Chapitre 13 - Partie 1

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La fête du printemps avait été un interlude agréable, même si dans un consulat elle n’avait pas le faste de la Pentarchie. En Helaria elle durait du premier au douzième jour du mois de Fumus. À Elmin, elle ne commençait que le septième jour. L’équinoxe se produisant partout dans le monde, le dernier jour était un moment festif général honoré par tous les peuples de tous les pays. Saalyn y avait largement participé. Elle avait donné plusieurs tours de chant dans le consulat et avait même été invitée à l’extérieur, à l’hôtel de ville, à la caserne et même au grand théâtre où elle avait dû participer à une prestation étrange pour elle, un concert devant un public passif qui n’était venu que pour l’écouter, pas pour danser. Elle n’avait pas l’habitude. Un moment, elle avait cru que ses spectateurs n’appréciaient pas ses chansons. Mais à la fin, les applaudissements nourris et les nombreux rappels la rassurèrent.

Mais tout a une fin. La fête aussi. L’ambiance survoltée des derniers jours retomba. Cela faisait seize jours que Saalyn attendait au consulat. Elle tournait en rond comme un fauve en cage. Quand elle n’y tint plus, elle sortit. Elle investit la chambre d’Öta qui tentait de mettre ce repos forcé à profit pour récupérer de la fatigue des derniers jours. Quand elle se fut assise puis levée pour la millième fois, il l’interrompit.

— Si tu es tant pressée de repartir, pourquoi reste-t-on ici ?

— Parce que j’ai reçu des ordres.

Öta ne demanda pas de qui, ni comment. Saalyn faisait partie de ce petit groupe de personnes capables d’établir un lien télépathique permanent avec les pentarques. Elle n’avait donc pas besoin d’être dans leur champ de vision pour qu’ils puissent la contacter. Les êtres ayant cette capacité étaient si rares qu’ils étaient très précieux. Et leur disparition aurait été un tel handicap pour la Pentarchie qu’ils étaient pourchassés et éliminés par leurs ennemis. Leur identité était donc tenue secrète pour les protéger. C’est par hasard qu’Öta avait découvert que Saalyn en faisait partie. Et c’est également par hasard que la guerrière avait découvert qu’il savait. À l’époque, Öta n’était encore qu’un gamin. Et qu’il ait pu garder un secret aussi lourd en étant aussi jeune avait beaucoup contribué à ce que Saalyn l’accepte comme apprenti quelques années plus tard.

On frappa à la porte. L’attente était enfin finie. Saalyn hésita. Elle appréhendait cette rencontre avec son archonte Muy. Un deuxième coup retentit, plus insistant sembla-t-il. Il ne fallait pas faire attendre la petite pentarque, elle n’était pas réputée pour sa patience. Elle ouvrit la porte.

Le silence de son mentor incita Öta à lever la tête pour voir l’identité de l’arrivant. La guerrière libre était muette de surprise. Ce n’était pas Muy. Elle se reprit vite, invitant Wotan à entrer. L’apprenti se leva précipitamment, prenant une pause plus adaptée au rang de leur visiteur. D’un geste le pentarque l’apaisa.

Kefupke le ukeiden, Wotan töditstek, le salua Saalyn.

Kelyätmetae le Saalyn, répondit Wotan. Depuis quand es-tu si formelle avec moi ?

Sans cérémonie, il enlaça la belle stoltzin et la serra contre lui un instant.

— La demande de Muy de rester à Elmin ressemblait fortement à une injonction.

Au bout d’un long moment, mais qui sembla trop court à Saalyn, il s’écarta tout en gardant les mains sur ses épaules. Il l’examina d’un œil critique de la tête au pied, sans dire un mot. Il la lâcha enfin.

— Tu connais Muy. Elle a un caractère un peu emporté. Elle peut être très gentille un moment et passer à la colère la plus violente sans avertir.

— Tout comme toi il me semble.

— Tu n’as pas tort.

Sans être luxueuse, la pièce était confortable. D’un geste de la main, Saalyn invita son seigneur à s’asseoir sur le fauteuil qui occupait un angle des murs.

— Nous devrions trouver un endroit plus discret, dit Wotan.

— Je n’ai aucun secret pour Öta, répondit Saalyn.

— Cherchons quand même un endroit plus discret.

Même si le ton était affable et le visage souriant, ce n’en était pas moins un ordre. Un ordre royal qui plus est.

