Chapitre 29 - Partie 2

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Elle se retourna. Les deux drows sur les talons, elle se dirigeait vers la sortie.

— Je pourrais vous faire tuer pour cet affront, cria Brun.

Elle s’arrêta, le regarda droit dans les yeux. Le jeune roi sentit ses os se liquéfier sous la terreur.

— Bonne chance, dit-elle simplement.

Puis, elle quitta la salle. Brun regarda la porte qui se refermait.

— J’ai bien envie de lui envoyer quelques gardes, histoire de donner moi aussi une leçon à l’Helaria, lâcha Brun.

— Les feythas ont essayé. Elle est toujours là, répondit Dayan.

— Tu la connais ?

— Bien sûr. Elle est dans nos livres d’histoire.

— Raconte.

— Elle dirigeait un domaine dans le pic de Bathis, au-dessus d’Elmin.

— Tu veux dire le cirque de Bathis, corrigea Brun.

— À l’époque c’était un pic. Puis les feythas sont arrivés.

— Je vois. Quelles armes impressionnantes ils avaient !

Il se perdit un bref instant dans ses rêveries.

— Que ne ferais-je pas si j’en avais quelques-unes.

Le brouhaha des courtisans attira son attention. Il les regarda, étonné de les voir là, comme s’il avait oublié leur présence. Leur futilité l’excédait. En temps normal il les supportait, mais pas aujourd’hui.

— Que faites-vous encore ici ? Dégagez ! s’écria-t-il.

Ils sortirent précipitamment, se bousculant à la porte. Seuls quelques-uns attendirent que la cohue soit passée pour quitter dignement la salle, non sans saluer leur roi auparavant. Dayan nota mentalement leur nom. À l’avenir, ils pourraient se révéler précieux. Ou une menace, il ne pouvait se décider encore.

Le monarque et son ministre retournèrent à la tour de guet du palais pour voir la délégation de l’Helaria partir. Devant eux, les gens s’écartaient. Même les gardes préféraient s’enfuir plutôt que de gêner leur progression. Avec rage, Brun vit quatre femmes, quatre esclaves, braver leur peur pour se glisser entre les drows et la gems. Ils ne se préoccupèrent pas d’elles, mais ils ne les chassèrent pas non plus. Aucun garde ne serait assez fou pour aller les récupérer. Il ferait des exemples bien sûr. Il ne pouvait pas laisser passer un tel manquement au devoir. Mais il savait que cela ne changerait rien. La prochaine fois qu’une situation identique se reproduirait, ils réagiraient de la même façon.

La cohue sur le port attira leur attention. Le quai auquel le seul navire helarieal à être entré dans le port s’était amarré avait été sécurisé par les soldats de la Pentarchie. Tous les gardes de la ville en avaient été refoulés. Mais les esclaves en fuite qui cherchaient à y pénétrer le faisaient sans aucun obstacle et de là, montaient librement à bord du vaisseau de guerre. Les Helariaseny étaient en train de lui voler ses richesses. De la tour de défense la plus proche, un archer tentait d’endiguer le flot de fuyards en décochant ses flèches. Il réussit à atteindre une réfugiée sur le pont du navire. Un tir de baliste lui répondit aussitôt, mettant un terme à son activité et certainement à sa vie aussi.

En rage, Brun quitta le poste de surveillance pour ne plus voir son pays se faire piller. Aujourd’hui, l’Orvbel ne serait pas brûlé. Mais ce qu’il subissait n’était guère mieux. Certaines esclaves étaient chères à acquérir. Quelques-uns de ses commerçants seraient ruinés après le départ des Helariaseny. Il se précipita dans le petit cabinet où il réglait les affaires courantes.

Moins d’un monsihon plus tard, Dayan le rejoignit. Le roi tournait en rond, comme un hofec en cage.

— Alors, demanda le roi, quelles sont nos pertes ?

— Trente-sept esclaves se sont enfuies, elles sont allées chercher refuge sur le navire helarieal. La plupart sont des prostituées des maisons closes voisines du quai.

Brun balaya la remarque de la main. Il était rassuré. Ça aurait pu être pire.

— Les putes n’ont que peu de valeurs, dit-il. Elles sont là pour empêcher les marins étrangers d’aller voir dans le cheptel de nos négociants.

— Mais nous sommes un petit port avec peu de passage. Trente-sept, c’est les deux tiers de notre effectif. Les marins vont s’agiter.

— Nous irons faire quelques razzias sur les côtes d’alliés de l’Helaria pour en trouver d’autres. La tour ? Elle est détruite ?

— Non, mais son équipement est hors d’usage et l’archer est mort. Ce sont nos seules pertes humaines et matérielles.

