Chapitre 43 - Partie 1

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Le soleil venait juste de se lever quand Öta se présenta à l’Orphelinat Royal de Sernos, au moment où il ouvrait ses portes au public. Il avait Hester dans les bras, endormi contre lui. Il aurait pu le laisser à la porte de derrière, comme les enfants abandonnés par leur mère. Mais il n’était pas abandonné. Son nom, sa date de naissance, son lieu de naissance et même sa mère étaient connus. Il avait le droit d’être inscrit régulièrement.

Il entra. Le hall, seule partie librement accessible aux étrangers, était luxueux, décoré de lambris, de moulures au plafond et de peintures illustrant la maternité et l’enfance. Il doutait que le logement des enfants soit du même genre. Mais au moins l’endroit avait bonne réputation. Il traitait correctement les orphelins qui lui étaient confiés et tentait de leur donner un vrai métier. Beaucoup d’artisans employés par l’ambassade avaient grandis ici, les Helariaseny n’avaient jamais eu à s’en plaindre.

Une femme entre deux âges sortit d’un couloir. Le voyant seul au milieu de la grande pièce, elle aborda le guerrier libre.

— Vous cherchez quelque chose ? demanda-t-elle.

— Je vous amène un nouveau pensionnaire.

Il montra Hester endormi contre sa poitrine.

— J’ignore comment procéder, expliqua-t-il.

— Vous n’êtes pas guerrier libre depuis longtemps, remarqua-t-elle.

— Je ne le suis pas encore, je ne suis qu’apprenti.

— Suivez-moi.

Elle l’accompagna dans le dédale de couloirs du bâtiment jusqu’à un bureau. Elle frappa. Quelqu’un l’invita à entrer. La femme dans le bureau était vieille, très vieille. C’est la première fois qu’il voyait un humain aussi vieux. Mais elle semblait en bonne santé.

— Je suis l’intendante Valinsal, se présenta-t-elle en lui tendant la main.

— Öta, apprenti guerrier libre.

Ils échangèrent une poignée de mains. Malgré son âge, sa poigne était ferme. Mais il n’osait la serrer ; elle semblait si fragile qu’il avait peur de la briser.

— Qui est votre maître ? demanda-t-elle.

— Je suis l’élève de Saalyn.

— Saalyn. Cela fait longtemps qu’elle ne nous a pas envoyé d’enfants.

— Elle se reposait.

— Je suis au courant. Je sais ce qui lui est arrivée. Comment va-t-elle ?

— Très bien.

— Vous mentez mal jeune homme. Je sais aussi ce qui s’est passé à Elmin.

— Les choses se sont bien améliorées depuis Elmin. Elle a repris une vie normale.

Elle regarda le stoltzen droit dans les yeux. Des yeux qui le fouillaient au plus profond de son être. Elle n’était pas télépathe, aucun humain ne l’était. Mais il était sûr qu’il était impossible de lui mentir. L’examen mit l’apprenti mal à l’aise. Il avait l’impression d’être mis à nu. Quand elle s’assit, y mettant fin, il fut soulagé.

— Si vous me présentiez le jeune homme que vous nous amenez.

— Il s’appelle Hester, il est Yriani. Il est né ici à l’ambassade.

— Et sa mère ?

— Disparue. Elle a été enlevée par des trafiquants d’esclaves.

— Quel malheur, elle devait être bien belle pour attirer leur attention.

— Hélas pour elle.

— Vous savez comment les choses marchent ?

— Non, répondit l’apprenti.

— Les enfants que vous nous apportez, vous autres guerriers libres, sont proposés à l’adoption comme tous les enfants. Mais s’ils sont encore là à quatre ans, l’ambassade se charge de leur éducation jusqu’à douze ans.

— Et s’ils sont adoptés ?

— Si les parents vivent à Sernos, c’est exactement pareil. Mais s’ils sont emmenés ailleurs, naturellement, ce n’est pas possible. Ce problème existe avec tous les enfants, même ceux que nous éduquons nous-mêmes.

Elle lui passa une feuille de papier vierge.

— Vous allez écrire là-dessus tout ce que vous pensez utile. Son nom, son âge, le nom de sa mère, le vôtre.

L’orphelinat ne disposait que de plumes standards, bien éloignées de l’objet que Saalyn utilisait pour sa correspondance. Öta devait la tremper dans l’encre tous les deux ou trois mots. Il nota tous les renseignements demandés, y compris les noms de Dresil et de sa famille. Il ne savait pas, il avait peut-être des droits sur la ferme. Il ne voulait pas le spolier en oubliant des faits pertinents. Il l’ignorait encore, mais quand la grande peste frapperait le continent, quelques années plus tard, tuant presque un tiers de sa population humaine, sa tante serait contente de savoir qu’il existait encore un membre vivant de sa famille, même s’il ne lui était apparenté que de façon indirecte.

