Chapitre 30

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Deirane s’était réfugiée à la proue du navire. Dès le lendemain de son embarquement, Ard l’avait obligée à porter les vêtements rangés dans l’armoire. Tous les styles, coupes et couleurs étaient présents. Mais ils avaient tous un point commun, ils étaient trop déshabillés pour le goût de la jeune femme. Le plus couvert laissait de larges portions de son corps nues et mettait en valeur sa poitrine, la dévoilant plus qu’elle ne pouvait le supporter. L’un d’eux n’était en fait qu’un simple pagne masquant l’entrejambe dans la mesure où elle ne faisait pas de trop grands pas et qu’elle ne s’asseyait pas. Un bon nombre étaient transparents à divers degrés. Ard tolérait que pour le moment elle évite les plus indécents, mais il l’avait prévenue qu’elle devrait être capable de les porter avant la fin du voyage. La robe qu’elle avait choisie était vert pâle, longue, à la taille cintrée et lui laissant le dos nu. Elle lui aurait plu si ses seins n’avaient pas été si exposés aux regards, la portion couverte étant ridicule.

Elle n’était plus prisonnière dans sa chambre. Le capitaine l’autorisait à aller librement sur le pont. Elle n’avait pour autant aucune chance de s’échapper. L’Unster était si large qu’elle se serait noyée avant d’avoir pu rejoindre une rive. Sa seule obligation était qu’elle devait réintégrer sa cellule si un navire s’approchait de trop près. Là encore, la largeur du fleuve limitait fortement cette éventualité. Étant née dans une ferme, elle avait toujours vécu à l’extérieur. Elle ne pouvait pas rester enfermée dans la petite pièce sans fenêtre. Elle n’était pas claustrophobe, mais risquait de le devenir si elle y restait trop longtemps. Cependant, en présence de tous ces marins, sa pudeur était mise à rude épreuve. Ils ne l’avaient pas touchée. Et ils ne la toucheraient jamais. Les fils d’or et les pierres précieuses incrustées dans sa peau la rendaient unique. Même s’ils la désiraient, ils n’étaient pas suicidaires. Ils savaient que s’ils abîmaient une esclave d’une telle valeur, ils risquaient des représailles, voire d’être exécutés de la façon la plus cruelle qui soit. Mais ils ne se privaient pas de lorgner la jeune femme et de faire des remarques qui lui mettaient le visage en feu Elle avait donc trouvé refuge tout à l’avant dans les structures qui maintenaient le beaupré en place. Les marins n’y venaient que lors des manœuvres. Et dans ce cas, ils avaient d’autres choses à faire qu’à reluquer une adolescente presque nue.

Ard la trouva alors qu’elle essayait de reconnaître les montagnes enneigées, loin à l’horizon. Chez elle, à la ferme de son père, elle en voyait aussi, mais elles étaient plus lointaines. Avant de la rejoindre, l’érudit la regarda un instant. Elle était vraiment très belle. L’adolescente était sur le point de laisser la place à une femme. Elle serait extraordinaire. Et cela sans même tenir compte de sa particularité. Elle allait tourner la tête, intriguée de son immobilité soudaine. Il la rejoignit avant qu’elle le surprenne, pris en faute comme un adolescent. Mais il n’osa pas descendre dans son refuge, il avait trop peur de tomber.

— Es-tu déjà sorti de l’Yrian ? demanda-t-il.

— Je suis allée au Chabawck il y a un peu plus d’un an.

Sa réponse déçut le vieillard. Il espérait tant lui faire découvrir une nouveauté.

— Aujourd’hui c’est donc la deuxième fois que tu quittes ton pays.

— On a quitté l’Yrian ? demanda-t-elle.

On sentait une légère panique dans sa voix. Elle remonta sur le pont et s’accrocha au bordage comme si elle allait tomber.

— Pendant la nuit, on a passé la frontière entre l’Yrian et l’Okarian.

— Jusqu’à présent, je pouvais croire que tout pouvait s’arrêter et que ma vie allait continuer inchangée comme avant. Maintenant, ce n’est plus possible.

— Je comprends ce que tu ressens. J’ai éprouvé la même chose.

Elle tourna la tête vers lui. Des larmes roulaient sur ses joues. Ard lui prit le visage entre les mains et les essuya. Elle le laissa faire. Elle avait l’air vulnérable ainsi. Elle avait gardé quelques-unes des rondeurs de l’enfance, lui donnant l’impression d’avoir une petite fille en face de lui. Le contraste était fort avec son corps qui était déjà celui d’une femme. Il éprouvait des sentiments mêlés à son égard. Il la désirait, il n’était qu’un homme après tout, mais il voulait la protéger également. Il se demandait s’il n’était pas en train de tomber amoureux.

Elle lui passa les bras autour du cou. Il l’enserra. Il ne l’avait jamais touché jusqu’à aujourd’hui. Les pierres incrustées dans sa peau rendaient étrange le contact de son dos nu. Il le caressa, intrigué par l’opposition entre les pierres dures et piquantes et la peau douce. Elle enfouit la tête contre sa poitrine, sa petite taille ne lui permettait pas de se reposer sur son épaule. Il se rendit compte que des sanglots secouaient son corps. Elle pleurait silencieusement.

Ard explorait le dos de Deirane. Les pierres étaient dures et pointues. Mais les fils d’or étaient quasiment indiscernables au toucher. Pourtant, ils n’étaient pas profondément enfoncés, ils étaient visibles comme s’ils étaient juste collés sur elle. Aussi près de la surface, ils devraient former une petite bosse nettement perceptible. Mais là c’est à peine s’il pouvait les identifier. Il devait être très attentif pour être sûr que ses doigts étaient posés sur l’un d’eux. Il essaya de le suivre sur une portion de son parcours. Mais il n’y arrivait pas. Sans le voir, il le perdait facilement.

Au bout d’un moment, la jeune femme s’était suffisamment reprise pour se rendre compte de son manège. Elle le laissa faire, sans protester, sans même manifester la moindre objection. Quand elle leva la tête vers lui, il prit ça pour un reproche et interrompit son geste.

— Mon frère était capable de faire ça pendant des heures, dit-elle, ma petite sœur jouait plutôt avec les pierres.

— Je m’excuse, j’étais curieux.

— C’est pas grave.

Elle s’écarta de lui. Puis elle reprit son examen du paysage. La rive, trop basse, n’était pas visible. Elle savait que le pays qu’ils longeaient ne constituait pas une unité politique. Il était divisé en une vingtaine de principautés indépendantes. Elles différaient en tout : richesse, superficie, mode de vie. Certaines faisaient même partie des royaumes les plus riches – comparativement à leur population – du continent. Elles ne partageaient qu’une histoire, une langue et une culture commune. Malgré son absence d’unité, certaines d’entre elles faisaient partie des grands centre de civilisation de la planète. Régulièrement, l’Yrian agrandissait son territoire en s’emparant de l’une d’elle. Malgré cela, elles n’arrivaient pas à s’entendre pour lui résister. Pourtant, toutes ensembles, elles représentaient une puissance supérieure à leur voisin du nord.

Le reste de la journée, Ard fit la leçon à la jeune femme en lui décrivant chacune des principautés.

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