Chapitre 42 - Partie 2

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Puis il retourna près du feu, laissant Saalyn se débrouiller seule avec Banerd. Gervan rejoignit l’apprenti.

— Vous ne l’aidez pas ? demanda-t-il.

— Elle est capable de s’en sortir seule, répondit-il.

— On ne dirait pas. Il ne sait pas se battre, mais il est beaucoup plus lourd qu’elle. Elle ne pourra jamais le repousser.

— Le veut-elle vraiment ?

Gervan jeta un coup d’œil sur le couple. Puis sur l’apprenti. Ce dernier avait l’air indifférent. Mais en réalité il surveillait ce qui se passait. Il ne l’aidait peut-être pas, mais il ne laisserait jamais les choses déraper.

Banerd avait profité de la surprise de la stoltzin pour essayer de l’embrasser. Ce coup-ci, au lieu d’essayer de le mordre, elle se contenta de détourner la tête. Il se rabattit sur le cou sans protection. Il lui plaqua les bras le long du corps et descendit ses baisers jusqu’au corsage dont il commença à dénouer les lacets avec les dents. Elle ne se défendait plus, ne donnant plus que quelques coups de reins pour se dégager, sans conviction. Il écarta les deux pans de tissus qui couvraient la poitrine et commença à embrasser la peau totalement offerte.

Öta ne s’était pas trompé. Elle avait cessé de se débattre et n’allait pas tarder à participer. Il détourna le regard, les laissant tranquilles. Il rabattit le duvet sur lui et sur Hester pour s’endormir.

En se réveillant le lendemain, le jeune stoltzen jeta un bref coup d’œil sur Saalyn. Il ne la vit pas. Il se leva, la cherchant. Un mercenaire lève-tôt lui indiqua une rangée de buissons, une cinquantaine de perches à l’écart du campement. Ils étaient derrière. Elle dormait, nue, cherchant la chaleur contre le corps de son partenaire. Banerd les avait isolés du sol froid par une couverture, qu’il avait rabattu sur elle. Elle avait l’air détendue, cela faisait longtemps qu’il ne l’avait pas vue ainsi.

Ce tableau réjouit Öta. Elle s’était donnée à un bel homme, à proximité d’un campement grouillant de soldats. Il avait retrouvé la Saalyn qui l’avait pris comme apprenti, neuf ans plus tôt.

Banerd se réveilla bien avant Saalyn. Il la regarda dormir, sans bouger pour ne pas la déranger. Mais elle ne tarda pas à ouvrir les yeux à son tour. En le voyant penché sur elle, elle lui sourit.

— Bonjour, lui dit-elle.

Puis elle lui passa un bras au tour du cou pour attirer son visage près du sien et l’embrasser. Longuement.

— Je ne sais toujours pas qui tu es, dit-elle quand elle s’écarta, comment t’appelles-tu ?

— Mon nom est bien Banerd, je ne t’ai jamais menti sur mon identité, sauf par omission.

— À Massil, tu m’as dit que tu étais le grand inquisiteur de Nayt. Une plaisanterie, on peut dire que c’est une forme de mensonge.

— Ni une plaisanterie, ni un mensonge.

— Attends, ne me dit pas que…

Elle se tourna pour lui faire face.

— Mais on dirait que tu as l’air sérieux, dit-elle en le dévisageant. Grand Inquisiteur, rien que ça.

Le Grand Inquisiteur était l’équivalent de l’archonte des guerriers libres pour la Nayt.

— Et que fait le Grand Inquisiteur de Nayt sur les routes en compagnie d’une guerrière libre ?

— Ton archonte n’a jamais fait d’enquête en ta compagnie ?

— Si mais c’est mon archonte. Et Muy a des capacités qui me sont parfois bien utiles. Que vient faire l’inquisition naytaine là-dedans ? Nous ne sommes pas alliés.

— Nous ne sommes pas ennemis non plus. Nous devions un service à la Résidence. Celui-là était plutôt agréable. Tellement agréable même que je me demande si la dette est réglée.

