Chapitre 44 - Partie 1

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L’arrivée de Deirane en Orvbel marqua une rupture avec le début de sa captivité. Elle ne voyait plus Ard. C’était un autre précepteur qui reprit son enseignement en main. Il était plus jeune, plus strict aussi. Il n’était plus question de culture, mais de protocole. Elle passait toutes ses matinées avec lui en compagnie de jeunes filles à répéter les révérences, les salutations et toutes les autres conventions que se devait de connaître une concubine royale lorsqu’elle s’adressait à un supérieur. Ses compagnes étaient des esclaves comme elle, certaines étant encore plus jeunes, au milieu de leur adolescence. Elle ne voyait plus Biluan non plus, ce dont elle ne se plaignait pas. En l’absence de ce sadique, plus personne ne levait la main sur elle. La plus forte punition qu’elle eut à subir fut une remontrance sévère de son professeur. Ses après-midis étaient consacrés à lui apprendre sa future activité de concubine. On lui apprit les rudiments pour s’habiller, se maquiller, se coiffer. Il y avait aussi des cours de danse et de diction. L’une de ses instructrices remarqua sa voix. Ils ajoutèrent des cours de chant à son éducation.

Cette vie ne dura pas longtemps, guère plus de quelques douzaines. Cet intermède n’était destiné qu’à la préparer à sa rencontre avec Brun, le roi d’Orvbel. Son éducation définitive se ferait une fois intégrée au harem et s’étalerait sur plusieurs mois, voire des années. Si bien sûr le roi décidait de la conserver plutôt que de la revendre. Cette présentation eut lieu trois douzaines après son arrivée.

Sa préparation commença tôt le matin. Au réveil, elle n’eut droit qu’à une rapide collation. Puis le travail commença. Ils la baignèrent dans une eau parfumée. Elle fut soigneusement épilée, ne laissant aucun poil subsister sur l’ensemble de son corps, à l’exception de ses sourcils. Elle éprouva de la gêne quand ils s’occupèrent de son pubis, mais elle en avait tant subi ces dernières semaines qu’elle parvint à garder son calme. Puis ils la massèrent pour détendre ses muscles. Elle n’avait jamais été massée. Elle trouva cela agréable, regrettant qu’il faille une telle épreuve pour qu’elle découvre ce plaisir. L’huile lui laissa la peau aussi douce que le permettaient ses pierres. Le corps préparé, on s’occupa de ses mains et de ses pieds. Ses ongles furent soigneusement taillés et recouverts d’un vernis rouge. Ses cheveux aussi furent arrangés, peignés jusqu’à ce qu’ils soient lustrés et deviennent brillants. Ils les laissèrent tomber librement dans le dos. Le maquillage fut très simple, juste un peu de bleu sur les paupières et de rouge sur les lèvres. C’était son tatouage qui allait intéresser Brun, pas les produits qu’on allait lui étaler sur le corps.

Cela faisait plus d’un monsihon que l’on s’occupait d’elle. Ce fut seulement au bout de ce laps de temps qu’elle put commencer à s’habiller. Elle s’attendait aux tenues que lui avait fait porter Ard pendant son voyage. Mais la robe qu’on lui enfila la couvrait entièrement. Elle s’ouvrait sur le devant, comme un peignoir, mais ce n’en était pas un, c’était une robe en soie blanche décorée de broderies et de perles, ces deux éléments étaient noirs pour être clairement visible sur le tissu immaculé. Elle était conçue spécialement pour la jeune femme, le motif était une reproduction exacte de son tatouage, sans les couleurs. Elle était fermée par une cordelette de soie argentée. Des chaussons en satin perle complétaient sa tenue.

Elle ne devait pas se salir en se rendant au palais. Une voiture vint la prendre pour la conduire. Cette tâche, c’est Biluan en personne qui s’en chargea. Revoir son tortionnaire lui inspira un mouvement de recul. Mais il ne pouvait rien lui faire. Sa matraque électrique la mettait dans un tel état qu’il ne pouvait pas l’utiliser sur elle juste avant sa présentation au roi.

