Chapitre 37 - Partie 2

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La patrouille s’arrêta devant eux et les bloqua. Leur sergent les salua d’un mouvement de tête.

— Mes seigneurs, je sollicite votre attention, dit-il d’une voix ferme.

Il était poli mais pas obséquieux.

— En quel nom vous l’accorderions-nous ? répondit Biluan en helariamen.

— Au nom de la paix qui règne entre nos peuples.

Deux gardes repoussèrent leur cape, laissant apparaître leurs armes, histoire de rappeler l’origine de cette paix que l’Helaria avait su imposer au peuple Sangären. Chacun avait une longue barre de bois dur capable d’assommer quand elle était maniée par une personne habile. Ils avaient aussi une petite arbalète minuscule, capable de tirer un seul carreau, mais mortelle à courte portée. Un poignard en silex poli complétait l’ensemble. Ça c’était l’équipement visible. Il devait y en avoir autant de caché.

— Au nom de la paix qui règne entre nos peuples, je vous l’accorde, répondit Biluan.

Il rendit son salut à la patrouille.

— Les lois de l’Helaria m’obligent à vous demander pourquoi vous êtes ici et si la femme qui vous accompagne le fait de son plein gré.

— Je suis ici parce que mes affaires m’y amènent et cette femme est ma petite sœur.

— Je dois juste vérifier que ce n’est pas elle l’affaire qui vous amène.

— Mon peuple s’est engagé à respecter les lois de l’Helaria.

Le ton était juste assez sec pour faire comprendre qu’il se sentait insulté que sa parole ait été mise en doute. Deirane intervint.

— Du calme, dit-elle, cet homme ne fait que son travail.

Elle repoussa sa capuche, révélant son visage. Elle regardait le soldat droit dans les yeux – ce qui était un exploit vu sa taille – l’attitude hautaine. Les femmes Sangären étaient parfois des esclaves, mais leur sang était plus fort que leur statut. Elles n’étaient jamais soumises. Et tout acquéreur d’une esclave Sangären découvrait assez vite qu’elle n’était pas aussi obéissante qu’il l’aurait désiré.

— J’ai suivi mon frère parce que je voulais voir la ville.

Il n’était pas difficile de comprendre que bien que cette société soit fortement machiste, elle lui aurait rendu la vie infernale s’il avait refusé.

Les gardes avaient tous le regard fixé sur le visage magnifique que la faible lueur de la lampe laissait en grande partie dans l’ombre. Mais leur chef portait toute son attention au bracelet de perle qu’elle portait au bras gauche. Une Sangären qui portait un bracelet d’identité helarieal ce n’était pas rare. Leur territoire empiétait sur celui de la Pentarchie. De par le droit du sol les tribus installées là pouvaient bénéficier de la nationalité helarieal sur simple demande. Les hommes n’en avaient pas, mais cela ne signifiait rien. Il n’était pas rare qu’un père ou un frère en demande un pour sa fille pour la protéger contre l’esclavage. Mais il faisait trop sombre, il n’arrivait pas à le lire.

— C’est la première fois que vous venez dans une grande ville ?

— Oui, répondit-elle.

Elle remit sa capuche en place, signifiant par là que la conversation était finie. Insister n’aurait que pour effet de mettre les hommes en colère.

— Je vous souhaite un bon séjour, dit-il.

Il s’écarta pour les laisser passer. Biluan reprit le chemin entraînant la petite troupe à sa suite.

Les gardes les regardèrent s’éloigner dans la nuit.

— L’un de vous a-t-il pu lire son bracelet d’identité ? demanda-t-il.

Deux gardes prirent un air penaud, regardant leurs pieds pour éviter d’avoir à soutenir le regard de leur chef.

— Eh bien bravo les gars, dit-il, un joli minois, un corsage bien rempli et vous oubliez votre métier.

— Moi j’ai pu lire le sceau, dit le troisième.

— Il y en a au moins un de récupérable dans le lot. Alors ?

— J’ai eu du mal parce qu’il faisait trop sombre. Mais le nom était court, et j’ai pu juste voir deux lettres, A et L.

— Court comment ?

— Cinq ou six lettres, pas plus.

— On s’en contentera. J’ai pu lire Alc… Ça ressemble plus à un lieu qu’à un nom, mais je ne connais aucun endroit de ce nom en Helaria. Peut-être un petit village.

— Que va-t-on faire ? demanda un de ceux qui n’avaient pas essayé de lire.

— Faire notre rapport. Après ce n’est plus de notre ressort. Si nos supérieurs décident de chercher d’où elle vient, ils chercheront. Mais je doute qu’ils se bougent pour une jeune femme Sangären qui a dû harceler son frère aîné pour visiter la ville. Ils reprirent leur ronde sans se préoccuper davantage de ce groupe de Sangären.

Deirane et son escorte finirent par atteindre l’un des larges chenaux qui permettait aux navires de fort tonnage de pénétrer profondément dans la ville. Les ponts qui l’enjambaient étaient des chefs-d’œuvre d’ingénierie, avec une partie fixe au centre de la voie et quatre vantaux mobiles qui se levaient comme des ponts-levis. Pour le moment, le plus proche était fermé pour permettre le passage des piétons. Mais il était également bien éclairé et surveillé. Biluan préféra ne pas tenter de le traverser. Il avait prévu une barque pour continuer la route.