— C’est donc la Résidence qui vous envoie ? Wotan ?

— Muy. Elle avait peur pour vous. Elle soupçonnait un piège. Elle avait raison.

— Et pour quelle raison le Grand Inquisiteur s’est-il déplacé en personne ?

— Il me semble que ce qui s’est passé cette nuit est une raison suffisante.

— Rien ne garantissait que ça finirait ainsi.

— Travailler avec la grande Saalyn était déjà une motivation suffisante. Je n’allais pas laisser cette chance à un autre. Et puis, j’étais en Yrian quand la Résidence a requis mon aide.

— Que faisais-tu là-bas ?

— Je visitais le monde. Je n’étais jamais sorti de Nayt avant. J’ai profité de mon rang pour escamoter une troupe de garde du temple que j’ai déguisé en mercenaires.

— C’est marrant, vous ne ressemblez pas à votre prédécesseur. C’était un bigot sévère qui appliquait la loi à la lettre et n’acceptait pas les secondes chances.

— Ne critiquez pas mon prédécesseur !

Le ton dans la voix était bien celui d’un inquisiteur, pleine d’avertissements.

— Mais, continua-t-il plus doucement, nouvelle direction, nouvelles méthodes. Et même nouveau dieu d’ailleurs. Mon prédécesseur était un adepte de Deimos. Je suis prêtre de Meisos. On dit que les membres de mon ordre sont plus fréquentables.

Elle émit un petit rire de gorge.

— J’ai pu le constater fréquemment. Je préfère de loin avoir affaire aux adorateurs de Meisos.

— Comme tout le monde.

Elle avait déjà eu affaire au fanatisme des adeptes belliqueux du dieu blanc. Qu’ils n’aient plus le contrôle du pays était une bonne nouvelle pour les royaumes voisins, les commerçants et d’une manière générale pour l’ensemble du monde. Sous l’ancienne prélature, elle n’aurait jamais pu circuler librement dans le pays.

— L’inquisition a mauvaise réputation, continua Banerd, même ici, dans son propre pays, alors que les guerriers libres font rêver les mômes du monde entier. Et pourtant nous faisons le même travail.

Saalyn l’interrompit en plein élan d’un doigt sur la bouche. Elle lui passa un bras autour du cou pour l’embrasser de nouveau.

— Cette enquête est loin d’être finie, dit-elle quand elle s’écarta. Je n’ai toujours pas trouvé Deirane.

— Elle a été vue à Kushan.

— Kushan ? Comment le sais-tu ?

Banerd hésita un moment. Puis il se décida, comme si cela n’avait plus d’importance.

— Ton pentarque me l’a dit.

— Comment ?

— Tu sais ce qu’est un sensitif ?

— Je suis Helariasen, lâcha-t-elle platement.

— J’en suis un.

Elle le regarda, surprise.

— Tu ne savais pas qu’il y en avait hors de l’Helaria ?

— Si bien sûr. Les sensitifs apparaissent n’importe où dans le monde. Mais il faut un contact visuel pour établir le premier lien.

— Lors d’une visite à Lynn, à l’occasion de l’intronisation du nouvel archiprêtre, j’ai rencontré votre Pentarque Vespef. Elle a créé le lien.

— Et qu’en dit votre nouvel archiprêtre ?

— Il trouve ça pratique.

— L’ancien vous aurait aussitôt égorgé.

— Nouvel archiprêtre, nouvelles méthodes.

— Laissez-moi deviner. Il vénère Meisos.

Le sourire du Naytain valait toutes les réponses. Öta les rejoignit, une tasse d’une boisson chaude dans chaque main.

— Merci, dit Saalyn en prenant la sienne.

Banerd manifesta plus de ê. Mais il finit par suivre son exemple.

Un demi-monsihon plus tard, tout le monde était prêt, nettoyé, habillé, nourri, allaité, le campement rangé. Il n’y avait plus rien qui traînait sur le sol. Le prochain groupe qui allait bivouaquer ici allait le trouver parfaitement propre. Banerd rejoignit les deux guerriers libres.

