Chapitre 12 - Partie 1

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L’homme, tout autant que sa monture, semblait fatigué. Il venait de Karghezo, ce qui expliquait son état. La traversée du désert du plateau de l’Yrian oriental pouvait être éprouvante si on n’avait pas pris quelques précautions élémentaires. Il semblait être dans ce cas, pas de manteau couvrant et pas assez d’eau. Un étranger qui ne connaissait pas les particularités du trajet. Il n’avait pas pris la route principale qui reliait la capitale provinciale à Sernos, préférant les petits chemins. En soi, c’était intelligent, il avait plus de chance de trouver un abri que sur les grandes artères. Son trajet finit par longer une petite rivière. Il ne s’arrêta pas pour autant pour étancher sa soif et celle de son cheval. Il ne savait pas si l’eau était empoisonnée et il n’avait pas le matériel pour la tester. La bonne mine des arbres lui disaient qu’elle était saine, mais ce n’était pas sûr. Ils pouvaient avoir des racines suffisamment profondes pour atteindre la nappe phréatique alors que les eaux de surface seraient mortelles à boire.

Sous le couvert des arbres, l’air était plus frais. Cela sembla redonner un semblant d’énergie au hongre qui accéléra sensiblement l’allure. Comme il soutenait son nouveau rythme, le cavalier comprit qu’il avait senti quelque chose qui l’attirait. Il le vit juste après un virage.

Un petit pont de bois enjambait la rivière. Ce n’était pas un simple assemblage de planches comme on en voyait tant dans le coin, mais de solides rondins, posés bien au-dessus de la surface pour ne pas être emporté par les crues. Des planches parfaitement équarries aplanissaient son tablier lui permettant d’être utilisé par les charrettes comme par les piétons. Une double barrière complétait l’ensemble. Il devait être agréable de s’y appuyer pour regarder l’eau couler.

Le cavalier observa l’œuvre. De toute évidence, celui qui l’avait construit aimait le travail bien fait. Il était beau, fonctionnel et solide. Ça le décida. Il s’y engagea. Sous le poids du sabot, une planche s’enfonça légèrement, agitant une cloche qui tinta clairement dans le silence. Intelligent ! Le maître des lieux avait prévu un système qui prévenait toute approche.

La ferme n’était pas bien loin, juste derrière le rideau d’arbre qui longeait la berge. Elle n’était pas très grande, mais elle était construite à l’égal du pont, avec beaucoup de soin. Il y avait trois bâtiments, une grange qui servait aussi d’écurie, une étable et le corps de ferme proprement dit. Ce dernier était petit, mais des planches neuves indiquaient un ajout récent. La maison avait d’ailleurs été conçue pour être agrandie facilement. Il était probable que dans quelques siècles, s’élève ici une immense villa qui se serait construite autour de ce noyau.

Il n’y avait pas de champs à proximité. L’occupant ne vivait pas de la culture du blé, ni de légumes, même si un petit potager occupait une zone à gauche de la maison. L’alignement parfait et la taille homogène des arbres à l’arrière-plan lui donna l’explication. Il cultivait des fruits ; frais ou secs, il ne saurait le dire. Au passage, il comprit pourquoi les lieux étaient si soignés. Ce genre de travail nécessitait beaucoup d’efforts, surtout à la plantation des arbres – et vu la quantité, il n’avait pas chômé – mais peu de temps. Il pouvait consacrer une partie de ses loisirs à l’embellissement des lieux.

Il y avait de la fumée qui sortait de la cheminée. L’endroit était occupé. Il guida son cheval jusqu’à la cour. Il descendit de son cheval, qu’il laissa sur place, sans l’attacher. Ce dernier était de toute façon trop fatigué pour s’éloigner. Tout au plus, il alla jusqu’à l’abreuvoir pour se désaltérer. Du plat de la main, l’homme épousseta son pantalon, Il secoua le tissu pour bien le faire tomber sur les chevilles. Il rajusta son gilet. Ainsi préparé, il se dirigea vers la porte.

Il allait frapper quand elle s’ouvrit. Les deux hommes se regardèrent un instant, surpris de se trouver l’un face à l’autre. Ce fut l’inconnu qui prit la parole le premier.

