Chapitre 18

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Elle avait tué Dresil. Deirane, attachée en travers de son cheval, était comme hébétée. Elle était dans un état second, parvenant à peine à réaliser ce qui s’était passé. Elle avait l’impression de vivre un cauchemar. Hélas, ce n’était pas le fruit de son imagination.

Quand la troupe en arme avait débarqué dans la cour de leur ferme, Dresil avait tout de suite compris ce qui se passait. Il l’avait envoyée se cacher. Malheureusement la ferme n’avait qu’une seule porte. Les cavaliers l’avaient vue sortir. Elle avait pensé se perdre dans la forêt sauvage qui entourait l’exploitation. Mais ils l’avaient rattrapée. Alors que sa robe se prenait dans les ronces, leurs bottes et leur cuirasse n’avaient que faire des épines. Ils passaient à travers les fourrés, écrasant les buissons.

Mais elle avait eu le temps de cacher Hester, pour que Dresil puisse le retrouver plus tard. Elle n’était pas idiote, elle savait parfaitement pourquoi ils étaient là. Elle avait cru un moment que vivre dans un endroit isolé serait une protection suffisante, visiblement ça n’était pas le cas. En tout cas, ils n’auraient pas son fils.

Sauf que Dresil n’irait pas chercher Hester, il était mort. Et même si les paysans alentour voyaient l’incendie, jamais ils n’auraient l’idée d’aller fouiller la forêt pour y trouver un bébé.

Quand ils l’avaient ramenée à l’intérieur, elle avait vu le corps de son amoureux étendu sur le sol, apparemment sans vie. Quand les brigands avaient envahi la maison, il avait tenté de résister. Mais que pouvait un paysan contre un groupe de combattants professionnels entraînés. Il n’y croyait d’ailleurs pas, son seul but était de donner à Deirane quelques vinsihons supplémentaires pour s’enfuir. Deirane s’était arrachée aux bras de ses assaillants pour se jeter sur lui. Il respirait. Il était juste assommé. Une grosse bosse ornait sa tempe droite. Il vivrait.

Sauf qu’en se baissant, elle avait dévoilé sa jambe. Les brigands ne savaient pas pourquoi leur commanditaire la voulait. Elle était belle, mais aucune femme n’était belle au point de justifier une telle expédition. Ils avaient bien vu le rubis sur son front, les diamants et les fils d’or de ses joues, mais ils ignoraient que tout son corps en était couvert. Maintenant ils savaient. L’un d’eux, pour en avoir le cœur net, lui arracha la robe. Elle tenta de se protéger, un bras sur la poitrine, une main sur le bas ventre, tout en reculant pour se mettre hors de portée. Mais deux d’entre eux – ils s’étaient mis à deux – lui avaient maintenu les bras écartés, l’exposant sans pitié aux regards des soldats. Avec sa petite taille et sa force, tous ses efforts pour se dégager n’aboutirent à rien, sauf à provoquer quelques rires. En larmes, elle se soumit à l’examen. Elle se réfugia à l’intérieur d’elle-même, ignorant les mains qui lui pelotaient les fesses et les seins.

Le chef de l’équipe interrompit l’humiliation. Il voulait partir vite. Il ramassa la robe pour la lui rendre. Et c’est là que tout dérapa. Un des brigands estimait qu’avec tant de pierres sur elle, une ou deux en moins ne se verraient pas. Il la plaqua contre sa taille pour l’immobiliser afin de lui en retirer une du dos. Deirane, qui savait ce qui allait se passer se laissa faire. La magie protectrice se déclencha, brûlant impitoyablement celui qui essayait de lui fouiller les chairs de son couteau et projetant les autres au sol.

Les précédentes explosions avaient eu lieu à l’air libre. Dans la maison, le résultat fut dévastateur. Les meubles furent renversés et quelques-unes des si précieuses vitres des fenêtres éclatèrent. Mais surtout, la bassine qui chauffait sur la cuisinière fut projetée contre le mur, éclaboussant d’huile bouillante une bonne partie de la maison. Le feu prit aussitôt.

