Chapitre 10 - Partie 2

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Elle prit pied à quelques dizaines de perches de lui. Elle leva les bras pour ramener ses cheveux dans le dos. Il admira le corps nu, superbe, offert à ses regards. En d'autres lieux, se montrer ainsi aurait eu une signification. Mais en Helaria, il ne savait pas. Comme partout dans le monde, les hommes et les femmes devaient se faire des avances. Mais il ignorait pas quelles formes elles pouvaient prendre dans un pays qui ne connaissait pas la pudeur.

— Vous ne vous baignez pas ? lui demanda-t-elle quand elle arriva près de lui.

— Je ne sais pas nager.

— Si vous comptez vous installer ici, vous allez devoir apprendre.

— Qu’est-ce qui vous dit que je compte vivre en Helaria ?

— Je doute que vous puissiez retourner en Orvbel avant un moment.

Elle s’éloigna pour ramasser une pièce de tissu jetée sur le sable. Il en profita pour la détailler davantage. Son hérédité conjuguée à la vie au grand air lui avait sculpté un corps superbe. Mentalement, il la compara aux femmes qu’il connaissait. Les différences étaient minimes. De dos, bien peu auraient été capables de faire la distinction. Tout au plus avait-elle les hanches un peu moins larges, ce qui n’avait rien de surprenant. Les humaines donnaient naissance à des nourrissons déjà formés alors que les stoltzint pondaient des œufs bien plus petits. Elles ne connaissaient pas les affres de l’enfantement et ne mouraient jamais en couche. Il y avait aussi la peau chatoyante, aux reflets qui changeaient constamment quand le soleil jouait sur elle. Les stoltzt pouvaient modifier leur couleur à volonté. Certains, très doués, pouvaient même dessiner des motifs sur la peau. C’est ce que l’on appelait, quand il était associé à la danse, l’Art corporel. Il n’avait jamais eu la chance d’assister à un tel spectacle. Il ne sortait pas des frontières de la Pentarchie. Mais peut-être en aurait-il l’occasion un jour prochain, surtout s’il devait finir sa vie dans ce pays.

Elle revint vers lui, un instant il espéra qu’elle se contenterait de jeter l’étoffe sur son épaule. En Orvbel, ou ailleurs, qu’une femme s’offrît ainsi aux regards d’un homme signifiait qu’elle s’offrait tout court. En Helaria, c’était différent. Il avait lu suffisamment de romans helarieal pour le savoir. Cela exprimait juste qu’elle le considérait comme un ami. Il fut déçu une fois de plus. Elle s’enroula dans le morceau de tissu qu’elle noua dans son cou, ne laissant que son dos et sa chute de rein nus. Il en tira les conclusions qui s’imposaient.

Un homme s’approcha d’eux, un edorian. Il portait un pantalon, ce qui était surprenant pour un baigneur. Il échangea quelques mots avec la stoltzin, trop vite pour qu’il comprît ce qu’ils se racontaient. Ternine passa un bras autour des épaules de la jeune femme. Non, pas jeune. S’il se souvenait bien de ses généalogies, elle avait au moins cinq fois son âge. Le nouveau venu sourit, il leur adressa un salut et s’éloigna. L’espion tourna la tête pour le surveiller. Il s’était adossé à un arbre et les regardait.

Ils poursuivirent leur chemin vers l’immeuble qu’ils occupaient. Elle prit la main de l’Orvbelian sur son épaule et la posa sur sa taille. Il toucha la peau douce de la stoltzin. La sensation était étrange, surprenante quand on ne s’y attendait pas ; lisse et soyeuse en descendant, plus rugueuse en remontant. Caressée à contresens, elle changeait légèrement de couleur au passage de la main, mettant quelques tösihons avant de revenir à sa teinte normale. Elle supporta l’examen sans broncher, sans plaisir aussi. Les représentants des nouveaux peuples qui découvraient les stoltzt agissaient souvent de la sorte par curiosité, quand bien même on les avait prévenus qu’ils trouvaient cela désagréable. Littold avait certainement dû se soumettre à ce rite de passage, la plupart de ses compagnons humains avaient dû procéder ainsi avec elle. C’était la différence la plus manifeste entre les deux peuples. Mais, ce qui en rebutait réellement plus d’un était que le corps collé contre le sien ne dégageait pas autant de chaleur que celui d’une humaine. Il n’était pas froid, mais beaucoup moins chaud qu’un représentant de ce peuple. Il pensait qu’il pourrait s’y habituer. Enfin, si elle devenait sa maîtresse. Mais jusqu’à présent il avait mal interprété tous les signaux corporels qu’elle lui envoyait. Et il se demandait s’ils seraient amants un jour.