— Je m’appelle Valdon, je suis négociant. Je vais de Karghezo à Sernos. Je n’ai pas prévu assez d’eau. En passant j’ai vu votre ferme. Je me suis dit…

— Vous voulez de quoi boire ?

— Et aussi si possible un endroit pour passer la nuit.

Dresil examina l’inconnu, essayant de déterminer s’il représentait un danger. Il n’avait visiblement pas d’arme. Et il semblait vraiment épuisé, ainsi que sa monture qui attendait patiemment devant la porte de l’écurie.

— Pour l’eau pas de problème, répondit Dresil, pour le logement par contre, la maison est trop petite. Si vous restez ici cette nuit, il vous faudra dormir dans la grange.

— Je n’en espérais pas d’avantage.

— Je vous donne à boire puis nous irons nous occuper de votre cheval.

Dresil l’invita à entrer. Le voyageur accepta avec gratitude le contenu d’une carafe.

— Merci dit-il après avoir bu deux grands verres, j’ignorai si l’eau de la rivière était saine.

— Plus en aval, elle reçoit des affluents empoisonnés. Mais ici elle est pure.

— C’est bon à savoir.

Tout en rinçant le verre, Dresil demanda :

— Que négociez-vous ?

— Un peu de tout, à partir du moment où ça rapporte, répondit l’inconnu.

— Et vous avez une préférence ? Les œuvres d’art, les produits agricoles, artisanaux ?

— Je préfère l’hydromel. Les œuvres d’art constituent un marché étroit. On ne les consomme pas. Quand on en a acquis une, on la garde pour la vie. Les produits agricoles nécessitent un renouvellement constant, mais ils ne coûtent pas cher.

— L’hydromel coûte cher et nécessite un approvisionnement constant, conclut Dresil.

— Je vois que vous comprenez vite.

— Je vis de ce que je produis. Si nous allions voir ce cheval ?

Le fermier guida le visiteur à l’extérieur. La monture attendait patiemment devant la porte fermée de l’écurie. Dresil le mena jusqu’à une stalle vide, il lui donna un peu de fourrage. Puis avec son propriétaire, il entreprit de l’étriller.

— Vous vivez seul ? demanda le négociant.

— Ma femme est allée faire prendre l’air à notre fils.

— Vous êtes marié depuis peu, alors.

— Comment pouvez-vous savoir ça ?

— L’aménagement de votre maison. On y sent la patte d’une femme. Mais elle est discrète. Ça fait peu de temps qu’elle habite ici. Elle n’a pas eu le temps de tout disposer selon son goût.

— Excellente déduction. On ne vit ensemble que depuis quelques douzaines.

Ne sachant plus que dire, les deux hommes continuèrent les soins du cheval dans le silence.

Quand, leur tâche terminée, ils rentrèrent dans la maison, la pièce principale était toujours vide, mais une voie féminine qui chantonnait une berceuse leur venait de la pièce d’à côté.

— On dirait que votre femme est rentrée, dit le négociant.

— Elle met notre fils au lit.

— Quel âge a votre fils ?

— Quelques mois seulement.

— C’est bien jeune. Vous ne l’avez pas mis au monde dans cet endroit isolé ?

Dresil prit deux chopes sur l’étagère et les posa sur la table. Il invita leur visiteur à s’asseoir.

— Nous ne sommes pas isolés. Les fermes les plus proches ne sont qu’à un peu plus d’un calsihon de marche.

— Excusez-moi, je ne voulais pas vous vexer.

— Ce n’est pas le cas. Je voulais juste souligner un point.

Tout en remplissant les deux chopes presque à ras bord d’une bière brune à la mousse épaisse, il continua.

— Mais vous avez raison, Hester n’est pas né ici, mais à Sernos.

— Excellent choix. Sernos dispose du meilleur savoir faire au monde en matière médicale.

— Longue vie au roi d’Yrian.

Le négociant répéta la phrase, ils trinquèrent.

— Comment faites-vous pour la garder si fraîche par cette chaleur ? s’écria le voyageur.

— Nous avons nos petits secrets nous autres de la campagne, répondit Dresil d’un air mystérieux.

— En introduisant cette technique en ville, vous pourriez devenir riche.