Les assaillants sortirent aussitôt, entraînant Deirane avec eux, mais ils laissèrent Dresil, malgré les supplications de la jeune fille. Comme elle se débattait pour leur échapper, ils l’assommèrent. Et maintenant, elle se réveillait, couchée en travers d’un cheval, pieds et poings liés. Elle ne savait pas si son amant était resté dans le feu ou s’il avait survécu. Mais ils s’étaient enfuis si vite qu’ils ne lui avaient même pas enfilé sa robe. Ils l’avaient juste passée dans une des cordes qui l’empêchait de tomber.

La troupe de cavaliers s’arrêta. Ils avaient atteint la petite rivière dans laquelle se jetait le ruisseau passant devant la ferme de Dresil. Contrairement à ce dernier, il était suffisamment profond pour être navigable. Attachée à la rive, près d’un petit pont de pierre qui l’enjambait, une barque chargée d’un coffre était amarrée.

Deux des ravisseurs de Deirane descendirent de leur cheval, les autres quatre ou cinq d’après ce qu’elle pouvait voir dans sa position, étaient restés en selle. Il y en avait d’autres hors de son champ de vision, elle pouvait les entendre,

— Alors vous avez bien compris le plan ? demanda l’un de ceux à terre.

— On part vers le nord en laissant un maximum de trace.

— Pas trop quand même. Il faut que ça paraisse vrai.

— T’inquiète. On connaît notre boulot.

— Je vous rattraperai dans quelques jours au Chabawck sur la Grande Route de l’Est

— Et pour Pecros ?

— Il disparaît à Karghezo. Puis il redescendra à Kushan où il prendra un passage vers Nasïlia. Il sera certainement le premier arrivé là-bas.

Le chef laissa son subordonné un instant. Il se plaça devant Deirane. Elle laissa retomber la tête pour feindre l’évanouissement. Mais il n’était pas dupe. Il l’attrapa par les cheveux. Il la dévisagea droit dans les yeux.

— Tu es calmée ? Je peux te détacher ? demanda-t-il.

Comme elle ne répondait pas, il ajouta.

— Si tu promets d’être calme je te détache et tu pourras te rhabiller. Sinon, tu risques de rester comme ça jusqu’à destination. Et crois-moi, ça serait pas une bonne idée. Je suis un homme, mon compagnon aussi. Et toi tu n’es plus vierge.

Deirane fit un petit geste du menton pour signifier qu’elle avait compris la menace.

— Tu comprends vite. Peut-être que tu survivras dans les harems.

Il lui détacha les chevilles. Puis il défit les liens qui la maintenaient sur sa monture. Elle glissa, se retrouvant sur ses pieds. Incapable de se tenir debout, elle serait tombée si la poigne de son ravisseur ne l’avait retenue par le bras. Il l’aida à s’asseoir, puis il lui détacha les mains et lui lança ses vêtements avant d’emmener le cheval.

Deirane avait été si longtemps attachée qu’elle avait les mains engourdies, parcourues de fourmillements. Elle arrivait à peine à tenir sa robe. Mais tant bien que mal, elle parvint à l’enfiler. Elle avait toujours sur elle le pendentif que sa sœur lui avait donné quand elle avait quitté le domicile familial. Elle le prit dans le creux de la main pour le regarder. Une bouffée d’émotion la saisit. Son bébé devait être né depuis le temps. Elle-même avait eu le temps d’en faire un. Elle devait être tante. Pourtant quand elle vivait à l’ambassade d’Helaria à Sernos, elle aurait pu essayer de les contacter. Ils auraient été certainement heureux d’avoir de ses nouvelles. Il était trop tard maintenant. Elle ne saurait jamais si elle avait un neveu ou une nièce. Elle ne savait même pas si elle-même était toujours mère. Elle rangea le bijou, le seul qui ne soit pas incrusté dans sa peau, sous ses vêtements.