Une pirogue monoxyle, le type de bateau le plus primitif que fabriquait la Pentarchie, était amarré à l’embouchure d’un chenal débouchant sur le grand canal sud. Elle était juste assez grande pour porter Deirane et son escorte. Une échelle fixée au quai permettait de descendre à son niveau. Ils prirent tous place à bord. À chaque extrémité, un marin saisit une rame et dégagea l’embarcation du bord. Ils s’engagèrent dans le canal. Le pont tout proche éclairait brillamment sa surface, mais sur une courte distance. Ils purent traverser sans s’exposer à la lumière. En face, ils continuèrent par le même moyen, navigant dans les chenaux. La pirogue était parfaitement silencieuse. Un moment, un couple de fêtards un peu éméchés passa sur la route au-dessus d’eux sans remarquer leur présence et ils durent s’immobiliser sous un pont pour éviter de se faire surprendre par une autre patrouille.

Ils finirent par atteindre un quai proche du chenal que s’était creusé le Kush à travers le lac. Le navire était magnifique. À la grande surprise de Deirane, c’était un double coque helarieal. Comment Biluan avait-il fait pour décider son capitaine ? Un Helariasen se livrant au trafic d’esclaves ; il risquait gros s’il se faisait surprendre. Moins d’un an plus tôt, Deirane rêvait de monter sur l’un d’eux. Maintenant, elle allait réaliser son rêve, mais en tant qu’esclave avec un équipage véreux.

En longeant le vaisseau pour atteindre le quai, elle put voir sa coque bleue sombre, lisse, sans un joint, comme si elle était faite d’une pièce et non d’un assemblage de planches. Tout le groupe monta sur le pont sauf les deux marins qui s’en retournèrent. Le capitaine les attendait. C’était un edorian de grande taille, habillé d’une tunique grise et d’un pantalon de cuir râpé par l’usage. Il avait l’air grave.

Malgré la nuit sombre, Deirane essaya de regarder autour d’elle. Le navire était large et plus grand que son ancien moyen de transport. Le pont était d’un seul tenant, faisant des deux coques un ensemble, limité à l’avant et à l’arrière par un gaillard. Il y avait quatre mâts. Mais elle ne put en voir plus, le capitaine se dépêcha d’entraîner tout le monde dans le gaillard d’arrière.

— Vous êtes Biluan ? demanda-t-il.

— Et vous le capitaine Aldegon ? Et voici la cargaison, dit-il en désignant Deirane.

— Je ne veux rien savoir de la cargaison. En ce qui me concerne, vous n’êtes que des passagers payants.

— Nos bagages arriveront demain matin.

— Je les ferais porter à votre cabine.

— Et si vous nous les montriez ?

— Vous n’en avez demandé que deux, mais vous êtes trois.

— Le vieux et la fille dorment ensemble.

Le capitaine leva un sourcil d’étonnement.

— Vous faites ce que vous voulez.

Deirane rougit quand elle comprit ce que le capitaine imaginait.

— Non, non, ce n’est pas ça, dit-elle, c’est mon instructeur.

— Vous faites ça avec qui vous voulez.

Elle devint écarlate. Elle chercha du secours du côté d’Ard. Mais il se retenait d’éclater de rire. Aucune aide à recevoir de ce côté-là. Le commanditaire ne semblait pas s’apercevoir de la situation. Ou plus vraisemblablement il n’y accordait aucune importance. Il s’apprêtait à entrer dans sa chambre. Le capitaine le retint par le bras. Il lui écarta le pan de son manteau.

— Ça, vous ne vous en servez pas sur mon navire ! Jamais !

Du doigt, il désignait la matraque électrique. Biluan riva ses yeux dans ceux du capitaine. Il dégagea son bras.

— Ne posez plus jamais la main sur moi.

— Nous sommes bien d’accord.

Le capitaine regarda l’Orvbelian entrer dans sa cabine qu’il verrouilla de l’intérieur. Il ouvrit alors la porte de Deirane et l’invita à y pénétrer. Ard lui emboîta le pas. Il referma derrière eux.

La première chose dont s’assura la jeune femme fut de pousser le verrou. Puis elle regarda son nouveau domaine. Elle remarqua que sa situation s’était notablement améliorée. Ce navire était, à la base, conçu pour le transport de marchandises. Mais il comportait quelques cabines pour accueillir des passagers. Sa largeur lui permettait de loger confortablement ses occupants. Son ancienne cellule était minuscule ; elle avait eu malgré tout plus de place que le capitaine et son second qui disposaient tout juste de quoi glisser une couchette. Ici, c’était presque aussi grand que sa chambre dans la ferme que son père. Et une immense fenêtre qui occupait toute la paroi extérieure rendait l’endroit bien plus clair. Les meubles, sans être luxueux, étaient solides et fonctionnels avec suffisamment de penderies, d’armoires et de coffres pour ranger toutes ses affaires dès qu’elles seraient arrivées. Il y avait un miroir au-dessus d’une table équipée de nombreux petits tiroirs et un autre en pied. Et le point que remarqua de suite la jeune femme, un luxe qui lui avait bien manqué au début de son voyage, un paravent. C’était le seul élément qui n’était pas fixé au sol, mais il pouvait s’accrocher au mur, pour ne pas valdinguer partout en cas de tempête. Elle pouvait l’utiliser pour s’habiller à l’abri des regards ou isoler son lit de celui d’Ard. Elle ouvrit une porte. Elle donnait sur une petite salle de bains disposant du même équipement qu’elle avait connu autrefois à l’ambassade. Ce n’était pas le grand luxe, mais un confort qu’elle n’avait que rarement connu dans sa vie.

Sauf qu’en changeant de bateau, elle avait perdu tous les alliés qu’elle avait pu se faire pendant le début de son voyage sur le fleuve.

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