— Qu’allez-vous faire de l’esclave ? lui demanda aussitôt Saalyn.

— Je ne sais pas trop, répondit l’inquisiteur, elle sera certainement revendue au marché de Naerre, à moins qu’elle ne soit affectée au service d’un temple.

— Je la prends avec moi.

Banerd réfléchit un instant. L’air décidé de la stoltzin lui dicta sa décision.

— Je peux bien vous la laisser, annonça-t-il enfin. Qu’allez-vous en faire ?

— je la déposerai dans un consulat sur ma route.

— Les consulats sont terres d’Helaria. Dès qu’elle entrera dans l’un d’eux, elle deviendra une femme libre.

— Je sais.

— Dans ce cas, je vous conseille d’aller au-delà des frontières de la Nayt et de sa zone d’influence. Son propriétaire ne se préoccupera pas de la légalité de son affranchissement quand il la retrouvera.

— Merci du conseil. Mais ça tombe bien, j’avais besoin d’une nourrice. Je pense que ses services me seront utiles jusqu’à Sernos.

— Elle ne pourra pas l’allaiter.

— Moi je peux. Elle se chargera du reste.

La jeune fille était peut-être muette, mais elle n’était pas sourde. En entendant les paroles de l’inquisiteur, elle ouvrit grand ses yeux sous la surprise. Femme libre, quelque chose qu’elle n’avait jamais envisagé. Elle avait toujours cru qu’elle finirait sa vie comme esclave et là on lui offrait une toute nouvelle vie.

Sur un signe de Banerd, un mercenaire amena le cheval de la jeune fille.

— Attends, lui dit Saalyn avant qu’elle monte.

Elle lui essuya le visage, détachant toutes les petites pierres sans en laisser aucune. Ainsi nettoyée, elle ne ressemblait plus du tout à Deirane. Ses seuls points communs avec elle, était sa taille et la couleur de ses cheveux.

— Tu es bien mieux comme ça, dit la guerrière libre. On t’a dit pourquoi on t’avait collé tout ça ?

Elle secoua la tête.

— On a cherché à te faire ressembler à une amie à moi pour m’envoyer sur une fausse piste. Non, non, je ne t’en veux pas, ajouta-t-elle devant l’expression de panique de l’esclave. Tu n’y es pour rien. Tu as suffisamment payé pour ça.

— Comment ça payé ? demanda Öta en s’approchant.

— Je pense qu’on lui a coupé la langue pour pas qu’elle ne puisse me révéler quoi que ce soit au cas où je la rattraperais. Je me trompe ?

Elle secoua la tête.

— Ce sont des monstres, dit-il.

La réaction de la jeune fille quand Öta s’était approché n’avait échappé à aucun des deux guerriers libres.

— Je pense qu’en plus le soir elle fournissait la distraction, conclut-il.

— Je crains que tu aies raison, confirma Saalyn.

La guerrière libre n’avait aucun mal à se mettre à la place de la jeune esclave. Elle avait subi ce genre d’épreuves au cours de sa carrière. En particulier, l’année précédente en Orvbel où ça s’était produit de multiples fois. Elle aida leur nouvelle compagne à monter à cheval. Puis elle lui passa Hester.

— On lui achètera des vrais vêtements à Anbes, dit-elle.

— Comment va-t-on faire pour connaître son nom, si elle ne peut pas parler ? demanda Öta.

— Laisse-moi jusqu’à demain pour trouver une solution.

Öta connaissait le secret de son maître. Il devina vite comment elle allait procéder. Cette nuit, elle allait servir d’intermédiaire entre cette jeune fille et un pentarque. Ils pourraient alors communiquer par télépathie. Il est fort probable que sa mémoire serait expurgée de ces souvenirs pour protéger la sensitivité de Saalyn. Au passage, il admira la prévoyance des pentarques qui étaient allés jusqu’à lui adjoindre un sensitif pour préserver le secret de leur enquêtrice. La belle guerrière libre enfourcha son propre cheval, son apprenti fit de même. Quelques stersihons plus tard ils remontaient au nord vers Anbes.

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