— Ça vous arrive souvent que des inconnus vous abordent ? demanda-t-il pour meubler le silence. Être la fille d’une pentarque doit en effrayer plus d’un.

— Vous parlez de cet homme à l’instant ? Où de vous ?

— Un peu des deux. Mais commençons par lui.

— Vous connaissez mal ma famille et encore plus mal mon peuple. Mes tantes, mes sœurs et moi-même recevons plus d’avances que n’importe quelle autre femme de ce pays. Et puis ce n’était pas un inconnu.

— Un ami ou un parent ?

— Ni l’un ni l’autre. C’est un garde du corps.

Il aurait dû y penser. Vu le rang de sa compagne et la présence des pentarques, la plage devait être bourrée de soldats. Ça devait être pour ça aussi qu’il portait un pantalon, pour masquer ses armes.

— Et que voulait-il ?

— Me dire que mon père nous attend. Mais c’est là que nous allons justement.

— J’avoue que j’envie sa place. Surveiller une belle jeune femme lors de sa baignade doit être un moyen agréable de commencer la journée.

Elle lâcha un petit rire de plaisir.

— Et lui, il doit envier le soldat qui s'occupe mon amie Calen à Jimip. Elle, elle est vraiment belle.

Ternine l’écarta de lui et l’examina de la tête aux pieds.

— Comparée à elle, vous vous considérez comme laide ?

— On voit que vous ne la connaissez pas.

Elle reprit sa place contre l’humain.

Tout en marchant vers la villa, Ternine réfléchissait au comportement de la stoltzin. Son corps était frais contre lui, malgré les couches de tissu. Certains trouvaient ça désagréable. Mais il savait que pour elle c’était le contraire. Les stoltzt appréciaient la chaleur dégagée par les nouveaux peuples, ils la recherchaient. En ce sens, ils ressemblaient aux lézards qui se réchauffaient au soleil. L’espion en avait déjà vu en hypothermie. Ils marchaient au ralenti, comme victime d’une gueule de bois. Ils étaient alors seulement guidés par cet atavisme. Pour les stoltzt, ce genre de contact n’avait pas plus de signification qu’une humaine laissant un chat se blottir contre elle. Mais les humains lui en donnaient d’autres. C’est de là que devait venir la réputation de filles faciles des stoltzint. Et quand, dans la plupart des cas, elles se refusaient, ils le prenaient mal, les traitaient d’allumeuses, allaient jusqu’aux coups, voire au viol. Les humains et les stoltzt étaient deux peuples différents avec des comportements et des sens de valeurs qui n’avaient rien à voir. Juger le comportement des uns à partir des valeurs de l’autre ne pouvait qu’aboutir à des conlfits. Entre eux, les Helariaseny n’éprouvait pas de problèmes ; les humains et les stoltzt qui habitaient la Pentarchie se connaissaient suffisamment pour qu’il ne commettent pas d’erreurs de compréhension. Presque tous les humains qui vivaient dans le pays avaient grandi en leur compagnie. Mais l’Helaria n’était pas un État fermé. Les gens pouvaient facilement entrer, y aller et venir ; les étrangers ne subissaient que très peu de contrôles aux frontières. Pendant les fêtes, la population de certaines villes pouvait doubler tant les visiteurs étaient nombreux. Les agressions montaient alors en flèches. Et les prisons se remplissaient au même rythme.

Pour sa part, Ternine pensait avoir de la chance. Quelles que fussent ses motivations, il était en compagnie d’une femme magnifique. Il espérait que ça pourrait aller plus loin, même s’il n’y croyait plus trop. En fait, en essayant de juger selon les critères helarieal, il estimait qu’une fois de plus ses espoirs seraient déçus.

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