Chapitre 31 - Partie 4

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— Qu’à partir de maintenant, vous êtes la propriétaire de cette auberge.

Le visage de la fillette s’éclaira, mais son aînée restait méfiante.

— D’ici une douzaine, une personne viendra avec tous les documents. Elle restera ici le temps qu’il faudra pour la passation de pouvoir.

— Vous avez dit que vous vous appeliez Saalyn ?

Elle venait de faire le lien avec la légende. La guerrière libre lui montra le bracelet qu’elle portait au bras. Satem ne savait certainement pas lire l’alphabet traditionnel helarieal. Mais elle savait visiblement lire l’écriture calligraphique moderne. Elle examina le sceau qui validait le bracelet, signé de Helaria en personne, le père des pentarques et fondateur de la nation à laquelle il avait donné son nom. Personne n’aurait osé falsifier un sceau avec ce nom. Helaria était mort depuis longtemps et ceux qui portaient encore un bracelet qu’il avait validé étaient très peu nombreux et connus de tous les Helariaseny. Un faussaire aurait choisi un personnage plus obscur, comme un maître d’une corporation mineure. Ses yeux se mirent à pétiller.

— Je vous remercie de ce que vous venez de faire, j’attendrai votre envoyé avec impatience. Mais je vous prie de m’excuser. Je dois faire tourner une auberge.

Elle adressa un ultime remerciement à la guerrière libre avant de les quitter. Elle passa devant l’aubergiste sans le regarder, comme s’il n’existait déjà plus. La fillette allait la suivre. Mais elle se ravisa. Elle grimpa sur les genoux de Saalyn pour lui déposer un baiser sur la joue et s’enfuit à la poursuite de son aînée.

— La légende de Saalyn vient encore de monter d’un cran, laissa tomber Zimoa.

— Et la mainmise de l’Helaria sur les royaumes environnants aussi, ajouta Banerd.

La remarque du mercenaire était étrange, mais elle n’était pas totalement fausse. Dans les années qui allaient suivre, il était fort probable que les convois helarieal allaient payer moins cher, voire pas du tout, leur repas et leur nuit.

— Elle est partie bien vite, remarqua Öta, elle est si pressée d’aller travailler ?

— Maintenant que l’auberge est à elle et ses compagnes, elle est davantage motivée à la faire tourner, répondit Saalyn, mais je pense qu’elle est surtout allée récupérer celles qui sont montées dans les chambres avec des clients.

— Une auberge sans prostituée, ça ne va pas faciliter le travail des chefs de caravanes comme moi. S’ils ne tirent pas leur coup de temps en temps, les hommes deviennent agressifs.

— Tu n’aurais pas ce problème avec des équipages mixtes, remarqua Saalyn.

— Mais j’en connaîtrais d’autres, répondit Zimoa.

— Elle semble intelligente, elle en fera venir. Mais elles seront adultes et libres.

— Les jeunes filles en fleur ont leur charme pourtant.

— En bouton plutôt, remarqua Saalyn, on ne cueille une rose que quand elle est épanouie. Sans pétales et immature, quel est son intérêt ?

Zimoa soupira

— Tu ne peux pas comprendre, tu es une femme.

L’échange de pique continua un moment. Öta se demanda comment Saalyn pouvait tolérer une personne ayant de telles idées parmi ses amis. Mais il se souvint que Zimoa avait été esclave lui-même. C’était un jeu entre eux, il ne pensait pas un seul des mots qu’il prononçait. Mais elle y mit fin en se levant.

— Il faudrait peut-être que j’y aille, dit-elle.

— Tu vas dormir ? demanda Öta.

— Non, mais je vais aider la nouvelle patronne. Il y aura peut-être des clients récalcitrants qui ne voudront pas laisser partir leur partenaire.

— C’est probable, remarqua juste Zimoa.

Quand elle monta dans sa chambre, le tavernier intercepta Saalyn.

— Elles ne sauront jamais faire marcher l’auberge, dit-il, tout va partir en couille.

— Vous pariez ? répliqua Saalyn.

— Elles sont incapables de travailler correctement si aucun homme ne les dirige. Ce ne sont que des femmes.

— Comme moi, j’ai remarqué.

L’ancien maître des lieux resta un instant muet de saisissement, incapable de trouver une réplique.

— Les palefreniers refuseront d’obéir à des femmes, parvint-il enfin à sortir.

— Il suffit de séparer l’écurie de l’auberge. À chacun son commerce, lança-t-elle avant de disparaître dans le couloir de l’étage.

Alors qu’il allait la suivre, Zimoa lui tapa sur l’épaule.

— Suis-moi, ordonna-t-il.

— En quel honneur ? demanda-t-il.

— Tu dois être conduit à la prison royale de Sernos.

— Vous n’avez pas l’autorité pour ça. Pas plus que cette Saalyn.

— Pour toi, ça sera « Maître Saalyn ». Et elle est mandatée par Menjir II en personne. Elle peut donc exercer en Yrian même en l’absence de mission officielle.

— Saalyn…

Zimoa l’interrompit.

— Qui ? demanda-t-il.

— Le Maître Saalyn…

— Bien.

—… Est mandaté par le roi ?

Zimoa ne répondit pas. Il entraîna l’humain vers l’escalier.

— Tu es un sacré veinard, elle te laisse une dernière chance. Cette nuit, tu auras une dernière occasion de nous parler. Si tu nous dis ce qu’elle attend, elle pourra faire quelque chose pour toi.

— Vous dire quoi ?

— Par exemple, l’officier qui ferme les yeux sur tes agissements dans la garde royale. Tu seras logé dans la chambre à côté de la sienne. Si tu as des choses à dire, il te suffira de frapper au mur.

Ils étaient arrivés devant la chambre qui allait servir de geôle au prisonnier. Öta finissait de la préparer. La pièce avait été vidée de tout ce qui pouvait permettre de s’enfuir, draps, vêtements, chaises. Il ne restait que le lit et l’armoire. Elle avait été poussée contre la fenêtre pour en bloquer l’issue. Il pourrait la déplacer, mais pas sans réveiller les deux guerriers libres.

Saalyn entra derrière eux. Comme prévu, des clients avaient fait des problèmes pour libérer leur compagne tarifée. Mais la jeune femme, Satem, avait rendu l’intervention de la guerrière libre inutile. Elle avait remboursé le double de la somme payé au départ. Quatre cels étaient une somme sur laquelle on ne crachait pas.

— Tu lui as tout expliqué ? demanda Saalyn.

— J’ai sorti le baratin habituel, répondit Zimoa.

— Parfait. Tu as bien retenu mes leçons.

— Tes leçons ! Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre ! C’est moi qui ai inventé cette technique.

Saalyn quitta la pièce. En passant devant le tavernier, elle lui montra le mur.

— Je dors juste derrière. J’ai le sommeil léger.

Elle entraîna son jeune disciple avec lui.

— C’est pas la première fois que tu travailles avec lui, remarqua-t-il.

— Je le connais depuis mes débuts de guerrière libre. Il m’a aidée à mettre au point mes techniques, dit-elle en verrouillant la porte.

Saalyn dormit comme un bébé. Rien – en particulier le prisonnier – ne la tira de son sommeil. Pour Öta en revanche, ce fut très différent. Lors de ce qui semblait être un cauchemar, elle lui avait pris la main et l’avait ramenée contre elle. Et malgré Hester qui les séparait, il ne put fermer l’œil de la nuit.

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