Elle pensa ensuite à sa fuite. Elle regarda autour d’elle. Ils se situaient sur une intersection. Devant elle, la route continuait tout droit vers le nord en longeant la rivière. À sa gauche, un embranchement franchissait un petit pont, puis il continuait vers l’ouest, certainement jusqu’à l’Unster et la Grande Route du Sud. La forêt était déjà moins belle qu’autour de la ferme de Dresil. Pourtant ils avaient chevauché moins d’un monsihons vers le nord. Elle se rendit compte qu’en fait elle n’en savait rien. Elle avait pu rester évanouie longtemps. Elle regarda le soleil, il ne s’était pas beaucoup levé depuis son enlèvement. Elle doutait être restée inconsciente une journée complète. Ils n’avaient donc parcouru que quelques longes.

S’enfuir, il n’en était pas question. Après être restée si longtemps allongée sur le dos du cheval, elle aurait du mal à courir. Se cacher ? Ils avaient réussi à la débusquer dans les fourrés épais de la ferme. Ici où la végétation était plus clairsemée, elle n’avait aucune chance. Il ne restait qu’une seule chose à faire, laisser un indice afin de mettre d’éventuels sauveteurs sur sa piste. Mais elle n’avait rien sur elle, à part sa robe et son camée.

Elle le regarda une nouvelle fois. Elle pouvait le laisser quelque part. Mais il représentait trop pour elle. Elle ne pouvait pas s’en défaire comme ça. Et les chances que les paysans se portent à son secours étaient bien faibles. Elle n’était rien pour eux. Nëppë, au lieu de devenir l’amie qu’elle espérait, s’être posée en ennemie. Ils l’écouteraient certainement quand elle leur dirait de ne pas se lancer à sa poursuite. Se défaire du dernier lien avec sa famille en échange d’un espoir aussi minime était au-dessus de ses forces.

Quoiqu’elle décide de faire, elle devait agir vite. Les cavaliers étaient repartis, emportant tous les chevaux avec eux, même ceux de leurs compagnons qui restaient avec elle. Ils avaient pris la route en direction du nord, ce qui devait certainement dire qu’elle allait vers l’ouest. Elle rangea le pendentif et réfléchit. Un morceau de sa robe, voilà qui ferait un bon indice, sans lui manquer. En la lui arrachant, ils l’avaient bien abîmée, c’est tout juste si elle arrivait à la fermer.

Trop tard, Le chef de la troupe revint vers elle.

— Debout, ordonna-t-il.

Joignant le geste à la parole, il la prit par le bras pour la relever. Déséquilibrée, elle se rattrapa à lui par réflexe. Quand elle le repoussa, il rigola. Puis il la plaqua contre lui et plongea la main dans son décolleté. Elle essaya de se dégager.

— Lâchez-moi, hurla-t-elle.

— Calme-toi ou je t’assomme à nouveau.

Il retira sa main avec le bijou.

— Voilà qui va faire l’affaire, dit-il en l’examinant.

Deirane essaya de lui reprendre son bien, mais il l’arracha, brisant la chaînette qui le retenait. Il le maintint hors de sa portée en levant le bras. Puis il la repoussa. Elle s’écarta de lui.

— Rendez-le-moi, le supplia-t-elle, les yeux pleins de larme.

— Il a de l’importance pour toi ?

— Il me vient de ma sœur. C’est tout ce qui me reste de ma famille.

— Le serpent doit le connaître alors.

Deirane tomba à genoux pendant qu’il s’éloignait avec son bien. Il revint un instant plus tard, les mains vides. Elle aurait dû le laisser plus tôt. Si elle n’avait pas hésité, leurs poursuivants potentiels auraient eu un véritable indice. Au lieu de ça, elle l’avait quand même perdu et ils seraient envoyés sur une fausse piste.

