Chapitre 17 - Partie 2

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— Je ne sais pas. Je n’ai aucun moyen d’identifier le corps.

— Il n’y avait que la traînée qu’il avait ramenée avec lui qui avait de la valeur.

Saalyn ne releva pas l’insulte. Elle connaissait suffisamment les humains et leurs sentiments. Elle savait que les femmes d’une famille voyaient rarement l’arrivée d’une nouvelle venue d’un bon œil.

— Ses seuls biens étaient sa ferme. Il n’avait que quelques outils en bronze, répondit un homme. Rien qui intéresse des assassins.

— Je n’ai pas dit qu’il a été assassiné.

— C’était implicite dans vos questions.

Celui-là était intelligent. Elle reconnut celui avait été presque paralysé en la voyant.

— Qui êtes-vous pour Dresil ?.

— J’étais un de ses plus proches amis. Mon nom est Vorsu.

Saalyn sortit un petit carnet et un crayon. Le jeune paysan regarda les deux objets d’un air admiratif. Il n’avait jamais rien vu de tel. À la limite, il pouvait imaginer comment fabriquer un carnet. Ce n’était qu’un petit codex vierge. Mais le crayon, une sorte de plume manufacturée en bois capable d’écrire des lignes entières sans être rechargée était quelque chose d’extraordinaire. Il soupçonnait que même en Helaria c’était quelque chose de rare, réservée à quelques personnes.

La mine du crayon était cassée. Saalyn sortit un couteau d’une poche de son chemisier, un petit canif pliable, pour le tailler. Quand elle estima la pointe suffisamment fine pour ses besoins, elle rangea l’outil. Elle nota tout ce que Vorsu venait de lui dire de son écriture fine. Il se pencha pour voir ce qu’elle écrivait. Mais contrairement à son ami Mace, il ne savait pas lire l’helariamen. Ni l’yriani d’ailleurs. Il aimait bien les histoires, les grandes épopées, la poésie. Mais comme beaucoup de paysans d’Ectrasyc, il préférait les entendre de la bouche des conteurs itinérants qui passaient parfois dans leur communauté. Ils étaient capables d’aller au-delà des mots pour rendre l’histoire vivante. Ils parvenaient même à faire oublier que dans la plupart des cas, les héros étaient des stoltzt, parfois des gems, plus rarement encore des bawcks. Mais quasiment aucune épopée ne mettait en scène un représentant des nouveaux peuples.

— Vorsu !

Le ton de Saalyn était nettement impératif. Vorsu se rendit compte qu’elle lui posait une question, mais perdu dans ses pensées, il n’avait pas entendu.

— Excusez-moi, dit-il.

— Il n’y a pas de problème. Vous disiez tout à l’heure avoir remarqué beaucoup de passage. Quel genre de passage ?

— Des petits groupes, quatre ou cinq personnes à chaque fois. Pas plus. Des négociants.

— Vous en êtes sûr ?

— Qu’est-ce que ça pourrait être d’autre ?

De la main elle désigna les ruines fumantes derrière elle.

— À votre avis, ce sont des négociants qui ont fait ça ?

Vorsu ne répondit pas. Il avait compris.

— Étaient-ils armés ? continua Saalyn.

— Les négociants ont toujours des gardes pour se protéger.

— L’Yrian est un endroit relativement sûr. Une escorte légère suffit pour assurer sa protection. Mais un négociant qui sort du royaume, pour aller sur la grande route de l’est par exemple, aura besoin d’une meilleure protection. Essayez de décrire l’équipement qu’ils avaient.

Vorsu se concentra, rappelant ses souvenirs.

— J’ai vu surtout des hommes équipés de cuirasse. Montés sur des chevaux. Certains une épée dans le dos, d’autre sur le cheval.

— Des chariots de marchandise ?

— Non, mais ça n’a rien d’extraordinaire. Certains marchands achètent la récolte sur pied pour être sûr d’être fournis et viennent la chercher plus tard.

Saalyn hocha la tête. Elle connaissait bien tout cela. Avant d’être guerrière libre, elle vivait en vendant ses services dans ce genre d’escorte. La seule différence est qu’à l’époque il n’y avait pas encore d’humains, les clients étaient tous stoltzt.