Il monta à côté d’elle. La voiture quitta le sérail de Biluan pour remonter l’avenue qui menait au palais. Ce dernier occupait un vaste espace à l’est de la cité, sur une colline qui surplombait la mer.

— Prête pour le grand jour ? demanda-t-il, pas trop nerveuse ?

— Pourquoi faite vous semblant de vous intéresser à ce que je ressens ?

— Tu as raison, je m’en moque.

— En fait, c’est vous qui êtes nerveux. Vous avez peur que je vous humilie devant le roi.

— Tu sais que si tu ne conviens pas au roi tu reviendras chez moi.

— Ne vous inquiétez pas, je lui conviendrai. Je ferai tout pour ça. Je préférerais qu’une armée entière me passe sur le corps que de rester cinq stersihons de plus en votre compagnie.

— Si tu me fais du mal auprès de Brun, j’exaucerai ton vœu.

— Si vous tenez votre promesse, je n’aurai aucune raison de vous faire du mal.

— Tu verras ça avec Brun directement.

Elle tourna la tête vers lui et le dévisagea.

— Il vaudrait mieux pour vous que vous ne m’ayez pas menti.

Il lâcha un petit rire discret.

— Qu’est-ce qu’une paysanne yriani, prisonnière d’un harem de surcroît, pourrait bien me faire ?

— Il a suffi d’un fermier pour faire tomber le seigneur noir, répondit-elle.

— J’ai mis mon pouvoir dans mes coffres pleins d’or, pas dans un anneau unique. Et puis, ce n’est qu’un roman.

— Je suis surprise que vous ayez un peu de culture.

— Pour ta gouverne, sache que ce livre a été écrit en Orvbelian. Parce qu’ici, contrairement à l’Yrian, nous avons une vraie culture. Mais qu’attendre d’autre d’un pays dont l’alphabet s’écrit de droite à gauche et qui ne dispose même pas d’un jeu complet de voyelles, sinon des traités de médecine.

— Vous avez peut-être plein de voyelles mais chacune se prononce de vingt façons différentes. Et puis, vos livres, vous en avez hérité. Ces traités nous les avons écrits nous-même.

— Ça suffit maintenant. La discussion est close.

— Vous connaissez le sens du mot « enteqâm » (1).

— Je ne maîtrise pas l’yriani.

— C’est un tort.

— Maintenant, ça suffit. J’ai dit que la discussion était close.

Deirane estima qu’elle avait marqué une victoire. Une petite. Mais ce n’était qu’un début.

Le trajet n’était pas long. Le silence qui s’était installé n’eut pas le temps de durer. Deirane descendit la première, Biluan sur ses talons. Il la guida jusqu’à la salle du trône. Deux gardes bloquaient le passage. Le trafiquant d’esclave était attendu, ils ouvrirent la porte et les laissèrent entrer.

Brun était moins impressionnant qu’elle ne l’aurait cru. De souverain, Deirane ne connaissait que Satvia, la reine de Mustul. Et elle, elle avait vraiment un air royal. Même nue elle n’aurait pu cacher son rang. De taille moyenne et peu musclé, Brun ressemblait à un adolescent. Il avait cependant le double de l’âge de Deirane. Peut-être vingt-deux ou vingt-trois ans. Il était habillé de façon simple, une chemise en soie blanche décoré au col d’un liseré d’or. Seules sa bague, un fil d’or orné d’une émeraude, témoignait de sa noblesse. Ses cheveux longs et noirs étaient étalés libres sur ses épaules.

Sur une chaise placée sur la dernière marche de son piédestal, un rang au-dessous de Brun, Dayan était installé. Il ressemblait à Brun si ce n’est que le liseré de sa chemise était argenté. Ses cheveux étaient rassemblés par un anneau d’or. Et il portait la barbe, un bouc soigneusement taillé. Il semblait plus âgé que Brun, dix ans de plus.