Il posa son regard sur elle. Elle leva la tête, dévisageant pour la première fois son ravisseur. Il ressemblait à tous les individus qui faisaient ce métier, grand et musclé. Mais il avait un peu de ventre, dû à l’âge mais aussi aux excès de bière et de nourriture riche. Elle remarqua qu’il lui manquait une phalange à la main gauche. L’allure générale était celle d’un ancien militaire à la retraite. Il avait le visage carré, les cheveux bruns coupés en brosse, une moustache petite mais bien fournie. À première vue, il aurait pu sembler sympathique. Mais l’expression de son visage démentait cette impression. Il avait le regard braqué sur le décolleté de la jeune femme, examinant sans vergogne la jeune poitrine que les lacets brisés de sa robe ne protégeaient plus. L’excitation de l’homme était telle que Deirane ressentit un malaise profond. Elle tenta de rabattre les pans de tissu, mais ils ne tenaient plus en place. La prédiction de sa tante s’était révélée exacte, elle s’était étoffée. Elle n’était plus une petite fille maintenant, même si elle n’était pas tout à fait une femme. Dommage qu’elle n’en prenne conscience que maintenant.

Le brigand lui tendit la main pour l’aider à se relever. Elle ignora l’offre. Il l’attrapa par le bras et la souleva de force, sans aucun problème tant elle était légère. Brutalement, il la plaqua contre lui, encore, et glissa la main dans sa robe. Violemment, il lui malaxa les seins, lui arrachant un cri de surprise et de douleur. Puis il la repoussa en direction du pont.

— Maintenant tu vas bouger tes miches, dit-il, on a des délais assez courts à respecter. Descends !

Du doigt. Il lui désigna la rivière.

Les bras serrés contre sa poitrine meurtrie, elle regarda le petit canot échoué sur la rive. Matée, elle descendit sur la berge. Le complice de son agresseur était déjà monté à bord. Hésitante, elle le rejoignit. Au centre, il y avait un grand coffre ouvert, il était vide. Il le lui désigna.

— Le carrosse de mademoiselle est avancée, dit-il.

Elle regarda les deux hommes tour à tour. Ils n’allaient quand même pas la faire voyager là-dedans. Mais il insistait, la main tendue vers l’espace vide et sombre.

— Je ne peux pas, dit-elle.

— Mais si tu peux, il est assez grand, tu pourras même bouger un peu. J’ai vérifié.

— Je vous en supplie, dit-elle les yeux pleins de larmes.

— Tu commences à me les briser. Alors maintenant tu te bouges le cul ou je t’assomme.

Il la poussa dedans. Elle se débattit en hurlant, agitant les jambes pour qu’il ne puisse pas rabattre le couvercle sur elle. N’arrivant pas à la maîtriser, il l’attrapa par la robe et lui balança une gifle qui l’assomma à moitié. Il la repoussa totalement dans sa geôle. Mais quand il referma le couvercle, elle hurla et donna des coups de poing et de pied contre les parois de bois.

— Il faut faire quelque chose, dit le chef, on ne peut pas la laisser hurler comme ça.

— Elle va se calmer.

— On n’a pas le temps d’attendre qu’elle se calme. On doit être discret.

Il ouvrit le couvercle. Elle se calma aussitôt.

— Maintenant, tu vas la fermer, autrement tu vas faire le voyage, attachée et bâillonnée en plus du noir.

— Ne m’enfermez pas, supplia-t-elle.

— Je le dois. Mais si tu promets d’être calme, je laisserai un peu d’espace.

Elle hocha la tête.

Il rabattit le couvercle, mais en ayant soin de glisser une petite pièce de métal qu’il détacha de sa ceinture pour l’empêcher de se sceller. Un peu de lumière entrait à l’intérieur, pas beaucoup, mais ce fut suffisant puisqu’elle tint parole.

Les deux hommes poussèrent la barque à l’eau. Quand elle fut au milieu du courant, ils prirent chacun leur pagaie. Ils éloignèrent l’embarcation de la rive et commencèrent leur voyage vers l’aval.

Moins de deux calsihons plus tard, Saalyn et Öta traversaient le pont en direction de la ferme de Dresil, inconscients que Deirane n’était passée qu’à quelques perches d’eux.

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