— Vous avez reconnu quelques-uns de ces négociants ? demanda-t-elle.

— Je n’ai pas fait attention.

— Si je vous disais que certains de ces groupes étaient en fait des pillards en repérage, seriez-vous surpris ?

— Des pillards ?

Vorsu réfléchit un moment.

— J’y ai pensé. Mais il n’y a rien à voler chez nous. J’imagine mal des pillards venir s’emparer d’un chargement de laine ou de courgettes. Ça m’a semblé ridicule.

— Il n’y a rien à voler ? Vous connaissez Deirane ?

— En effet. Elle a de la valeur. Mais elle a dit qu’on ne pouvait pas lui prendre les diamants, ceux qui avaient essayé sont tous morts.

— Ça n’empêchera pas les plus cupides de tenter leur chance malgré tout. Et puis, par elle-même, avec ses diamants en place, elle a une valeur immense. Je connais un certains nombre de personnes qui seraient prêts à dépenser une fortune pour la posséder.

— Sauf qu’une telle personne sait que tu te lancerais aussitôt à la chasse, intervint Öta.

— Je comptai sur mon nom pour la protéger, remarqua Saalyn d’un ton désabusé. Ça n’a pas suffi.

Nëppë, qui jusqu’à présent s’était tenue à l’écart de la discussion, intervint alors.

— Vous voulez dire que c’est à cause de cette fille qu’il a ramenée que Dresil est mort ? demanda-t-elle.

— Non, il est mort à cause de pillards.

— Je savais qu’elle poserait des problèmes quand je l’ai vue la première fois.

— Maintenant ça suffit, je comprends que vous soyez bouleversée. Mais elle n’est pas responsable de ce qui s’est passé.

Öta leva la main pour réclamer l’attention.

— Vous pourriez vous taire un instant ?

— S’il l’avait laissée où elle était, il serait toujours vivant, continua Nëppë.

— Et pourquoi aurait-elle dû renoncer à tout sous prétexte qu’un malade mental lui a greffé des diamants dans la peau ?

— Saalyn ? essaya Öta une nouvelle fois.

— Si elle ne les désirait pas, elle aurait dû se faire enlever ces pierres.

— Qui vous dit qu’elle n’a pas essayé ?

— SILENCE !

Le cri d’Öta surprit tout le monde. Avec sa carrure, sa voix pouvait prendre un volume impressionnant. D’un même mouvement, Saalyn et Nëppë tournèrent la tête vers lui. La guerrière blonde, qui connaissait le sang-froid de son apprenti, affichait nettement son étonnement sur son visage.

— Vous n’avez rien entendu ? demanda-t-il d’un ton plus doux.

Saalyn dressa l’oreille. Le jeune stoltzen avait raison, il y avait un bruit de l’autre côté des ruines. Comme des pleurs. La guerrière courut vers son origine. Se guidant grâce à ses oreilles, elle tailla dans les fourrés. Elle se baissa pour ramasser quelque chose. Quand elle retourna près du groupe, ils virent qu’elle tenait un bébé serré contre sa poitrine.

Nëppë se précipita à sa rencontre.

— C’est le fils de Deirane, dit-elle.

— Il a faim. Et il a dû respirer un peu de fumée.

— Il est fatigué aussi. Ses pleurs sont trop faibles.

Saalyn dénoua les lacets de son corsage. Elle dégagea un sein. Avec précaution – elle manquait d’entraînement dans ce domaine – elle amena la petite tête jusqu’au téton. Le nourrisson l’attrapa mollement.

— Ça ne servira pas à grand-chose, remarqua Nëppë.

— Ça le calmera, répondit Saalyn.

Relevant la tête, elle croisa le regard de Vorsu qui ne perdait pas une miette du spectacle. Elle lui adressa un sourire qui le mit mal à l’aise. Il détourna les yeux. Nëppë avait remarqué toute la scène. Elle eut un sourire indulgent pour son ami.

— Vous savez qu’il vous vénère, dit-elle, vous venez de lui offrir un souvenir inoubliable.

— Je suis heureuse de participer à son bien être.

Devant le ton sarcastique de ces paroles, la jeune humaine se sentit obligée de défendre son ami.