— J’en doute. Ma méthode est très connue au sud d’ici. Elle ne tardera pas à atteindre nos frontières.

— Salirian ?

— Encore plus

— Helaria ?

— Encore plus.

— Mais il n’y a plus rien au sud de l’Helaria, que l’océan.

— Mustul sur l’autre continent.

— Ah, dit-il simplement, je l’avais oublié.

Il but une autre gorgée de bière avant d’ajouter :

— Une technique pour garder les boissons au frais ne pouvait provenir que d’une nation installée dans un désert.

— J’ignorai que le Mustul était désert.

— C’est une savane en fait, parfaite pour des éleveurs de chevaux. Alors vous allez me révéler votre secret ?

— L’eau est mise dans une sorte de vase en terre cuite exposé au soleil. Il transpire. En s’évaporant, l’humidité refroidit le contenu. La bière est dans une outre plongée dedans.

— Et c’est efficace.

— Un peu. L’eau ne devient pas froide, mais elle n’est pas aussi chaude que le ferait craindre la chaleur ambiante.

— Au Salirian, ils immergent des amphores au fond de l’Unster, expliqua le voyageur.

— La rivière devant ma maison fait à peine deux mains de profondeur.

Ils finirent leur chope, Dresil les remplit une fois de plus. C’est à ce moment que Deirane sortit de la chambre. En entendant les voix dans la pièce principale, elle avait pris quelques précautions. Elle avait enfilé une robe à manches longues, sans décolleté, qui mettait ses formes en valeur mais la découvrait le moins possible. Elle avait ceint son front d’un bandeau de cuir gravé comme en portaient quelques femmes pauvres en guise de bijoux. Pour le dos des mains et les joues, elle n’avait aucun moyen de les cacher. Il fallait espérer que leur visiteur ne verrait rien. Elle avait bien mis en évidence sa poitrine, gonflée par l’allaitement, en espérant qu’elle concentrerait toute l’attention du visiteur. Mais même s’il remarquait quelque chose, de toute façon, ses particularités n’étaient certainement pas passées inaperçues lors de sa visite à la capitale de la province.

Deirane sourit d’un air timide. Elle rejoignit son futur mari et tira une chaise pour s’installer à côté de lui. Pendant tout son déplacement, le négociant ne la quitta pas du regard. Il avait l’air à la fois surpris et réjoui.

— Je vous présente ma femme Deirane, dit Dresil.

— J’ignorai en m’arrêtant ici que je rencontrerai une personne aussi belle, dit Valdon. Je ne regrette pas d’être passé.

Deirane rougit sous le compliment. L’inconnu lui tendit la main. S’il la touchait, il sentirait aussitôt les pierres, dures et en relief sur sa peau. Elle ne répondit pas, le laissant un instant désemparé.

Il la suivit du regard pendant qu’elle allait se chercher une chope. Elle s’installa à côté de son compagnon, repoussant les branchettes que Dresil écorçait quand le voyageur s’était présenté, récupérant cette épice qui représentait un tiers de leurs revenus. Le jeune agriculteur la servit.

— Les campagnes de l’Yrian recèlent bien des surprises, dit-il enfin quand la jeune femme fut assise.

— Je ne crois pas être une surprise, répliqua Deirane, je ne suis qu’une paysanne tout à fait normale.

— Paysanne certainement, normale permettez-moi d’en douter. Je connais des nobles ou des artistes qui tueraient pour avoir un visage comme le vôtre.

Deirane masqua sa gêne en prenant une gorgée de bière. Il y avait quelque chose qui la mettait mal à l’aise chez cette personne. Ce n’était tant le fait qu’il la déshabillait du regard, ni les compliments. Elle en avait l’habitude. Son père l’emmenait souvent à Ortuin, capitale de sa province de naissance. Depuis que sa silhouette avait évolué à l’entrée de l’adolescence, elle était en butte à des remarques et des propositions bien pire. Elle avait appris à les ignorer. Elle n’avait pas encore l’habileté de sa sœur aînée Cleriance, capable de sentir se faire honteux les opportuns en leur lançant une réponse bien choisie. Mais elle savait y faire face. Ce qu’elle ressentait face à cet inconnu, c’était différent. Elle n’arrivait pas à savoir ce qui la mettait mal à l’aise.

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