Les papiers remplis, Valinsal fit tinter une petite clochette posée sur son bureau. Quelques vinsihons plus tard, une jeune femme entra.

— Nous avons un nouveau pensionnaire, lui annonça la vieille femme.

— Comment s’appelle-t-il ? demanda la nouvelle venue.

— Hester.

Öta lui passa le bébé qui se réveilla. Quand il se retrouva dans les bras de cette inconnue, il tendit ses mains vers le jeune apprenti, une expression de surprise sur le visage.

— Je l’amène à la nurserie, dit la jeune femme.

— Faites, confirma Valinsal.

Il appela Öta par son nom. Le premier mot qu’il prononçait. Le nom de l’apprenti. Quand il quitta pièce dans les bras de sa nounou, il se mit à pleurer. L’apprenti avait le cœur gros.

— On s’y attache, dit Valinsal.

— Ils sont adorables, confirma Öta.

— Votre patronne ne nous en amène plus depuis des années. C’était devenu au-dessus de ses forces. Elle partait toujours d’ici en larmes.

— Ça n’a pas changé. Sauf qu’elle préfère se cacher pour pleurer. Difficile de croire ça de la part d’une guerrière libre aussi célèbre, n’est-ce pas ?

— C’est peut-être une guerrière libre. Mais c’est une femme avant tout. Ne l’oubliez jamais.

— Il est difficile de l’oublier quand on vit auprès d’elle.

— Alors prenez soin d’elle. Moi je m’occuperai de Hester.

Elle lui tendit la main pour le saluer. Il sortit. Dehors, la femme qui l’avait guidé le ramena jusqu’au hall.

La ville commençait à s’animer. Dans ce quartier résidentiel, les gens se réveillaient tard. Il ne lui fallut qu’un instant pour rentrer à l’ambassade. Les échoppes de la zone commerciale étaient déjà ouvertes. Les contrôles étaient symboliques, personne ne l’arrêta.

Dans la cour, les jeunes guerriers et apprentis guerriers s’entraînaient sous la direction de l’indéboulonnable Deinis. La première fois qu’il était venu ici, elle était déjà là. Et il pariait qu’elle y resterait encore longtemps. Les seuls moments où elle avait été absente à son poste, c’était pour mettre un enfant au monde. D’ailleurs, le suivant n’allait pas tarder à arriver, d’ici quelques douzaines tout au plus.

Les jeunes qui s’entraînaient ici étaient pour certains des aspirants immigrants. Ils n’étaient pas Helariaseny. Mais le temps qu’ils finissent leur apprentissage, ils auraient largement passé l’année nécessaire pour pouvoir demander une naturalisation. Quelques-uns, arrivés ici comme esclaves étaient devenus aussitôt citoyens rien qu’en posant le pied sur le sol de l’ambassade.

L’entraînement était mixte, hommes et femmes mélangés. Une femme, une humaine, enceinte de plusieurs mois elle aussi, se détacha du groupe malgré les rappels à l’ordre de Deinis. Mais en la voyant aborder Öta, l’instructrice se calma.

— Bonjour, dit-elle.

— Bonjour, répondit-il hésitant.

— Vous ne me reconnaissez pas ? lui demanda-t-elle en souriant.

— Je suis vraiment désolé.

— Ce n’est pas grave, on s’est à peine vus. Mais on n’oublie jamais quand quelqu’un vous sauve la vie.

— Je vous ai sauvé la vie ?

— Votre maîtresse. Et vous aussi. À ce qu’on m’a dit j’étais morte et vous m’avez ressuscitée.

Elle lui montra son cou, barré d’une cicatrice. Il se souvint d’elle aussitôt.

— Silmenare, dit-il.

— C’est ça.

Elle semblait heureuse qu’il n’ait pas oublié son nom.

— Que faites-vous ici ?

— Je ne veux pas retourner sur le trottoir. Ici, j’ai une chance de faire autre chose.

— Vous n’avez pas choisi la voie la plus facile.

— La voie que j’ai choisie empêchera tout homme de porter la main sur moi.

— L’entraînement, c’est pourquoi ? Guerrier ou guerrier libre ?

— À votre avis.

Évidemment, la question était stupide. Elle ne serait jamais une bonne combattante. Par contre, elle semblait intelligente.

— Et vos deux compagnes ?

— Elles sont retournées à leur ancien métier. Elles sont incapables de faire autre chose.

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