hypertrophiés pourraient lui offrir.

Pour l’heure, Saalyn ressemblait à un ouvrier venu en ville pour affaires. Elle dégustait une bière en surveillant la table où devrait avoir lieu le rendez-vous. Elle se rendit compte qu’elle n’était pas seule dans ce cas. Une autre personne l’imitait. Mais cet homme n’était pas un professionnel, la guerrière libre l’avait rapidement repéré. Au lieu de laisser courir son regard un peu partout, n’accordant qu’une attention distraite à ce qui l’intéressait, il fixait trop souvent la place où devait se dérouler la rencontre. Était-ce l'individu attendu ? Où un complice venu s’assurer qu’il n’était pas suivi ? Il était encore trop tôt pour le dire.

Deux calsihons avant l’heure, un homme entra. Il s’approcha du premier que Saalyn avait repéré. Il y avait trop de bruit pour entendre ce qu’ils se disaient, mais ce fut bref. Il alla s’asseoir à la table. Le fait que la place soit restée libre tout ce temps indiquait clairement des complicités dans l’établissement. Saalyn grava le visage du nouveau venu dans sa mémoire, elle allait devoir le suivre tout à l’heure, dans une foule dense, sans le perdre.

À l’heure prévue, Öta arriva. Il s’était déguisé lui aussi. Il se faisait passer pour un militaire qui essayait de ressembler à un citadin. Sa tenue correspondait, sauf qu’elle était trop neuve pour une personne de sa classe et ses gestes un poil rigides trahissaient son origine supposée. La stoltzin éprouva une bouffée de fierté à la vue des talents de son élève. Nul doute qu’il deviendrait un grand guerrier libre quand il aurait acquis son titre. Öta se dirigea vers son rendez-vous sans accorder le moindre regard à sa maîtresse qu’il avait pourtant aperçue. De sa place, Saalyn pouvait voir, mais pas entendre. La discussion semblait animée, mais les voix étaient contenues. Öta finit par sortir quelque chose de sa poche. Le négociateur recula brusquement, s’attendant à une arme. Mais l’objet semblait beaucoup trop petit, il tenait dans une bourse. À sa réaction, Saalyn comprit que le malfrat était appâté, il ne restait plus qu’à ferrer la ligne et voir ce qui allait venir au bout.

Elle se leva, laissant quelques pièces en os d’un centième de cel sur la table et sortit. En traversant la salle, elle remonta sa capuche sur la tête, suffisamment vite pour que l’on ne puisse pas se souvenir de son visage, mais assez lentement pour que le geste n’attirât l’attention de personne.

Dehors, elle alla jusqu’au coin de la rue, trouva un endroit discret qui lui permettait de surveiller la porte de la taverne et attendit. Il ne pouvait sortir que par là, il n’y avait pas d’autre issue, elle s’en était assurée plus tôt. Mais elle ignorait combien de temps allait durer la discussion. Un couple éméché passa devant elle, manquant la bousculer. Elle les suivit du regard, vérifiant qu’ils ne la gêneraient plus. Elle faillit rater la personne qu’elle surveillait. Ce fut un mouvement entraperçu du coin de l’œil qui attira son attention. L’homme sortait. Il avait enfoncé son chapeau sur son crâne pour ne pas être reconnu, mais la démarche était bien la sienne.

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