— Il ne faut pas être trop sévère avec lui. Ça date de quand il était enfant. Il s’était foulé la cheville. Vous l’avez pris sur votre cheval et ramené chez lui.

— J’ai pris beaucoup d’enfants sur mon cheval.

Néanmoins, la guerrière libre s’était radoucie. Elle reporta son attention sur le petit être qu’elle avait recueilli. Blotti au creux de bras protecteurs, la joue contre une poitrine accueillante, le nourrisson s’était calmé. La texture et la chaleur de la peau n’était pas la même que celle de sa mère, mais c’était une odeur connue, rassurante. Les trois premiers mois de sa vie, il s’était souvent endormi dans ces mêmes bras. Il avait laissé échapper le téton, vu que ses efforts pour lui soutirer du lait demeuraient vains. Il commençait à s’endormir, l’épuisement l’emportant sur la faim. Nëppë lui caressa la joue.

— Il faut rentrer chez moi, dit-elle, j’ai du lait pour lui.

— C’est une excellente idée.

Elle appela son disciple qui la rejoignit en quelques pas.

— Je rentre avec la sœur de Dresil pour m’occuper d’Hester. Toi, fouille la ferme et la forêt. Si son fils s’y trouve, Deirane y est peut-être aussi.

— Tu ne crois plus qu’elle a été enlevée ?

— J’ai du mal à comprendre que ses ravisseurs aient abandonné son enfant. Après tout, c’est un levier efficace pour contrôler une femme.

— Alors on revient à un pillage.

— Pour le moment, je n’écarte aucune hypothèse. C’est une ferme. S’il n’y a pas beaucoup d’argent, il y a du matériel qui a de la valeur. Des outils en fer. C’est une coïncidence bien étrange. Mais les coïncidences ça existe.

— C’est une exploitation de fruits secs, intervint Nëppë, un sécateur, une scie, une hache et une pelle, son équipement en métal se limite à ça. Et en bronze, pas en fer. Tout le reste est en bois ou en pierre.

Saalyn hocha la tête.

— Cherche aussi les outils. Et puis examine la route, il faut savoir dans quelle direction ils sont partis et comment.

Öta fit un bref salut pour dire qu’il avait compris. Il appela les hommes pour organiser les recherches.

Saalyn allait devoir monter à cheval avec le bébé. Elle allait avoir besoin de ses bras. Avec l’aide de Nëppë, elle le glissa sous sa tunique, directement contre la peau. Le décolleté était à peine assez large pour que le nourrisson puisse passer. Comme elle n’était pas sûre que le tissu résisterait au poids du nourrisson – âgé de quelques mois, il commençait à peser – elle enleva sa ceinture qu’elle noua juste sous la poitrine.

Saalyn n’avait jamais eu d’enfant. Occasionnellement, elle en avait surveillé pour des amis. Calen, en particulier, en faisait presque un tous les cinq ans depuis la victoire contre les feythas, soixante ans plus tôt. Le sentir blotti contre sa poitrine lui laissait une sensation étrange. Surtout un bébé humain, qui dégageait de la chaleur, beaucoup de chaleur. Pour un stoltz, au sang plus froid, c’était bizarre, et pas désagréable.

Saalyn n’avait pas attaché son cheval quand elle était arrivée. Instinctivement, il s’était éloigné de l’incendie. Mais il ne s’était pas enfui. Il avait trouvé ses congénères qu’Öta avait entravés de l’autre côté de la rivière. Il broutait en leur compagnie. La guerrière le prit par les rennes, mais elle décida d’aller à pied ; Nëppë ne savait pas monter.

Effectivement la sœur de Dresil n’habitait pas loin. Il fallut à peine plus de deux calsihons pour atteindre sa ferme. Elle était organisée différemment de celle de Dresil. En plus du corps de ferme et de la grange, elle comportait deux autres bâtiments destiné à abriter les animaux. Le premier pour les juraves, l’animal de basse-cour traditionnel des stoltzt, était équipé de portes solides qui pouvaient être closes la nuit. On pouvait voir également tous les renforts destinés à rendre difficile l’entrée des petits prédateurs. Devant, un enclos délimitait une cour où les animaux pouvaient sortir pendant la journée. Le second bâtiment servait à faire sécher la charcuterie en cours de préparation.

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