— Ma chambre est juste en face.

— Ce sera parfait.

C’était avec soulagement qu’Öta les regarda sortir. Il se doutait de la raison de la présence d’un pentarque à Elmin. Que ce soit Wotan en personne montrait l’importance qu’ils attachaient aux récents événements. Et Öta ne tenait pas à voir la guerrière se faire passer un savon. Il se trompait peut-être, il l’espérait. Le fait que Saalyn ait été la première guerrière libre de l’histoire et que ce soit Wotan qui l’ait nommée à ce poste avait créé entre eux un lien spécial, plus proche d’une relation père-fille que de seigneur à vassal. Et déjà avant, ils se connaissaient bien. Peut-être voulait-il juste un peu d’intimité avec elle. Mais il n’y croyait pas trop.

Saalyn précéda Wotan dans la chambre. Elle lui proposa le seul siège disponible, un fauteuil confortable en cuir, jumeau de celui de la chambre d’Öta. Mais il refusa.

— Il vaudrait mieux que tu t’assoies, dit-il.

Les choses ne s’annonçaient pas bien. Le fait qu’il ne veuille pas s’asseoir n’avait rien de surprenant. Sauf quand il avait à écrire, il était rarement installé à son bureau. Quand il recevait, il préférait de loin rester debout, posant à la limite une fesse sur un coin de table. Mais qu’il l’invite à le faire ne présageait rien de bon.

Il fit quelques pas avant de commencer.

— Tu peux m’expliquer ce que tu as fait, dit-il enfin.

— Tu as reçu mon rapport, tout était dedans.

— Je l’ai lu en effet. J’ai lu aussi celui du capitaine Ralsen.

— Il t’en a envoyé un exemplaire ?

— Le roi Menjir II a estimé que c’était préférable. Et il avait raison.

— Je ne vois pas ce que l’on me reproche. Je devais libérer une prisonnière, elle est libre. Ma mission est remplie.

— C’est vrai, elle est remplie.

Wotan regarda Saalyn droit dans les yeux.

— Mais tu as quand même merdé. Et dans les grandes largeurs.

Saalyn ne répondit rien. Elle baissa les yeux et attendit la suite du sermon.

— Combien de temps t’a-t-il fallu pour trouver le repaire des ravisseurs ?

— Trois jours, répondit-elle.

— Trois jours. Il ne t’a fallu que trois jours. Pourquoi avoir attendu plus d’une douzaine pour attaquer ?

— Je n’étais pas sûre que la prisonnière s’y trouvait, répondit Saalyn sur la défensive.

— Et il t’a fallu une douzaine et demi pour t’en assurer, dit-il en haussant le ton. Dix-sept jours pendant lesquels cette jeune femme a été séquestrée, violentée. Sans compter toutes ces prostituées tuées.

— Je n’avais pas compris tout de suite que la rançon n’était pas le but de l’enlèvement.

— Bien sûr que non. Les ravisseurs ont accepté que la rançon soit payée en plomb.

— Mais le plomb n’a aucune valeur, s’écria-t-elle.

Wotan se calma. Il devint brutalement attentif.

— Quel était le but de toute cette opération alors ? demanda-t-il. Cela ne figurait pas dans ton rapport.

— Je l’ai mis dans les annexes.

— Elles ne figuraient pas dans l’exemplaire en ma possession.

Saalyn réfléchit un moment pour chercher ses mots.

— L’objectif réel n’était pas la rançon. Mais le bâtiment situé juste de l’autre côté du fleuve en face de leur repaire.

— Quel bâtiment. ?

— Le dépôt d’or royal d’Elmin.

— Le dépôt d’or ! Il y a un dépôt d’or à Elmin ?

— Les royaumes nains des montagnes exploitent l’or et s’en servent pour acheter de la nourriture aux royaumes du fleuve. En Yrian, c’est Elmin qui est le centre de ce négoce. L’or nain est entreposé ici avant d’être expédié ailleurs pour être utilisé.

— D’accord, Elmin est donc une plaque tournante du commerce Yriani. Mais tu es donc en train de me dire que c’était un vulgaire cambriolage ?

— Non, je ne parle pas d’un vulgaire cambriolage. Je parle DU cambriolage. Le plus gros vol d’or jamais effectué.

Wotan se tut pour écouter les explications.