Les autres occupants de la salle étaient deux gardes, debout derrière le trône de Brun. Ils étaient grands et forts, avec le ton sombre des Naytains. Avant eux, elle ne connaissait qu’Ard possédant une telle carnation. Mais il était âgé. Ces deux-là étaient jeunes, leur peau sans défaut avait une sorte de luminosité que son ancien mentor avait perdu. Avec leurs muscles bien développés, elle les trouvait très beaux. Ils étaient équipés d’une hallebarde au tranchant effilé.

Pendant toute la progression de Deirane dans la salle, Brun ne quittait pas le visage de la jeune femme des yeux. Non, pas son visage, son front. Plus exactement le rubis qui s’y trouvait tel le troisième œil des légendes.

Biluan les arrêta une dizaine de pas avant le piédestal qui portait le trône. Il s’inclina, les genoux et le front contre le sol.

— Je te remercie de m’accueillir dans ta demeure, seigneur lumineux, mille fois béni des dieux.

Deirane ne put se retenir de pouffer à l’énoncé de la formule. Cela n’échappa pas au roi qui regarda la jeune femme d’un air glacé.

— Tu as amené ce que l’on t’a demandé ? demanda Dayan à la place du monarque.

— J’ai fait exactement tel que vous me l’avez ordonné.

— Dans ce cas, tu peux te redresser.

Biluan se remit debout.

— C’est elle ? demanda Brun.

— C’est bien elle, répondit Biluan.

— Comment t’appelles-tu ? demanda Brun.

Elle hésita, un peu affolée.

— Réponds, ordonna-t-il devant son mutisme.

— N’aie pas peur, intervint Dayan, il paraît qu’on ne peut pas te tuer, ni te blesser. Que crains-tu de nous ?

Celui-là n’avait pas l’air méchant. Mais elle avait rencontré plein de gens qui semblaient gentils mais ne l’étaient pas en fin de compte. Et il était quand même à droite du roi.

— Deirane, répondit-elle enfin.

— Approche, Deirane.

Lentement, elle monta les marches du piédestal, l’une après l’autre. Quand elle fut sur la dernière, elle s’arrêta.

— Plus près, ordonna Brun.

Elle s’avança jusqu’au trône. Brun se mit debout. Il la dépassait de plus d’une tête. Il regarda le visage, le rubis fixé au centre du front, les diamants bleu pâle sur ses joues, les fils dorés incrustés dans la peau. Ternine n’avait pas menti, c’était extraordinaire. Elle était vraiment unique. Il avait dans un premier temps envisagé de la vendre pour éviter tout risque avec les guerriers libres. Mais maintenant qu’il l’avait vue, il n’en était plus question. Il fallait qu’elle soit à lui.

Il posa la main sur la joue. Elle recula, mais Biluan la retint d’une pression dans le dos. Le toucher était léger, mais il suffit à la jeune femme pour comprendre le message. Le roi put prendre connaissance avec la texture des pierres, dures et piquantes sur cette peau douce. La sensation était étrange, surprenante. Il appréciait la nouveauté. Il se demanda l’effet que ça faisait de lui faire l’amour, quand ce contact se produisait sur l’ensemble du corps. Il avait hâte qu’elle soit prête.

Brutalement, il repoussa sa robe la dénudant jusqu’à la taille. Sous la surprise, Deirane cacha ses seins derrière ses bras croisés. Mais Brun les écarta. Prenant sur elle, elle les laissa retomber le long du corps, se soumettant l’examen du monarque. Elle ferma les yeux quand il la toucha, essayant de masquer le dégoût que ce contact lui inspirait.

Brun se rassit enfin. Biluan la prit par le bras et la fit descendre jusqu’à ce que le roi lui signale d’un geste que c’était suffisant, deux marches plus bas. Puis il fit signe à Biluan de reculer.

— Déshabille-toi, ordonna-t-il.

***

(1) enteqam : "vengeance" en yriani.

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