— Sur ce plan-là oui. Par contre, le message des pentarques est inquiétant, à double titre.

Dayan opina du chef.

— Ces hommes sont bien les assassins que nous avons envoyés tuer Ternine ? demanda Brun.

— C’est bien eux, j’ai vérifié.

— La question est : ont-ils accompli leur mission avant d’être tués ou non ? Ternine connaît quelques-unes de nos opérations et de nos voies d’approvisionnement.

— Ce n’est pas ça l’important, remarqua le ministre. Les révélations de Ternine apprendront aux autres royaumes que nous ne nous contentons pas d’être un marché aux esclaves mais que nous organisons la capture de certains. En particulier, il est au courant de cette opération qui concerne cette jeune paysanne, Deirane.

Dayan réfléchit à cette remarque.

— Nous avons tout fait pour que personne ne remonte jusqu’à nous. A priori, si nous ne changeons rien, tout devrait bien se passer. Et puis, nous avons fait attention à transmettre de fausses informations à Ternine, au cas où il parlerait.

— De toute façon, elle n’est pas Helariasen. L’Helaria ne fera rien et l’Yrian ne peut rien contre nous, remarqua Brun.

— Nous ne produisons pas assez de nourriture. L’Yrian pourrait nous poser des problèmes le temps qu’on trouve d’autres sources d’approvisionnement. Nos alliés du Lumensten pourront nous permettre de tenir un temps. Mais leur situation agricole est similaire à la nôtre.

— Ne devrions-nous pas diversifier nos sources dès maintenant ?

— Je m’en chargerai. Mais notre vrai problème est Ternine et ses révélations.

— Serait-il possible d’envoyer un enquêteur en Helaria pour savoir ce qu’il est devenu ?

— Je dois avoir ça sous la main, répondit Dayan, mais il devra être prudent. S’il se fait prendre, il ne faudra pas qu’on puisse le relier à nous.

— Au fait, et la main ?

— Je ne sais pas. Mais la bague me fait penser qu’il s’agit là d’un de nos alliés. Peut-être du Lumensten.

— J’espère que l’Helaria ne soupçonne pas à quel point nous avons noyauté cette province. Nous avons trop à perdre s’ils nous en expulsaient.

— Ils n’en ont pas les moyens. La région est trop instable. Ils doivent pouvoir récupérer une ou deux villes de force, mais au-delà, ils grèveraient tant de leurs ressources pour les tenir qu’ils s’exposeraient ailleurs. Ils procèdent par petites touches.

Brun frappa du poing sur la table.

— Mais qu’ont donc ces Helariaseny que nous soyons obligés de nous aplatir devant eux, cria-t-il.

— Une armée, suggéra Dayan.

— Nous savons faire des navires. Et nous disposons de bois en abondance. Pourquoi ne construisons-nous pas une flotte capable de rivaliser avec la leur ?

— Nous n’avons pas la population nécessaire pour l’équiper. Nous ne sommes qu’une cité avec quelques villages autour alors qu’ils sont un grand pays avec plusieurs métropoles.

— Recrutons des mercenaires. Nous sommes assez riches pour recruter la moitié de ceux disponibles du continent.

— Même en les recrutant tous, ça ne serait pas suffisant. Ils ont une armée estimée à plus de treize mille hommes, huit légions et pourraient en mobiliser cent mille de plus en moins d’un mois. Sans compter presque cinquante navires de guerre. Il n’y a pas assez de mercenaires dans le monde pour faire face à une telle force. Non, il faudrait trouver quelque chose de différent.

— Quoi ?

— Je n’en ai aucune idée.

— Comment font-ils pour avoir une armée aussi importante ? C’est incroyable. Presque aussi importante que celle de l’Yrian alors qu’ils sont trois fois moins nombreux.

— Les stoltzt qui constituent la moitié de leur population mangent quatre fois moins que les humains. Ils ont donc moins besoin de paysans pour se nourrir. Un Helariasen sur deux seulement est paysan contre neuf Yriani sur dix. Ils peuvent consacrer plus de ressources au reste. S’il était peuplé uniquement d’humains, l’Helaria ne pourrait pas tenir.

Brun fit quelques pas autour de la table. Brusquement, il se retourna. De rage, il balaya le contenu de la table sur le sol.

— Envoie cet espion pour enquêter sur Ternine, ordonna-t-il.

— Je vais donner les ordres immédiatement.

— Et trouve une solution pour nous débarrasser de ces serpents.

Il donna un dernier coup de poing contre le mur, se blessant aux phalanges. Il les regarda, comme surpris de voir le sang couler. Il l’essuya distraitement du pouce de l’autre main. Puis il quitta la pièce.

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