— Il y a deux tonnes d’or dans cette réserve. Il leur aurait fallu plusieurs jours pour tout voler. Dès le premier jour, la disparition d’une partie des stocks aurait été découverte. D’une part ils n’auraient pas pu continuer. D’autre part, les soldats auraient effectué une telle surveillance qu’ils n’auraient jamais pu quitter la ville avec leur butin.

— Sauf si… Parce que j’imagine que tu as trouvé un moyen de voler cet or, conclut Wotan.

— Sauf si personne ne s’aperçoit qu’un vol a eu lieu, confirma-t-elle.

— Comment ?

— En remplaçant les lingots d’or par des lingots de plomb.

— Ce n’est pas une mauvaise idée. Les deux métaux ont à peu près la même densité. Pour la couleur il suffit de recouvrir les lingots de plomb de feuilles d’or.

— Tu trouveras une machine à laminer dans l’entrepôt. Ils avaient déjà produit des feuilles de plomb.

— Pour camoufler les lingots d’or en plomb je suppose.

Saalyn confirma la supposition d’un mouvement de tête.

— Personne n’aurait arrêté un cavalier avec des lingots de plomb dans ses fontes. Beaucoup de commerçants en transportent.

— Et le capitaine de la garde, que vient-il faire ici ? Avec plus de discrétion, personne n’aurait rien soupçonné, ils auraient pu vider l’entrepôt. Le vol aurait mis des douzaines à être découvert. Ils auraient disparu dans la nature sans que personne ne sache qui ils étaient.

— À cause du plomb. Il leur fallait beaucoup de plomb. Plus que ce qu’on peut trouver facilement. Deux tonnes, cela ne se trouve pas sous les griffes d’un hofec.

— D’accord, mais pourquoi le capitaine ?

— As-tu visité son domicile ?

— Je lui ai rendu une petite visite avant de venir te voir. Un homme très intéressant. Peu impressionnable si l’on considère qu’une personne de mon rang a débarqué chez lui sans prévenir.

— Que penses-tu de ses reconstitutions militaires ? lui demanda Saalyn.

— Impressionnant. La bataille de Nayt m’a particulièrement intéressé. J’y étais. J’ai eu l’impression d’y retourner.

— Je ne l’ai pas vue. Il n’y avait que celle de Chabawck quand je suis passée.

— La bataille qui a mis fin au règne des feythas et plongé notre monde dans le chaos pendant une douzaine d’années. Personnellement je préfère la bataille d’Honëga.

— Le déclenchement de la guerre qui a fait entrer l’Helaria dans le cercle des grandes puissances. Ce n’est pas un mauvais choix.

— Il a aménagé une salle au sous-sol. Il y a exposé une dizaine de batailles. Il ne te l’a jamais montrée ? Il en est très fier pourtant.

— Non, répondit Saalyn. Mais quand je suis passée chez lui, sa fille venait d’être enlevée. Il ne pensait qu’à ça.

— Mais assez parlé de guerre. Le plomb. Tu ne suggères pas qu’ils convoitaient tous ces soldats pour les fondre. Il y en a beaucoup, mais on est loin du compte pour remplacer tout l’or du dépôt. Et il a infiniment plus de valeur sous cette forme que sous forme de lingots.

— C’était juste pour te faire remarquer qu’il y a beaucoup de plomb chez le capitaine. Mais même si ce métal n’est pas cher, Ralsen ne dispose que d’une solde de militaire. Il n’a pas les moyens de s’offrir tout ça.

— Tu penses donc qu’il dispose d’une source de plomb gratuite ?

— J’ai fait des recherches. Sa famille dispose d’un terrain dans le Salirian. À l’intérieur, il y a une mine de plomb. Elle n’est plus exploitée depuis la fin de la guerre contre les feythas, mais régulièrement il part s’y approvisionner.

— Intéressant. Mais pourquoi ne pas lui avoir demandé ?

— Parce que si j’étais capable de trouver seule le renseignement, alors ces brigands le pouvaient aussi.

— Ils attendaient donc du capitaine qu’il leur donne deux tonnes de plomb qu’il serait allé chercher dans sa mine.

— Ils l’auraient fondu en lingots qu’ils auraient recouvert de feuille d’or. En parallèle, ils auraient recouvert l’or de plomb pour le sortir de la ville. Ils ont d’ailleurs déjà dû commencer. Je suis sûre qui si on vérifie, on va trouver des faux lingots dans l’entrepôt.

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